Cher Poséidon,
Pour faire simple : oui, on peut dire que les Grecs considéraient leurs récits à propos des dieux de l’Olympe, des Titans et d’autres, ainsi que les rituels célébrés en leur honneur, comme ce que nous aurions aujourd'hui tendance à appeler une « religion ».
Mais si vous êtes prêts pour une explication plus compliquée, il faut nuancer un peu cette première réponse et souligner que les Grecs anciens ne connaissaient aucun mot que nous pourrions aujourd'hui traduire par « religion ». Ils parlaient de ta hiera, les « choses sacrées », autrement dit les rituels et les pratiques accomplies en l’honneur des dieux ; de ta theia, les « choses divines », par exemple les récits parlant des dieux ; ou de ta nomaia, les « coutumes » ou les « traditions » des ancêtres qu’il fallait respecter. En fait, il n’existait en Grèce antique aucun ensemble unique que nous pourrions appeler « la » religion grecque : les Grecs ne reconnaissaient pas tous les mêmes dieux et revendiquaient d’innombrables pratiques cultuelles et récits mythologiques souvent très différents selon les régions. Ces éléments religieux étaient d’ailleurs, à leurs yeux, indissociables du reste de leur culture, et jouaient un rôle important dans la vie politique et civile. Voilà pourquoi on ne peut pas vraiment parler d'« une religion » des Grecs.
Pour répondre à la deuxième partie de votre question : les Grecs faisaient des offrandes et accomplissaient des rituels tout au long de l’année pour honorer les dieux lors de fêtes et de cérémonies en respectant ainsi les coutumes de leurs ancêtres. Il ne s’agissait pas uniquement d’obtenir la réalisation d’un souhait, mais surtout d’honorer les dieux et de maintenir une bonne relation avec eux. Dans certains cas, toutefois, on demandait à la divinité une faveur particulière, ou sa protection dans le cadre d’une activité que l’on souhaitait entreprendre. Dans ce cas, il est vrai que les anciens Grecs prenaient un soin tout particulier à s’adresser au dieu ou à la déesse qui pourrait les aider de la meilleure manière. Ainsi, si un voyage maritime était prévu, un Grec pouvait en effet choisir d’offrir un sacrifice à Poséidon.
Mais quel Poséidon ? Et Poséidon était-il le seul dieu compétent en matière de sécurité en mer ? Il faut savoir qu’en contexte cultuel, les Grecs s’adressaient la plupart du temps à une forme précise d’un dieu ou d’une déesse, identifié.e par une suite de noms qui permettaient de préciser son domaine de compétence. Pour un voyage en mer, on pouvait ainsi faire une offrande à Poséidon Asphalaios (« qui met en sécurité ») ou à Poséidon Pelagaios (« de la mer »). Mais il était aussi tout à fait possible de s’adresser à d’autres divinités aux fonctions protectrices telles qu’Aphrodite Euploia (« qui assure une bonne navigation ») ou Isis Pelagia (« maritime »). Par ailleurs, une autre forme de Poséidon, Poséidon Hippios (« des chevaux ») pouvait également être invoquée à l’occasion du dressage d’un cheval, tandis qu’on s’adressait certainement à Aphrodite Enoplios (« en armes ») et Aphrodite Androphonos (« tueuse d’hommes ») pour des raisons différentes qu’à Aphrodite Glykeia (« douce »).
Ainsi, les dieux grecs n’étaient pas pensés comme des individus au caractère bien déterminé, mais comme des puissances dont les pouvoirs et les champs d’influence variaient selon les régions et les contextes. Il pouvait même se trouver que deux formes différentes d’un même dieu soient en conflit, comme cela arriva à l’historien et général Xénophon, qui raconte dans son Anabase (livre VII, chapitre 8, paragraphes 3-4) comment il s’était acquis la protection de Zeus Sôter (« sauveur ») et de Zeus Basileus (« roi ») dans ses expéditions militaires, avant de réaliser que Zeus Meilichios (« doux, apaisant ») lui était opposé parce qu’il avait oublié de lui offrir des sacrifices.