100 ans de radio en Suisse romande

Grand Format 100 ans de la Radio

Archives RTS - État de Vaud, Service Météorologique Cantonal et Universitaire

Introduction

Cela fait 100 ans que l’on peut entendre la radio en Suisse romande. Mais au début, ce n’était pas si simple, et l’histoire de la radio a emprunté certains détours inattendus…

Chapitre 1
Hop! En avion

Surprise: les débuts de la radio en Suisse doivent beaucoup à l'aviation! Dans les années qui suivent la Première Guerre mondiale en effet, la Compagnie des Grands Express aériens cherche à développer son réseau. Après un Paris-Londres, elle prend des contacts pour créer une ligne Paris-Lausanne, qui aurait dû s’étendre vers l’Italie. Bien sûr, ces toutes premières liaisons aériennes avec passagers devaient impérativement garantir la sécurité et la régularité des vols.

C’est un appareil de type Farman F.60 Goliath qui assurait la ligne Paris-Lausanne.
C’est un appareil de type Farman F.60 Goliath qui assurait la ligne Paris-Lausanne.

On s'intéresse alors à une technologie naissante, la "radio-téléphonie", qui permet de transporter la voix sur de longues distances, par exemple entre l'avion et le sol ou entre les aéroports. Mais un émetteur est nécessaire: la Municipalité de Lausanne se tourne vers Roland Pièce, un jeune ingénieur passionné de "radio".

Durant les années de guerre déjà, il était parvenu à bricoler, à la barbe des autorités, un récepteur qui lui permit de capter les premières émissions en morse des belligérants. Roland Pièce fut chargé de monter, puis de faire fonctionner le fameux émetteur. Installé au lieu-dit "Le Champ-de-l'Air", sur les hauts de Lausanne, il permettait de communiquer à l'équipage toutes les informations de service, la météo et les conditions au sol.

>> Écoutez Roland Pièce raconter l’inauguration de l’émetteur et la première émission de radio :

Roland Pièce. [Archives RTS]Archives RTS
Emission sans nom - Publié le 30 septembre 1939

L'inauguration de l'émetteur eut lieu en grande pompe le 14 octobre 1922. Roland Pièce eut l'idée de réunir une cantatrice et quelques musiciens dans le petit local de l'émetteur. A l'autre bout de la ville, à l'Hôtel Beau-Rivage, où étaient réunis les invités, il fit dissimuler un récepteur et un haut-parleur. Quelle stupéfaction lorsque la voix, la musique et les chants retentirent de derrière une tenture…

Pour moi, la joie fut grande d'avoir pu réaliser une idée que j'avais derrière la tête: démontrer que l'émetteur du Champ-de-l'Air se prêtait fort bien à des émissions radiodiffusées.

Roland Pièce, La radio, ma vie.

Chapitre 2
Des débuts difficiles...

De fait, quelques mois plus tard, une société privée prit l'initiative de proposer à Lausanne des émissions régulières. Il faut bien comprendre les conditions d'écoute: les émissions ne pouvaient avoir lieu qu'en dehors du trafic aérien - si l'avion traînait en vol, le programme était retardé - et à moins d'être très fortuné, il fallait construire soi-même un appareil de réception qui diffusait essentiellement des parasites.

Les passionnés qui ont fait le pas étaient encore peu nombreux: en 1923, les autorités n'avaient délivré que 980 autorisations de réception dans toute la Suisse! Mais ce n'était que le début de l'histoire…

>> Écoutez Roland Pièce, qui se souvient de quelques anecdotes des débuts de la radio :

Studio radio en Suisse dans les années 1920. [Keystone]Keystone
Emission sans nom - Publié le 1 septembre 1948

Les autres villes de Suisse emboîtèrent rapidement le pas à Lausanne et s'équipèrent d'émetteurs. A Bâle, à Zurich, à Saint-Gall, à Genève, des groupes de passionnés, souvent autour de chercheurs ou de scientifiques, s'organisent pour réaliser des essais de radiodiffusion.

La Confédération jugera bientôt utile de réglementer ce phénomène nouveau et confiera cette tâche à la Direction générale des Télégraphes. Elle doit notamment veiller "qu'un contrôle soit exercé dans l'intérêt de la défense nationale et de la sécurité publique".

Cette administration prend une décision qui produit des effets jusqu'à nos jours: elle décide que ces premiers essais de radiodiffusion seront financés par une "taxe d'audition" de Fr 10.-Les revenus de cette taxe étaient répartis entre les différents émetteurs en fonction de l'importance du réseau téléphonique.

