Cette question admet plusieurs lectures. Selon la plus intuitive d'entre elles, on veut savoir si la vengeance est moralement mauvaise. Mais ‘admissible' n'est pas toujours synonyme de ‘pas mauvais', comme en témoignent les débats sur les nouvelles interdictions. Le tabagisme passif est dangereux. Fumer en présence de quelqu'un dans un endroit fermé, c'est donc le mettre en danger, ce qui est moralement mauvais. Certains (fumeurs) admettent cela, mais soutiennent qu'il ne faut pas interdire la fumée dans les lieux publics fermés. Ils pensent que fumer dans ces lieux est à la fois mal et admissible. Selon la deuxième lecture de la question, ce qu'on veut savoir, c'est donc si l'on doit tolérer la vengeance, pas si l'on peut se venger. Cette question est plus complexe et j'imagine qu'elle traduit moins votre interrogation. Je répondrai donc à la première question : la vengeance est-elle moralement mauvaise ?
Selon une théorie morale assez répandue, l'utilitarisme, une action est bonne ou juste si, et seulement si, elle maximise le bien-être total des individus qu'elle affecte. Dans le cas contraire, où c'est ne pas agir ainsi qui maximiserait le bien-être, l'action est mauvaise. (Un type d'action est moralement neutre s'il n'affecte pas le bien-être général.)
Puisque je pense que cette théorie est vraie, je vous propose d'examiner ce qu'elle dirait de la vengeance. Nous pouvons donc reformuler votre question comme suit : la vengeance maximise-t-elle le bien-être général ? Et, immédiatement, elle nous semble trop imprécise. Clairement, il y a des actes de vengeance qui maximise le bien-être des individus qu'ils affectent ; d'autres qui, au contraire, sont désastreux de ce même point de vue ; et tout dépend des conséquences de chaque acte.
Un cas analogue à celui de la vengeance est celui de la punition. Dans certaines conditions – celui ou celle qui la subit est conscient de son caractère punitif, il corrigera ses comportements futurs de sorte à ne plus être puni, ce qu'il n'aurait pas fait sans punition, il ne cherchera pas à se venger, de sorte que la souffrance induite par la punition est inférieure au bien-être qui en résultera –, la punition est une bonne chose ; alors que dans d'autres, elle fait plus de mal que de bien. La vengeance se distingue de la punition par l'intention de son auteur, qui, motivé par la perspective de la souffrance de l'autre, cherche non pas à rendre justice ou modifier des comportements futurs, mais à soulager son sentiment d'injustice. Quoi qu'il en soit, selon l'utilitarisme, seules les conséquences comptent. Et force est d'admettre que les intentions de l'auteur ne relèvent pas des conséquences de son acte. Or, on peut penser que les conséquences de la punition et celles de la vengeance sont similaires, dans des circonstances similaires.
Admettons que la victime de l'acte de vengeance est consciente de son caractère rétributif ; elle sait qu'il résulte d'une mauvaise action de sa part. Admettons aussi l'effet dissuasif de l'acte de vengeance : sa victime saura dorénavant à qui elle a affaire. Jusqu'ici, rien ne distingue les circonstances idéales de la punition des circonstances possibles de la vengeance. Il faut pourtant noter une différence : alors qu'un parent qui punit son enfant ne le fait en général pas de gaieté de chœur, l'auteur d'un acte de vengeance verra son bien-être optimisé par son acte, ce que des excuses n'auraient sans doute pas permis. Et, puisque le bien-être est à maximiser selon notre théorie, cette différence plaide en faveur de la vengeance.
Il y a donc bien des cas où la vengeance maximise le bien-être total des individus qu'elle affecte : comme la punition, elle nuira toujours à sa victime ; contrairement à la punition, elle ne bénéficiera pas seulement parfois, mais toujours à son auteur, qui verra (toujours) son sentiment d'injustice soulagé et (parfois) ses chances de subir des comportements similaires à l'avenir, revues à la baisse. Dans ces circonstances, et seulement dans ces circonstances, la vengeance est admissible.