Le livre de bord du tour du monde de PlanetSolar

Départ de Monaco. Cette fois, nous sommes en route. Cap à l'ouest pour 50’000 kilomètres en mer qui nous feront traverser tous les océans de la planète, propulsés par la seule énergie du soleil.

Sentiment incroyable au moment de quitter Monaco, lieu de départ des grandes expéditions, à l'image d'Alain Bombard ou du commandant Cousteau.

A l'heure où j'écris ces lignes, nous assistons au coucher du soleil. Les batteries sont chargées. Nous allons rester en navigation côtière à l'abri des vents, jusqu'au lendemain matin.

Ce matin, nous avons eu la chance d'observer quatre cachalots. Nullement effrayés, ils ont escorté PlanetSolar pendant une vingtaine de minutes.

Cet animal peut peser jusqu'à 50 tonnes. Il est capable de plonger à plus de 3000 mètres de profondeur et de rester en apnée pendant plus de 2 heures. La rencontre inédite avec des mammifères marins est toujours un moment émouvant.

Bel ensoleillement et vent de secteur nord-est de quinze nœuds. Nous avons mouillé ce matin à 2 heures locales en baie de Marigot.

Tûranor PlanetSolar a traversé l'Atlantique en 26 jours, 19 heures et dix minutes, malgré une météorologie capricieuse en milieu de parcours.

Il s'agit de la traversée de l'océan Atlantique la plus rapide de l'histoire pour un bateau solaire.

Hier soir, vers 18 heures, nous avons aperçu les premiers reliefs du continent américain. Nous avons hissé le pavillon national suisse ainsi que le pavillon de courtoisie. Tout l'équipage s'est alors assis, le regard fixé sur l'horizon, en direction de cette terre lointaine.

Emotion vive que d'arriver aux États d'Amérique en bateau solaire et d'y retrouver Immo Ströher, mon partenaire. Pas besoin de nous parler. Ses yeux brillent. Nos sourires respectifs en disent suffisamment.

Bel ensoleillement, vent du secteur sud-ouest, tournant ensuite au secteur sud-est. Ce matin, nous avons eu la chance d'observer un groupe de dauphins de Risso. On le dit timide et distant, ce que nous avons d'ailleurs pu observer.

Aujourd'hui, malgré un ciel laiteux, nous avons produit 522 kilowatts heure. Nous approchons de l'hémisphère sud.

Lorsque nous aurons franchi cette limite, nous serons passés de l'hiver à l'été. Nous aurons des journées plus longues et donc plus d'énergie.

Distance parcourue dans les 24 dernières heures 10 milles, soit 18 kilomètres.

À quelques encablures du canal, un bruit sourd envahit soudain le cockpit. Je suis aux commandes et j'arrête tout de suite nos moteurs. Cette fois, nous sommes en danger.

Avec Jens, nous décidons d'aller voir le problème et très rapidement, nous constatons que c'est le système de blocage du pas variable qui s'est dévissé. Le vent nous pousse contre la jetée du port d'Abou Dhabi. Nous préparons l'ancre.

C'est notre dernière chance pour protéger PlanetSolar. Nous arrivons à mouiller à moins de 500 mètres de la jetée où viennent se briser les vagues blanches d'écume du golfe arabo-persique.

Nous demandons l’aide des gardes-côtes. Il nous faut patienter à l'ancre qui, par moments, sous les tensions extrêmes des vagues et du vent, sonne comme un canon.

Mouillage devant Abou Dhabi. Position: 24 degrés Nord, 54 degrés Ouest. Vent de secteur nord-ouest à ouest, 30 à 25 nœuds, mollissant à quinze noeuds en journée, mer forte devenant agitée.

Tûranor PlanetSolar contre-attaque. Nuits difficiles. Météo France nous avait prévenus: vent fort de nord-ouest en rafales. Le bateau s'en sort très bien avec courage.

Belle journée ensoleillée. Vent modéré à fort du sud-est. Distance parcourue au cours des dernières 24 heures: zéro mille. Je ferme les yeux.

Je me revois rêvant de cette aventure à la Jules Verne, une carte du monde posée devant moi. Nous savions qu'il nous faudrait traverser les eaux du golfe d'Aden, qui sont aujourd'hui considérées comme les plus dangereuses de la planète.

Pour la première fois depuis le 27 septembre 2010, nous allons devoir rester silencieux et invisibles pour assurer notre sécurité.

Nous sommes prêts techniquement et psychologiquement. Depuis quelques jours déjà, nous sommes entièrement concentrés sur la mission qui nous attend.

Jour J-3. Distance parcourue dans les 24 dernières heures: 20 milles. Désormais, chaque événement prend une tournure symbolique.

Je me rends compte que chaque détail de notre aventure est en fait, depuis 18 mois, le moteur de notre vie.

Sentiment étrange de penser que dans quelques jours, toutes ces petites choses vont disparaître à jamais. En septembre 2010, lorsque nous avons quitté Monaco, je me réjouissais de retrouver mes montagnes. Mais en fait, je ne me connaissais pas ce besoin de prendre le large. Aujourd'hui, pour la première fois, je me rends compte que j'aime ça. Ce sentiment de larguer les amarres va manquer à ma vie de terrien.

Journée magnifique. Ciel bleu avec quelques cumulus, un vent de sud-ouest modéré. Distance parcourue dans les 24 dernières heures: 100 milles, 185 kilomètres. Nous sommes à moins de 50 kilomètres de Monaco.

Aux jumelles, on peut apercevoir notre destination. Le ciel se dégage. À midi, les batteries pleines, nous lançons PlanetSolar sur la ligne d'arrivée.

Derrière cette ligne symbolique, la réussite du premier tour du monde à l'énergie solaire.

Crédits

arteFuture
RTS Découverte
La Souris Verte