La Maison de la radio à Genève en 1923, sur la piste de Cointrin. [Archives RTS - Photo Helios]
La Maison de la radio à Genève en 1923, sur la piste de Cointrin. [Archives RTS - Photo Helios]

Des sociétés se succèdent, en particulier à Genève et à Lausanne, qui obtiennent les droits d'utilisation des émetteurs. Les moyens étaient limités, il fallait de la passion et de la débrouillardise pour fonctionner! Dès le début, ces associations se sont mises au service de leur public.

Ainsi, la concession demandée par la Société Romande de Radiophonie à Lausanne prévoyait "l'émission de causeries, conférences, cours, concerts, etc.". A Genève, les premières sociétés à soutenir la radio furent les espérantistes et les coopérateurs, qui poursuivaient chacun de leur côté des buts idéaux. Soutenues par les municipalités, ces sociétés revêtaient toutes un caractère d'utilité publique, et ne poursuivaient aucun but lucratif.

Chapitre 3
François Vallotton, historien des médias

François Vallotton enseigne l'histoire de médias à l'Université de Lausanne. Il connaît bien la radio pour avoir passé pas mal de temps dans les archives! Nous lui avons demandé de nous faire un bref panorama de ces premières cent années d'histoire.

>> Regardez l'interview de François Vallotton :

Interview de François Vallotton, spécialiste de l'histoire des médias
100 ans de la Radio - Publié le 6 juillet 2022

Chapitre 4
La SSR et la naissance de Sottens

En Suisse comme dans le reste de l'Europe, la "radiophonie" se développe rapidement. Des émetteurs indépendants des aéroports sont installés - le premier en Suisse, près de Zurich.

Le public demande plus d'émissions, une meilleure qualité de diffusion, notamment dans les régions éloignées des émetteurs ou au relief montagneux. Il faut également renforcer la régulation et utiliser le peu de moyens de manière rationnelle.

A partir de 1928, des discussions approfondies ont lieu entre les neuf sociétés d'émissions en Suisse, dont celles de Genève et de Lausanne, et l'administration fédérale. Le débat entre centralisation et décentralisation, comparant les mérites d'une organisation à l'échelle nationale, régionale-linguistiques ou cantonale, est vif.

La question fut vite réglée en ce qui concerne les émetteurs. On décida de la construction d'un émetteur puissant par région linguistique. Ils seraient situés dans des zones centrales, propices à une diffusion dans toute la région. On choisit Sottens pour la Suisse romande, Beromünster en Suisse alémanique et le Monte-Ceneri au Tessin.

Employé sur une échelle de service d'un émetteur dans les années 1930. [Archives RTS - JNDUFO Bilde und Pressdienst Bern]
Employé sur une échelle de service d'un émetteur dans les années 1930. [Archives RTS - JNDUFO Bilde und Pressdienst Bern]

La responsabilité des programmes et de l'exploitation des studios était répartie entre l'administration centrale de la SSR et les studios, ce qui n'alla pas sans quelques tiraillements. Ainsi, pour desservir l'unique émetteur de chaque région, il fallait se partager le temps d'antenne: les lundis, mercredis et vendredis pour Genève, les mardis, jeudis et samedis à Lausanne. Plus un dimanche sur deux!

Restent deux éléments fondamentaux qui ont été fixés à cette époque, et qui perdurent jusqu'à nos jours. La mission de la SSR, fixée dans sa concession détaille - avec les mots de l'époque - un cadre de fonctionnement qui est toujours d'actualité. Indépendance, équilibre, respect du public et programmes sur ou pour la Suisse font toujours partie des valeurs défendues aujourd'hui.

"Le service de radiodiffusion doit poursuivre des buts idéaux, tout en sauvegardant les intérêts nationaux. Il doit s'effectuer dans un esprit d'impartialité. Il évitera tout ce qui pourrait porter atteinte aux bonnes moeurs et troubler la sécurité, la tranquillité et troubler l'ordre public à l'intérieur ou les bonnes relations avec les autres pays." Lit-on dans la Concession SSR de 1931.

D'autre part, on a vu apparaître une répartition des ressources de la SSR qui favorise les langues minoritaires, sans lien avec le nombre de locuteurs. En 1931, les programmes en allemand bénéficiaient de 50% du budget, le français 1/3 et l'italien 1/6. L'italien a pris du poids avec l'arrivée de la télévision, et on en est de nos jours à 44% allemand, 33% français et 22% italien, avec un petit pour cent pour le romanche.

