Longtemps dédaigné à cause de son accès difficile, le mythique passage du Nord-Ouest est à nouveau d’actualité en raison du réchauffement climatique global. En effet, selon plusieurs estimations l’océan Arctique pourrait être libre de glace quatre mois par année, à l’horizon 2100 voire avant, en 2050 ou même en 2030. Cette voie de communication pourrait donc être exploitée dans un proche avenir, avec à la clé des enjeux économiques et stratégiques majeurs.
D’une part, le passage du Nord-Ouest raccourcirait de quelques sept mille kilomètres le trajet maritime entre l’Europe et l’Extrême-Orient, par rapport au passage par le canal de Panama. Ce qui n’est pas négligeable pour le commerce maritime et le tourisme arctique, en pleine expansion. D’autre part, cette région abriterait un quart des ressources énergétiques mondiales encore non découvertes, aiguisant l’appétit féroce des grandes puissances. Et c’est reparti: comme au temps de Christophe Colomb, la course à la découverte du pétrole, du gaz, de l’or, de l’uranium, du nickel, voire des mines de diamants de l’Arctique est lancée!
En conséquence, les relations entre le Canada et ses voisins se sont tendues depuis quelques années. Le Canada estime que le passage du Nord-Ouest se trouve dans ses eaux territoriales, ce que contestent au premier chef les Etats-Unis pour qui le passage se trouve en eaux internationales, ouvrant un droit de libre circulation à la navigation. Sans attendre qu’une cour de justice statue, le gouvernement canadien met en place un nouveau plan de développement et de repeuplement du grand Nord. Dans le village de Resolute, tout au nord de l’archipel arctique canadien, un camp d’entraînement à la survie et au combat en milieu arctique vient d’être créé. Cinq cent hommes s’y installent actuellement, deux fois plus que la population initiale de 250 habitants, pour la plupart Inuits. Juste en face, devant l’ancienne mine d’Arctic Bay, on projette de construire un port en eau profonde.
«C’est important la souveraineté» estime Richard, un militaire à la retraite. «Il faut la marquer sinon les autres (les «ôtres» avec l’accent québécois) vont vous la contester, voilà pourquoi nous «ôtres», l’armée canadienne, on veut développer notre présence dans cette zone du Grand Nord». Militaire fraîchement retraité, Richard est installé depuis deux ans à Resolute. Il connaît bien la région, qu’il a sillonnée au cours de sa carrière. Il ajoute: «Je pense que l’armée sera le seul moyen pour Resolute de survivre dans le futur. Avec le réchauffement climatique, les ours et les caribous s’éloignent. La chasse risque de disparaître».
Une présence renforcée de l’armée canadienne suffira-t-elle à éviter une exploitation destructrice de l’Antarctique? Certes le passage du Nord-Ouest ne sera jamais libre de glaces toute l’année, ce qui constitue une limite au trafic commercial. Il reste que, contrairement à l’Antarctique, l’Arctique n’est protégé par aucun traité international. Et personne, pas même les Canadiens, ne semble pressé d’en signer un.
Sylvie Cohen, journaliste