De l'Action Nationale au MCG, en passant par l'UDC: depuis le milieu des années 1960, plusieurs mouvements populistes aux fondements et aspirations différentes, ont essaimé en Suisse avec plus ou moins de succès. Rétrospective.
Chapitre 1
L'"Überfremdung"
Keystone - STR
La notion de "surpopulation étrangère", ou "Überfremdung" en allemand, a dominé le débat politique suisse dès la fin des années 1960 jusqu'au terme des années 1980. Utilisée d'abord par l'administration fédérale, la thématique a été habilement récupérée par quelques tribuns politiques pour canaliser les peurs d'une partie de la population tenue à l'écart du miracle économique de l'après-guerre.
L'installation massive de travailleurs immigrés en Suisse représentait, selon eux, un véritable danger de dilution de l'"identité suisse". Ces positions idéologiques vont rapidement se répandre dans l'espace public à travers le recours systématique au peuple, encouragé par les leviers de la démocratie directe.
Chapitre 2
L'Initiative Schwarzenbach
Lancée en 1969 par le journaliste et éditeur zurichois James Schwarzenbach, alors seul représentant de l'Action nationale aux Chambres fédérales, l'initiative "contre l'emprise étrangère" recueille 70'000 signatures auprès de la population, alors que seuls 50'000 paraphes étaient nécessaires.
Le texte exige une proportion d'étrangers qui ne doit pas dépasser 10% dans tous les cantons (à l'exception de Genève). En 1970, les immigrés constituent près de 16% de la population résidente en Suisse. Lors du scrutin, la participation des citoyens atteint un taux de 74%, quasi inégalé depuis 25 ans, mais l'initiative est finalement refusée par 54% des votants. Malgré son rejet, l'objet aura des conséquences durables pour l'économie: les quotas globaux de travailleurs étrangers sont introduits.
Décryptage de l'Initiative Schwarzenbach dans l'émission "Archives" sur la TSR.
Figure emblématique de l'Action Nationale, James Schwarzenbach claque la porte du mouvement au lendemain de l'échec de son initiative "contre l'emprise étrangère". Il crée alors le Parti républicain.
Marginalisées sous la Coupole fédérale, les deux formations feront à plusieurs reprises alliance, rejointes par Vigilance. Elles lanceront encore quatre initiatives populaires pour combattre "l'emprise étrangère". Toutes seront rejetées par la population.
Portraits de dirigeants et militants de l'AN en 1970
En 1982 et en 1984, l'Action Nationale remporte toutefois deux référendums contre les réformes gouvernementales concernant la naturalisation et la vente de terrains aux étrangers. Cet activisme marque les esprits et surtout l'irruption du "national-populisme" sur la scène politique suisse.
En 1990, l'Action Nationale et le Parti Républicain, alors en perte de vitesse, fusionnent pour donner naissance aux Démocrates suisses. Le parti porte désormais le message d'un nationalisme social, presque écologique avec la défense de l'agriculture de montagne et une méfiance pour le libéralisme économique.
Le principal fait d'armes sera, en 1991, la victoire de l'initiative pour le "1er août férié" par 83,8% des votants. Le parti existe toujours, même si en 2019, il n'a plus de représentants dans les conseils exécutifs ou législatifs du pays.
Keystone - STR
Chapitre 3
Le populisme "néolibéral"
Vigilance, le parti du "ras l'bol"
Mouvement anti-étrangers, Vigilance voit le jour à Genève en 1964. Cette formation, centrée sur la défense des petits propriétaires et commerçants, dénonce la "sur-administration" de l'Etat, combat "l'étranglement fiscal" et la politique d'asile.
En 1965, elle réussit à envoyer 10 députés au Grand Conseil. En 1975, Mario Soldini, devient le premier et unique conseiller national "vigilant". Son mandat perdurera jusqu'en 1987.
Portraits de militants de Vigilance dans "Tell Quel" sur la TSR
L'année 1985 sera marquée par un succès sans précédent du parti, qui, en obtenant 19 sièges au Grand Conseil, devient la première force politique du canton, ex-aequo avec le parti libéral.
La section vaudoise, issue du Parti républicain, comptera jusqu'à 16 sièges au conseil communal de Lausanne avant de sombrer en 1987.
En proie à de violentes divisions internes, le mouvement genevois disparaît en 1991. Par la suite, certains de ses cadres intégreront le Parti des automobilistes ou l'UDC locale.
Le Parti des automobilistes, la liberté à pleins gaz!
Le Parti des automobilistes est créé en 1985 à Zurich par d'anciens membres du PRD et de l'UDC. Marqué à droite, il se constitue en réaction au succès croissant des idées écologistes en Suisse.
Lors des élections fédérales de 1987, il arrache deux sièges au Conseil national. Le parti connaît ensuite une période faste au début années 1990, oscillant entre sept et huit élus sous la Coupole fédérale.
Jacques Barillon, président du Parti des automobilistes genevois, sur la TSR
Outre la défense des automobilistes, le parti fustige l'interventionnisme de l'Etat, l'adhésion de la Suisse à l'EEE et réclame un durcissement des lois sur l'asile.