Chapitre 5
La guerre et la transformation des programmes

La garde devant le studio de Genève, vers 1940. [Archives RTS - Photo Helios]
La garde devant le studio de Genève, vers 1940. [Archives RTS - Photo Helios]

Avec les hostilités, le besoin d'information grandit. Pour y répondre, le temps d'antenne s'allongea, mais surtout, on développa des formats de magazines d'actualité et de reportage qui n'existaient pas jusque-là. La création du Miroir du Temps en 1943, devenu Miroir du Monde, est de ceux-là.

Il obtint "un succès retentissant. Il fournissait des présentations inédites, conçues sous forme de montage, produisait des documents sonores, des témoignages des gens qui avaient vécu l'événement". L'émission aurait même été la première émission diffusée lors de la libération de Paris! Ce magazine d'actualité internationale était le pendant du "Micro dans la Vie" qui, dès 1941, écumait les moindres villages romands pour aller à la rencontre du public.

Marie-Claude Leburgue, Le Micro dans la Vie. Années 1940. [Archives RTS - Presse Diffusion Lausanne]
Marie-Claude Leburgue, Le Micro dans la Vie. Années 1940. [Archives RTS - Presse Diffusion Lausanne]

Il fallait aussi se distraire, et pour enrichir ses programmes, la radio de l'époque put s'appuyer sur les musicien.ne.s et chansonniers, suisses ou pas, qui fuyaient les pays en guerre. Jean Villard-Gilles fut de ceux-là. Il accepta le pari insensé d'écrire une chanson par semaine pendant une année. Entre humour et poésie, ces créations restèrent longtemps dans les esprits.

C'est encore durant la guerre que le régent et le syndic prirent l'habitude de se retrouver chez le caviste pour vider quelques décis, refaire le monde et commenter l'actualité locale, cantonale et fédérale. La malice de leur propos, mâtinée d'un bon sens bien vaudois fit mouche: "Le quart d'heure vaudois" prend l'antenne en 1941, et ne la quittera qu'en 1969 lors du décès de Samuel Chevallier, auteur des sketches avec Paul Budry.

Chapitre 6
Les émissions changent avec la société

Durant les années d'après-guerre, la radio a accompagné la rapide évolution sociale et économique qui a emporté la Suisse. C'était aussi son âge d'or: le million de concessions est passé en 1949 et on estime alors que 80% des familles sont équipées d'un poste de radio.

La radio est devenue le point de rassemblement de la famille, comme pourra l'être la télévision 30 ans plus tard. Beaucoup se souviennent encore du silence imposé à table durant le bulletin d'information. Ou du concert du mercredi. Ou de la pièce policière de lundi: on évitait tout rendez-vous à ce moment-là!

Informer, divertir, mais aussi faire comprendre le monde. Durant toute cette période, la radio a expliqué, montré, raconté une société en pleine évolution à ses auditeurs. Les premières "causeries" sur les droits politiques des femmes datent d'avant-guerre, et se prolongent après avec l'arrivée des premières femmes journalistes, Marie-Claude Leburgue, Lynn Anska, Yvette Z'Graggen ou Mousse Boulanger. Elles ne manqueront pas de promouvoir leurs idées dans le choix des sujets et les traitements de leurs émissions.

>> Écoutez l’émissions "Réalités" au lendemain de la votation du 7 février 1971 accordant le droit de vote aux femmes :

Femme suisse: droit de vote 1971 [RTS]RTS
Réalités - Publié le 8 février 1971

Le développement des transports et des moyens de transmission ouvre aussi largement les possibilités de reportage. La Radio, d'ailleurs, se fait une spécialité d'aller au contact de son public, de parcourir les places et les rues des villes et villages, parfois de manière originale. Il y eut le train, la diligence, ou plus simplement les voitures de reportage qui sillonnaient tout le pays.

RTS

Chapitre 7
De nouvelles chaînes pour répondre à de nouveaux besoins

C'est que le public change, ses goûts se diversifient, de nouveaux centres d'intérêt émergent. Les attentes sont différentes avec l'âge. La concurrence, possible depuis 1983 avec l'apparition des radios locales suisses, l'a bien compris et propose des formats qui s'appuient sur une programmation musicale originale ou des infos locales.

La RSR avait un peu anticipé, bousculée par l'arrivée des radios pirates à la fin des années 1970. En guise de test pendant 15 jours, au printemps 1981, une partie des émetteurs sont détournés pour diffuser un programme complètement nouveau. Essentiellement musical avec un peu d'infos, animé par une toute jeune équipe, "Egale 3" obtient un succès retentissant. 20'000 lettres parviennent aux studios, et les sondages indiquent une audience phénoménale!

