L’invention de l’écriture s’appuie sur trois innovations qui sont apparues successivement. La première remonte aux origines de l’homme moderne il y a 100.000 ans, il s’agit de la capacité de tracer sur un support quelconque des signes graphiques plus ou moins ordonnés qui peuvent être simplement décoratifs. La seconde est en relation avec l’émergence d’une pensée symbolique, c’est à dire de la capacité d’évoquer une idée abstraite à l’aide d’une autre idée pouvant présenter une forme très concrète et prendre une forme graphique, ainsi la liberté représentée par un oiseau. Les premières traces décelables de cette capacité remontent au Paléolithique supérieur il y a 35.000 ans. Elle est le fait de notre espèce, l’Homo sapiens, et est notamment à l’origine de l’art des cavernes. Enfin la dernière est en relation directe avec l’écriture. Il s’agit de l’invention d’un système codifié et organisé de signes en nombre limités, distincts des représentations naturalistes, et aptes à rendre compte de n’importe quel énoncé de la langue avec laquelle il entretient des rapports plus ou moins étroits. On identifie pratiquement la présence d’une écriture sur un document archéologique lorsque l’on observe des séries signes plus ou moins abstraits organisés linéairement, verticalement ou horizontalement, distincts de représentations plus naturalistes et immédiatement identifiables, représentations auxquelles ces signes peuvent être associés, souvent sous le forme de commentaires à la façon des bandes dessinées.
Les écritures les plus anciennes se rencontrent sur des supports extrêmement variés étudiés par les archéologues. Il peut s’agir de monuments de pierre où elles apparaissent sous formes gravées ou peintes sur des enduits de chaux. Les autres documents proviennent des fouilles archéologiques. Il peut s’agir de tablettes d’argile, de plaques de métal ou d’objets usuels de pierre, de terres cuite ou de métal. D’autres supports sont plus fragiles, mais peuvent se conserver dans des conditions particulières, papyrus en Egypte, lamelles de bambou et tissus de soie en Chine, papier à base de fibres végétales chez les Mayas, etc.
Ces divers supports influencent directement le graphisme de l’écriture. En Mésopotamie le fait de tracer des signes avec un stylet de bois sur de petits blocs d’argile humide a été à l’origine de l’écriture cunéiforme. Il était plus facile d’imprimer verticalement la pointe ou le tranchant du stylet sur la pâte molle que de l’inciser obliquement. En Egypte l’écriture hiéroglyphique gravée sur pierre s’est transformée successivement en deux écritures aux formes simplifiées adaptées au papyrus et tracées avec des calames ou des pinceaux faits de tiges de jonc, le hiératique puis le démotique. En Chine, le graphisme s’est stabilisé avec l’introduction des tracés au pinceau et le développement de l’art de la calligraphie.
L’écriture a été inventée en divers points du monde de façon indépendante et tardivement dans l’histoire de l’homme. Quatre centres géographiques sont reconnues : la Mésopotamie, l’Egypte, la Chine et l’Amérique centrale avec le Mexique et le Guatémala. L’origine des écritures méditerranéennes comme le hittite ou le linéaire A et B en Crète reste par contre floue. Toutes ces inventions ont eu lieu dans des contextes historiques proches. Nous sommes à des périodes de développement de l’urbanisme et de cités-états présentant une organisation plus ou moins centralisée à la tête desquelles se trouvent des rois d’essence divine. L’écriture permet de gérer une administration plus ou moins complexe et une économie centralisée ; elle permet également d’asseoir le pouvoir politique sur des bases plus stables. On notera néanmoins que de grandes civilisations urbaines ont pu se développer sans l’aide de l’écriture comme c’est le cas pour les Andes, notamment pour l’empire inca.
Les domaines où intervient l’écrit restent néanmoins variables selon les cas. Mentionnons pêle-mêle, la gestion des stocks et les systèmes comptables, les généalogies royales, le calendrier et l’astronomie en relation avec la religion, la géométrie et l’arpentage, le système juridique, les mythes.
Sur le plan technique le message destiné à être enregistré sous forme écrite peut être découpé en unités de sens (objets ou êtres vivant, idées) ou en unités de sons dépourvues de sens (consonnes, voyelles, syllabes). Nous pouvons ainsi distinguer dans une écriture :
- une composante idéographique (ou logographique) qui fait correspondre des signes (pictogrammes) avec des choses, des être ou des idées. Les écritures où ce principe domine présentent un grand nombre de signes distincts pour qualifier toutes les composantes de l’univers. Ce nombre atteint plus de 45.000 signes distincts en Chine.
- une composante syllabique dans laquelle les signes de l’écriture correspondent à des syllabes. Ce système à l’état pur n’exige qu’entre 80 et 120 signes selon la langue.
