Lorsque la saveur des boissons et des denrées commercialisées par l’industrie agro-alimentaire est particulièrement réaliste, on peut s’attendre à ce qu’elles soient aromatisées avec des substances naturelles Dans de tels cas, ceci augmente considérablement le prix de la boisson ou de la denrée, puisque leur préparation requiert des étapes complexes d’extraction des molécules responsables de la saveur sans les dénaturer. A l’inverse, lorsque l’objectif de l’industrie agro-alimentaire est d’occuper une large part de marché, elle y parvient généralement en recourant à des arômes artificiels qui tentent de mimer les saveurs complexes présentes dans les produits naturels tout en minimisant fortement les coûts de production.
Pour comprendre ce qui fait la différence entre une saveur naturelle authentique et une « saveur chimique », prenons l’exemple de la banane. Il existe près d’un millier de types différents de bananes sur la planète, dont de nombreuses variétés présentent des saveurs spécifiques et des subtiles différences de goût (de même que des tailles, des formes, et des couleurs différentes).
Grosso modo, on dénombre environ 50 à 100 molécules différentes responsables de l’arôme dans les bananes. Quelques molécules sont présentes en grandes proportions, tandis que la majorité des autres molécules sont présentes en proportions faibles, voire en quantités traces. C’est l’ensemble ces molécules qui crée la richesse de la saveur de chaque banane que l’on consomme ; cette saveur diffère d’une variété de banane à l’autre, ainsi que selon la maturité de la banane.
Dans le cas de la banane, une molécule est très majoritairement présente, et c’est accessoirement elle qui confère le goût caractéristique de la banane : c’est l’acétate de 3-méthylbutyle (qu’on appelle aussi acétate d’isopentyle, acétate d’isoamyle, ou encore éthanoate de 3-méthylbutyle !). Cette molécule (qu’on retrouvait aussi dans les dissolvants pour vernis à ongles jusqu’à ce qu’elle soit prohibée car elle irrite les yeux et les voies respiratoires) est très facile à synthétiser (c’est-à-dire à créer en laboratoire), à très faible coût.
Les chimistes sont d’ailleurs capables de synthétiser toutes les molécules qui contribuent à la saveur des bananes ; certaines d’entre elles sont plutôt complexes à synthétiser, ce qui augmente considérablement leur coût. Notons ici que les molécules synthétisées en laboratoire sont exactement identiques, en tous points, aux molécules naturelles présentes dans la banane cultivée.
Si l’on souhaite créer un bonbon présentant un arôme de banane aussi authentique que possible, il faudra soit travailler avec de vraies bananes (ce qui engendre de nombreuses contraintes économiques et techniques), soit ajouter en bonnes proportions toutes les molécules synthétiques qui contribuent à la saveur authentique (ce qui engendre des coûts très élevés). A l’inverse, si l’on n’ajoute que la molécule d’acétate de 3-méthylbutyle au bonbon, ce dernier aura un goût « chimique » qui « rappellera vaguement » la banane, puisqu’il lui manquera toutes les autres molécules pour exprimer le goût authentique.
On voit donc que le « goût chimique » n’est pas provoqué par une molécule particulière, mais bien par l’absence – dans les denrées ultra-transformées – de la majorité des autres molécules qui contribuent à la subtilité du goût authentique !