Tout commence à la fin du XIXe siècle, dans les années 1890. Certaines observations, en particulier concernant le rayonnement électromagnétique, contredisent systématiquement les lois de la physique. Comment les intégrer? La première tentative d’explication radicalement différente est réalisée par un physicien déjà célèbre, Max Planck, en 1900. Il propose de considérer l'énergie non comme un phénomène continu mais comme des "paquets" distincts les uns des autres, les quanta. C’est initialement une astuce de calcul pour résoudre certaines équations. Mais il s’aperçoit qu'elle correspond comme par enchantement aux observations qui contredisaient les lois de la physique de son époque. Cinq ans plus tard, Albert Einstein utilise l'idée des quanta pour expliquer l’effet photoélectrique (qu'on observe dans notre vie quotidienne par exemple dans les cellules commandant l’ouverture automatique des portes). L'idée d'une physique basée sur les quanta, une physique quantique, fait son chemin.
La première révolution quantique
Entre 1925 et 1927, plusieurs physiciens réussissent en quelques années à assembler les pièces de l’immense puzzle de la physique quantique. Tout d’abord, Louis de Broglie et Erwin Schrödinger raisonnent que si la lumière, qui est une onde, peut exister sous forme de paquets d’énergie, alors à l’inverse peut-être que des particules comme les électrons, qui sont de petits paquets d’énergie, peuvent se comporter comme une onde. Ils élaborent ainsi les fonctions d’onde. Une particule peut donc exister dans plusieurs états superposés, onde ou particule. C'est le principe de superposition. Ensuite, Werner Heisenberg introduit le principe d’incertitude, selon lequel en physique quantique on ne peut pas mesurer de façon exacte deux valeurs d’une même particule (par exemple sa position et sa vitesse). Si l’on mesure correctement l’une des deux valeurs, l’autre sera forcément floue. Wolfgang Pauli définit quant à lui le principe d’exclusion, selon lequel deux électrons ne peuvent jamais se trouver au même endroit dans le même état. Niels Bohr, dont Heisenberg et Pauli ont été les disciples, propose une théorie unifiée de la physique quantique.
Mais Albert Einstein reste très sceptique. Il considère que l'aléatoire ne peut pas être un principe fondamental de la physique. Si l'on ne peut pas mesurer précisément deux valeurs d'une particule, cela ne signifie pas qu'elles ne sont pas mesurables, mais simplement qu'on ne sait pas encore le faire. Il estime donc que les physiciens quantiques utilisent des probabilités car leur théorie, incomplète, ne leur permet pas de décrire parfaitement les phénomènes observés. De longues discussions l'opposent à Niels Bohr, au cours desquelles Einstein s’exclamera "Dieu ne joue pas aux dés!" Le débat fait rage. En 1935, Einstein, Podolsky et Rosen soulèvent le paradoxe suivant. Selon les principes de la physique quantique, l'état des particules est fondamentalement aléatoire. Pourtant, pour peu qu'elles soient étroitement liées (c'est l'intrication), il est possible pour des particules situées dans des endroits très éloignés de l’espace d'avoir toujours exactement le même état au même instant. Comme si elles communiquaient littéralement instantanément. Cela impliquerait qu'elles se transmettent l’information plus vite que la vitesse de la lumière. Dans l'univers d’Albert Einstein comme dans notre réalité quotidienne, c'est absurde. La physique quantique doit donc nécessairement être incomplète.
Le débat reste en l’état jusqu'en 1964, date à laquelle John Bell démontre, à Genève, que les idées d’Einstein sur l'aspect inachevé de la théorie quantique entrent en contradiction avec les prédictions mêmes de cette théorie. Il faut forcément que l'une ou l'autre soit fausse. John Bell propose donc une méthode expérimentale pour répondre à ce paradoxe. Cette expérience ne pourra être réalisée de manière concluante qu'en 1982, par Alain Aspect et ses collaborateurs à Paris. Elle démontre irréfutablement la justesse de la théorie quantique.
La deuxième révolution quantique
Les physiciens restent en grande majorité indifférents aux aspects les plus contraires à l'intuition de cette nouvelle théorie, jusqu'aux années 1990. On commence alors à réaliser les applications potentielles de la physique quantique dans notre vie quotidienne. À Genève, l'équipe de Nicolas Gisin réalise la téléportation des photons dans les fibres optiques du réseau Swisscom sur des dizaines de kilomètres. Puis Peter Shor, aux Etats-Unis, montre qu'en intriquant une centaine de particules, on pourrait casser tous les codes de sécurité existant aujourd'hui: ceux des banques, des entreprises, des armées. La cryptographie quantique serait alors le seul mode de protection véritablement inviolable des données. Et c'est ainsi que la physique quantique entre dans notre vie quotidienne...
RTS Découverte, avec la collaboration de Nicolas Gisin, physicien, professeur à l’Université de GenèveD
Pour en savoir plus
Fonction d’onde: nom donné à l’objet mathématique qui décrit l’état dans lequel se trouve un système physique. On a d’abord pensé, à tort, qu’il s’agissait d’une sorte d’onde, d’où cette terminologie. Ce n’est que lorsque l’on cherche à mesurer dans quel état est le système physique, qu’on le trouve dans un état déterminé. La fonction d'onde donne les probabilités de trouver le système dans tel ou tel état.
Principe de superposition: principe de la physique quantique selon lequel si un système physique peut être dans un état A ou dans un état B, alors il peut aussi être à la fois dans les deux états A et B. Par exemple, un atome peut être à la fois intact (état A), désintégré (état B) et exister dans les deux états «superposés». C’est au moment où l’on cherchera à définir dans quel état il est qu'on le trouvera dans l’état A ou B. Cet état ne préexiste pas à la mesure: c'est la mesure qui semble le faire advenir.
Principe d’incertitude: principe de la physique quantique selon lequel si une grandeur physique, la position par exemple, est très précise, alors d’autres grandeurs physiques complémentaires, comme par exemple la vitesse, sont nécessairement très imprécises.
Principe d’exclusion: principe selon lequel certaines particules, comme par exemple les électrons, ne peuvent jamais être plusieurs dans le même état quantique. Ce principe est essentiel à l’établissement du tableau périodique des éléments.
Corrélations non-locales: une corrélation entre deux événements de la vie de tous les jours s’explique toujours selon l’un des deux mécanismes suivants: soit le premier événement à influencé le deuxième événement (mon voisin bâille parce que je viens de bâiller), soit les deux événements ont la même cause (tous les joueurs d’un match de hockey sur gazon arrêtent simultanément de courir car l’arbitre a sifflé). Il est intéressant de noter que ces deux modes explicatifs sont également les seuls à intervenir dans toute la physique classique, de Newton à Maxwell et Einstein. Par contre la physique quantique prédit, et l’expérience confirme, qu'un autre type de corrélation existe: les corrélations non-locales. Deux événements peuvent être corrélés sans que l’un soit la cause de l’autre, ou qu’ils aient la même cause. Par exemple, en physique quantique, deux particules peuvent être instantanément dans le même état à des kilomètres de distance.