Pendant longtemps, la nature et l’homme ont été étudiés par des sciences différentes. La biologie, la botanique, l’écologie tentaient de comprendre la nature. L’économie d’évaluer les besoins du développement humain. Dans cette logique, deux courants parallèles ont vu le jour au XXe siècle: la protection de la nature et l’exploitation de la biodiversité.
Protéger la nature…
L’idée de protection des espaces naturels a vu le jour à la fin du XIXe siècle, avec la création des premiers parcs nationaux aux Etats-Unis. Puis, avec l’essor des sciences de la vie, on a progressivement découvert l’incroyable richesse de la biodiversité. On a stocké des échantillons de terre, de plantes, d’animaux en tout genre, en classifiant le tout pour l’avenir. Au cours de ce travail, les chercheurs ont peu à peu réalisé qu’on ne connaît presque rien de la biodiversité, dont une quantité infime est répertoriée. Les estimations vont d’ailleurs bon train: de 3 à 100 millions d’espèces peupleraient la Terre! Ce qui implique qu’au vu de la perte de biodiversité que l’on constate sur les espèces connues, la perte réelle à l’échelle de la planète doit être considérable.
… ou l’exploiter?
Parallèlement à ce mouvement de protection, la biodiversité est exploitée pour satisfaire les besoins humains. Nous dépendons en effet de la planète pour la production de nourriture, vêtements, coton, caoutchouc, substances pour des médicaments à venir, etc. La biodiversité est conçue économiquement comme un facteur de production, une ressource éternellement renouvelable, qu’on peut exploiter massivement. Dans cette logique, si une espèce disparaît, quelle importance?
Il faut des années pour commencer à comprendre que les ressources s’épuisent et que la quantité prélevée est en train de détruire des écosystèmes entiers. La réalisation de l’impact énorme de la déforestation sur l’émission des gaz à effets de serre, et de l’importance de la forêt comme réceptacle de CO, change fondamentalement la donne. La préservation des forêts devient l’un des thèmes majeurs de la biodiversité. Car il ne s’agit pas seulement de reboiser, mais de le faire avec une diversité suffisante pour que les écosystèmes de forêts survivent et fonctionnent.
Mais comment faire cohabiter économie et biodiversité?
A nouveau, deux approches voient le jour. La biodiversité est-elle un bien privé ou public? Aux Etats-Unis, c’est un bien privé. On raisonne que si la biodiversité disparaît, c’est parce qu’elle n’appartient à personne. Il faut donc attribuer des droits de propriété à la nature. C’est ainsi qu’émergent les initiatives d’adoption des animaux, qui ont encore cours aujourd’hui (baleines, éléphants, loups). On voit aussi apparaître de nouveaux types de marchés. Ainsi le Costa Rica, disposant d’une biodiversité extrêmement riche, propose à une multinationale pharmaceutique de répertorier toutes les substances actives dans une zone, commercialiser ce qu’elle souhaite et reverser des droits réinvestis pour préserver la biodiversité. Ce partenariat, combinant profit et préservation, se poursuivra 10 ans. On en trouve encore beaucoup d’exemples aujourd’hui, en Afrique et en Asie. Du point de vue économique, il faut également attribuer une valeur à la biodiversité. C’est la création de nouveaux marchés financiers dans une quarantaine de pays: bourses du carbone, marchés des écosystèmes (vente d’actifs naturels protégés, comme l’habitat d’espèces menacées).
En Europe, un autre courant de pensée a vu le jour: la biodiversité est un bien public. Il faut des réglementations pour la protéger. Les années 1960-70 voient apparaître les premières régulations environnementales. On demande aux entreprises et aux personnes de compenser financièrement la pollution qu’elles engendrent. Mais on ne peut pas tout réglementer. Les économistes recommandent donc des incitations financières pour protéger la biodiversité: aux Etats de faire jouer taxes et subventions pour préserver au mieux cette richesse indispensable.
RTSdécouverte, ave la collaboration de Beat Burgenmeier, professeur à la Faculté des sciences économiques et sociales de l’Université de Genève
L’avenir de la biodiversité
Depuis quelques temps, de nouvelles mesures se mettent en place: nouvelles normes, prix tenant compte de tous les coûts, réformes fiscales, politiques de recherche et d’éducation. Parmi ces mesures, la création des REDD, ou «réduction des émissions dues à la déforestation et la dégradation de la forêt». Elles ont pour objectif d’inciter les pays en développement à réduire leurs émissions de CO2 en attribuant une valeur financière au carbone stocké dans les forêts. Une question reste cependant: est-ce que nous saurons attribuer à la biodiversité une valeur autre que monétaire, une valeur en soi pour la survie de la planète?