- une composantes alphabétique dans laquelle les signes correspondent aux sons élémentaires, consonnes et voyelles. Une trentaine de signes au maximum suffisent dans ce cas. Il peut encore être plus limité dans l’écriture des langues sémitiques où l’on a l’habitude de ne noter que les consonnes.
- enfin des signes fonctionnant comme déterminant permettant de préciser le sens des mots (classes d’objets, genres, pluriels, signes grammaticaux divers etc.).
Toutes les écritures archaïques avant l’invention de l’alphabet sont mixtes. Chaque écriture utilise conjointement ces diverses composantes en proportions variables ce qui rend le déchiffrement des écritures anciennes particulièrement difficile. Même notre système de notation moderne, pourtant strictement alphabétique, utilise encore certains déterminants au niveau de la ponctuation et de certaines graphies particulières comme les italiques ou les chiffres romains pour désigner les siècles.
1. La plus ancienne écriture a été identifiée en Mésopotamie (l’actuel Irak) dans la civilisation sumérienne. Les textes proviennent essentiellement des palais et des entrepôts qui leur sont associés. Le support privilégié de l’écriture est l’argile. Les premiers signes d’écriture apparaissent vers 3300 av. J.-C. Le lot le plus important de tablettes d’argile gravées provient de la ville d’Uruk. Les signes proprement cunéiformes apparaissent vers 2800 av. J.-C.
Ces textes répondent aux besoins administratifs des premières cités-états gouvernées par un roi qui avait aussi un rôle sacerdotal. On y observe la volonté de cataloguer le monde. La grande littérature épique et des textes magiques apparaissent vers 2600-2550 av. J.-C. La langue enregistrée est le sumérien mais les notations cunéiformes vont s’étendre rapidement au domaine akadien divisé en deux dialectes, l’assyrien au nord et le babylonien au sud.
Au 13ème siècle avant notre ère un système alphabétique simple de 30 caractères cunéiformes permettra de noter la langue locale à Ougarit dans le nord du Liban, un système qui sera utilisé jusqu’à la disparition de la ville et du royaume lors des invasions des Peuples de la mer vers 1180 av. J.-C. Trente signes cunéiformes simples permettant de noter la langue locale.
Beaucoup plus tard en Iran des signes cunéïformes composeront un système de notation syllabique pour le vieux perse, une langue indo-européenne (6ème – 4ème siècle avant notre ère).
2. L’écriture apparaît en Egypte pratiquement à la même époque. Elle est déjà utilisée deux siècles avant les premiers pharaons régnant vers 3150 av. J.-C. A Abydos en effet des étiquettes en ivoire portant des signes sont datées entre 3250 et 3150 av. J.-C. Au début les hiéroglyphes ne désignent que des noms, des titres et des quantités. Le premier long texte – administratif – date de 2600 av. J.-C. L’écriture hiéroglyphique disparaîtra au 5ème siècle de notre ère, remplacée par l’alphabet grec.
Des textes sont gravés et peints sur les parois des temples et sur celles des tombes souterraines. Beaucoup de documents écrits proviennent des tombes. On trouve également des inscriptions sur les statues et les sarcophages.
3. La vallée de l’Indus au Pakistan présente, vers 2600 av. J.-C, un troisième centre d’apparition de l’écriture peut être en relation avec le développement mésopotamien. La plupart des découvertes proviennent de la ville de Moenjodaro. L’écriture de l’Indus n’a pas encore été déchiffrée. Les inscriptions, essentiellement des textes courts figurant sur des sceaux, sont en effet très peu nombreuses, environ 1500, et on ignore quelle était la langue parlée à l’époque. On identifie environ 400 signes différents dont certains semblent composés. Il doit y avoir environ 200 signes de base ce qui exclut une écriture syllabique et parle en faveur d’une écriture où dominent des idéogrammes. Les premiers écrits déchiffrés du sous-continent indien ne datent que du 3ème siècle avant notre ère. Les écritures de l’Inde seront essentiellement des écritures syllabiques.
4. En Chine les plus anciens témoignages d’écriture se situent entre le 14ème et le 11ème siècle avant notre ère. Il s’agit de courts textes gravés sur des omoplates de bovins ou des plastrons de tortues provenant du site de Xiaotun près d’Anyang dans la province du Henan. Ils ont été mis en relation avec des procédures de divination au cours desquelles on interprétait les fissures produites sur les os par une exposition à la chaleur. Ces textes couvrent environ 150 ans des règnes des neufs derniers souverains des Shang (16ème-11ème siècles av. J.-C.). On rencontre également des inscriptions sur des vases de bronze dès les 11ème siècle. Le plus ancien texte calligraphié au pinceau sur soie se situe vers 300 av. J.-C. Le système idéographique chinois est la seule écriture archaïque qui ait persisté jusqu’à nos jours. Il inspirera les écritures de nombreux pays d’Asie, notamment celles du Japon et de la Corée.