Egale 3 fut un véritable tremblement de terre, qui réveilla la SSR et l’incita à créer une chaîne nouvelle sur le même principe! Pour ne pas laisser retomber le soufflé, on cède les nuits à la nouvelle équipe. Entre minuit et 6h, "Liste Noire" prépare le terrain à Couleur 3, qui verra le jour le 24 février 1982.

Lancement de Couleur 3 [TSR 1982]TSR 1982
Emission sans nom - Publié le 24 février 1982

Pour tirer parti de la fréquence en ondes moyennes de la Première, la RSR décide en 1994 de créer un quatrième programme. Option Musique rencontre un vif succès, et est bientôt également diffusé en FM.

La programmation orientée vers la chanson francophone (mais pas que) avec beaucoup d'artistes suisses (mais pas que) fonctionne si bien qu'Option Musique est aujourd'hui la deuxième station la plus écoutée en Suisse romande.

Option Musique est aussi la première à être passée au numérique. Si la chaîne est encore diffusée sur quelques émetteurs FM, elle s'écoute essentiellement en DAB+ et en streaming depuis 2010 et l'arrêt de l'émetteur ondes moyennes de Sottens.

Chapitre 8
La radio se transforme pour rester au service du public

La radio reste le reflet de la société. L'émergence de l'écologie, les questions de santé et de consommation, l'apparition des nouvelles technologies, les questions de genre, la mobilité ont largement été débattues sur les antennes de la radio.

Comme à ses débuts, la radio se met au service de celles et ceux qui l'écoutent. Pour ce faire, elle a entrepris un profond processus de transformation. Les contenus audio produits par la RTS sont non seulement diffusés de manière traditionnelle, mais sont disponibles en rattrapage à tout moment; les réseaux sociaux et les plateformes de diffusion relaient une partie de la production radiophonique, pour toucher le public là où il se trouve.

Le futur bâtiment de la RTS à l'EPFL. [RTS]
Le futur bâtiment de la RTS à l'EPFL. [RTS]

Le langage radiophonique lui-même évolue, avec l'apparition de la radio filmée ou du podcast, qui ouvrent la porte à de nouvelles manières de faire de la radio.

Pour accueillir ces changements, la RTS construit un nouveau bâtiment à Lausanne sur le campus de l'EPFL. Il consacre la convergence technique et éditoriale du son et de l'image: il accueillera non seulement la presque totalité de la production audio de la radio, mais également les rédactions audio et vidéo de l'actualité, et des studios destinés indifféremment à la production audio ou vidéo dans le domaine de la musique ou du divertissement. Ce sera pour 2025. On se réjouit!

>> Voyez la présentation du nouveau bâtiment de la RTS : Présentation du nouveau bâtiment de la RTS

Chapitre 9
Focus

"Un événement sans précédent dans les annales de l'alpinisme et de la radio!"

Le Cervin filmé en 1965. [RTS]RTS
Emission sans nom - Publié le 6 août 1950




C'est ainsi que Radio-Lausanne présentait, en 1950, un projet fou pour l'époque - et qui ne serait sans doute pas complètement anodin aujourd'hui. Des reporters, accompagnés de guides et porteurs, ont réalisé l'ascension du Cervin en commentant (en anglais et en français!) leur parcours.

Pour ce faire, il a fallu concevoir un appareillage technique spécifique qui permettait aux alpinistes de rester en contact avec la station relais du Hörnli. L'opération eut un retentissement considérable, et fut relayée par des stations en Europe, aux États-Unis au Canada, et jusqu'en Australie et en Nouvelle-Zélande.

L'émetteur de Sottens

L'antenne de Sottens est un symbole. Elle a assuré la diffusion de programmes de la Radio Suisse Romande entre 1931 et 2010. Le nom de cette petite commune du Gros-de-Vaud apparaissait sur les cadrans de toutes les radios, faisant d'elle une des localités les plus connues du pays, en Suisse et à l'étranger!

On raconte toutes sortes d'anecdotes sur la vie près d'une telle antenne. On pouvait, paraît-il, écouter la radio avec une simple casserole et certains disaient même que les vaches de Sottens pouvaient faire des étincelles!

L'antenne d'origine de 125 mètres existe toujours. En 1989 cependant, elle est devenue antenne "de réserve" aux côtés d'un nouveau pylône de 188 mètres. L'exploitation du site pour la diffusion de programmes radio a cessé en 2010 et la grande antenne a été détruite en 2014. La petite fait partie de patrimoine romand et est classée site historique d'importance nationale.

Les deux antennes de Sottens, en 2014. [RTS - Jessica Genoud]
Les deux antennes de Sottens, en 2014. [RTS - Jessica Genoud]