Il change de nom en 1994, devient le Parti suisse de la liberté et poursuit sur sa lancée populiste et xénophobe. Dès 1999, le mouvement affronte une véritable hémorragie: nombre de ses élus rejoignent l'UDC, qui a le vent en poupe.
En 2009, le PSL reprend son nom d'origine. Le Parti des automobilistes ne compte plus guère d'élus en 2019.
KEYSTONE - STR
Chapitre 4
La "nouvelle" UDC contre l'Europe
Née de la fusion entre le Parti des Paysans, Artisans et Indépendants et les partis démocratiques des cantons de Glaris et des Grisons en 1971, l'UDC défend en priorité les intérêts agrariens. Jusqu'à la fin des années 1980, la paysannerie constituera le cœur de son électorat.
Durant cette période, l'UDC n'occupe qu'un rôle secondaire sur l'échiquier politique comme force d'appoint de la droite. Elle possède un siège au Conseil fédéral et adopte un positionnement de centre-droit. La montée en puissance de la section zurichoise, emmenée par Christoph Blocher, va bousculer le positionnement et les pratiques du parti. A l’orée des années 1980, il reprend à son compte un "national-populisme" résolument libéral.
Christoph Blocher est conscient des bouleversements économiques et de l'essoufflement de la paysannerie dans la Suisse des années 1980. Le tribun zurichois cherche alors à élargir la base électorale de son parti en ciblant les milieux urbains et en séduisant les classes moyennes.
Christoph Blocher, l'homme qui dit "nein"!
La nouvelle stratégie mise en oeuvre s'articule autour de deux cibles qui deviendront les boucs émissaires favoris de l'UDC pour les décennies suivantes: les "faux réfugiés" qui, selon le parti agrarien, gaspillent les richesses de la Suisse et risquent de détruire l'identité nationale. Et les institutions supranationales, menaçant l'indépendance et la neutralité traditionnelles de la Suisse.
La question de l'adhésion à l'Espace économique européen permet à l'UDC d'apporter son soutien au référendum. Alors qu'il n'a encore jamais lancé d'initiative sur le plan national, la victoire du "non" à l'EEE convaincra définitivement Christoph Blocher et ses alliés de l'efficacité des leviers de la démocratie directe dans l'action politique.
Chapitre 5
La Lega ou le populisme "régionaliste"
Mon quartier, Lugano, le Sottoceneri, le Tessin puis la Suisse, puis les autres, peut-être...
Dès 1991, apparaît au Tessin un mouvement qui va décliner le "national-populisme" sur un plan local, défiant à la fois la Berne fédérale et les frontaliers italiens. La rhétorique anti-système et régionaliste de la Lega dei Ticinesi est exacerbée par son fondateur, le truculent Giuliano Bignasca. Le tribun fait de son journal hebdomadaire Il Mattino della Domenica sa principale arme contre les institutions et les personnalités politiques du canton.
En 1995, la Lega se retrouve face à un paradoxe: sa culture oppositionnelle et sa vocation anti-establishment sont mises à l'épreuve par ses scores électoraux dépassant la barre des 20% des suffrages qui lui permettent d'intégrer plusieurs exécutifs municipaux. Le parti fait surtout élire Marco Borradori au Conseil d'Etat.
En 2011, la Lega est le seul parti à placer deux membres au sein du gouvernement cantonal. Depuis, le parti populiste occupe 2 sièges à l'exécutif et reste la première formation politique au parlement tessinois, malgré le décès en 2013 de son leader incontesté Giuliano Bignasca. En 2019, la Lega subit néanmoins un coup d'arrêt lors des élections fédérales avec la perte de l'un de ses deux sièges au Conseil national.
Keystone - Jean-Christophe Bott
Chapitre 6
Le MCG et le "ni gauche, ni droite"
Fondé en juin 2005 par l'ancien député UDC Georges Letellier et l'ex-député libéral Eric Stauffer, le Mouvement citoyens genevois (MCG) est un parti politique régionaliste et populiste genevois, proche des aspirations de la Lega tessinoise.
Créé sous le nom de Mouvement blochérien genevois, il en change rapidement, après le refus catégorique de Christoph Blocher de voir son patronyme associé à ce mouvement.
Le phénomène MCG
Sous l'impulsion de son leader charismatique Eric Stauffer, le parti s’oppose agressivement aux frontaliers, tout en refusant de se situer sur l'axe gauche-droite.
Le 9 octobre 2005, quatre mois seulement après sa création, la formation populiste obtient neuf sièges au Grand Conseil genevois. En 2011, elle devient le deuxième parti du canton en plaçant 73 élus dans 16 communes et en décrochant 17 sièges au législatif cantonal. Une performance que le parti réitère en 2013, tout en réussissant à faire élire son candidat Mauro Poggia au Conseil d'Etat.
Affecté par les revers essuyés lors des municipales de 2015 et miné par des divergences internes concernant la ligne "ni gauche, ni droite", le parti désavoue Eric Stauffer en lui refusant la présidence en 2016. Le tribun claque alors la porte. Si le parti arrive à faire réélire facilement son conseiller d'Etat, il perd près de la moitié de ses sièges au Grand Conseil lors des élections cantonales de 2018.