5. L’Amérique centrale précolombienne constitue un autre centre important de développement de l’écriture. Cette dernière semble apparaître dans la région olmèque au sud du Mexique. On a ainsi découvert à Cascajal un bloc de serpentine avec des signes d’écriture datés de 900 av. J.-C. ce qui en ferait le plus ancien témoignage d’écriture en Amérique. On voit néanmoins apparaître des écrits en même temps chez les Mayas, en zone olmèque et chez les Zapotèques au tournant des 5ème et 4ème siècles av. J.-C. Le plus ancien texte maya provient de San Bartolo au Guatemala où une série de hiéroglyphes est datée entre 300 et 200 av. J.-C. Au 16ème siècle, les écritures indigènes méso-américaines ne survivront pas à la conquête espagnole et aux destructions systématiques voulues par les missionnaires.
L’écriture maya présente la forme la plus aboutie des écritures méso-américaines. On la rencontre notamment sur des stèles ou sur les murs des palais en relation avec des fresques. Certaines poteries portent également des dédicaces peintes. Si les notations en relation avec un calendrier extrêmement complexe sont comprises depuis longtemps ce n’est que récemment que l’on peut lire les autres textes qui apparaissent notamment sur les stèles dédiées aux grands personnages de la noblesse guerrière et qui racontent leur vie et leurs exploits. L’écriture est en effet utilisée par les rois pour raconter les faits de leurs règnes. Les scribes appartenaient à la noblesse et jouissaient d’un statut privilégié dans la société.
Les textes sont composés de hiéroglyphes particulièrement complexes se présentant sous forme de rébus associant des idéogrammes à des signes ayant valeur syllabique et des déterminants divers. Une difficulté de lecture supplémentaire vient du fait que, pour se distinguer, les scribes s’ingéniaient à réaliser plusieurs formes d’un même signe. Ces derniers peuvent notamment apparaître sous la forme de visages personnifiés ou de signes abstraits, plus courants dans les très rares livres qui ont échappé aux destructions voulues par les espagnols et qui ont été emportés en Europe comme trophées.
La langue est notée à l’aide d’un syllabaire complet complétant les idéogrammes, ce qui permet d’enregistrer de véritables phrases. Elle s’apparente au cholti aujourd’hui disparu.
6. On a longtemps écrit que notre alphabet avait été inventé par les Phéniciens. De récentes inscriptions gravées sur des céramiques et sur le rocher, découvertes dans le Sinaï, remettent en question aujourd’hui ce scénario trop simpliste. Ces découvertes proviennent notamment des anciennes mines de turquoises de Sérabit el Khadim exploitées par les Egyptiens. Ces textes protosinaïtiques notent à l’aide de seules consonnes, au nombre de 24, une langue sémitique apparentée à l’hébreu ou au phénicien du 1er millénaire. Chaque lettre est représentée par la figure très schématique d’un mot dont elle marque l’initiale, comme si on dessinait aujourd’hui un poisson pour noter la lettre P. Les formes graphiques se rapprochent de signes égyptiens.
Il est donc possible que l’alphabet ait été inventé sur sol égyptien par des gens qui parlaient une langue sémitique et pouvaient voir des inscriptions égyptiennes. La date des inscriptions, 1600 av. J.-C., correspond à la deuxième période dite intermédiaire qui marque une interruption dans les dynasties pharaoniques. On peut donc se demander si l’alphabet n’aurait pas été inventé sur sol égyptien par les Hyksos qui ont régné sur la vallée du Nil entre 1630 et 1521 av. J.-C. On sait que l’écriture égyptienne connaissaient des signes consonantiques au nombre de 24, qui n’étaient utilisés que pour noter les noms étrangers.
Ce système de notation, qui semble avoir diffusé de façon indépendante en Arabie, a néanmoins bien été vulgarisé et largement propagé en Méditerranée par les Phéniciens. Les premiers témoignages de l’alphabet phénicien sont des noms gravés sur des pointes de flèche en bronze remontant au 13ème siècle avant notre ère. Ce n’est qu’à partir de ce moment que l’on peut tracer une filiation ininterrompue menant à tous les alphabets actuels : araméen, nabatéen, arabe et hébreu au Proche Orient, punique, lybico-berbère et touareg en Afrique, grec, étrusque et latin en Europe.
7. Pour être complet, signalons pour terminer un cas totalement marginal qui ne s’inscrit pas dans la logique d’une relation entre écriture et développement des premières civilisations urbaines. Il s’agit des tablettes de bois appelées rongorongo, soigneusement polies et couvertes de signes d’écriture. Elles ont été découvertes au 18ème siècle par les premiers explorateurs européens chez les populations polynésiennes occupant l’île de Pâques. On ignore la date d’apparition de cette écriture qu’on ne sait plus aujourd’hui déchiffrer. On ignore également s’il s’agit d’une invention réellement originale, indépendante de l’influence des écrits européens.