La charia

Grand Format

Fondation Martin Bodmer

Introduction

Définition(s)

Dans sa définition la plus ouverte, la charia désigne l’ensemble des prescriptions morales et juridiques autour desquelles s’organise la vie des musulmans. On lui prête souvent le synonyme de Loi, bien que cela mérite quelques précautions (voir plus bas). La charia se fonde sur le Coran et la Sunna du Prophète, la seconde source écrite de l’islam, qui recueille les paroles et gestes (hadiths) du Prophète Mohammed.

La charia concerne aussi bien la vie cultuelle que les relations sociales et touche à ce titre à la fois à la dimension individuelle du croyant qu’à la dimension collective de la société réunissant les croyants.

Donc au sens large, la charia désigne la voie à suivre pour respecter la volonté de Dieu. Dans un sens plus serré, elle désigne l’ensemble des recommandations émises par des théoriciens du droit musulman. Au sens étroit, elle désigne la loi islamique codifiant la vie religieuse, politique, sociale et individuelle.

Etymologie et sens du mot charia, entre "voie" et "loi"

Le terme arabe est الشَّرِيعَة  – Ash-sharî`a, issu de la racine šaraʿa, qui signifie "ouvrir, devenir clair". Il n’est pas doté en arabe d’un sens propre, évident ou universel, et signifie par extension "la voie", "le chemin qui mène à la source".

Le mot charia au sens propre n’apparaît qu’une seule fois dans le Coran :

"Nous t’avons ensuite placé sur la Voie légale qui procède de Notre Ordre. Applique-toi à la suivre ! Ne suis pas les passions de ceux qui ne savent pas." Sourate 45, verset 18

La notion de charia n’a pas signifié de tous temps l’idée d’une loi définie et immuable, loin de là. La charia recouvre bel et bien l'idée d'une Loi divine, puisqu'elle indique le chemin à suivre prescrit par Dieu. Mais la compréhension de la loi ne peut se faire sans l'effort intellectuel des hommes. De ce point de vue, la charia n'est pas le tout de la Loi, et la Loi est composée de deux pôles indissociables: charia et fiqh, que certains traduisent par le couple Loi révélée (charia) et droit positif (fiqh).

La charia peut donc ainsi être comprise comme "la virtualité du droit, le socle intangible qu'il s'agissait de traduire dans les formes changeantes des règles juridiques". (Loiseau, p. 176)

Comment la charia est devenue la Loi dans le "monde musulman"

Historiquement, les savants musulmans ne parlaient pas de charia et ne prétendaient pas la connaître jusqu’au XIXe siècle, voire jusqu’au XXe siècle. La raison: seul Dieu, source de la Loi divine, peut prétendre la connaître en entier, et l’homme commet un péché s’il prétend équivaloir à Dieu. Wallâhu A'lam: Dieu sait mieux.

C'est par l'expansion coloniale européenne que l'Occident s'est intéressé aux questions du droit musulman au tournant des XVIIIe et XIXe siècles. D'une certaine manière, la notion de droit musulman est une construction scientifique apparue pour comprendre le phénomène de la normativité dans les sociétés musulmanes. "Ce phénomène existait bel et bien avant que la science orientaliste ne s'y intéresse, mais pas la catégorie". (De quoi la charia est-elle le nom?, p. 9)

Les puissances coloniales avaient la volonté de cerner les formes juridiques des régions colonisées pour asseoir leur pouvoir et maintenir l'ordre social, "quitte à rapporter à des catégories occidentales des questions qui, a priori, n'étaient pas formulées en ces termes". (idem, p. 9). On commença donc à analyser les réalités des sociétés musulmanes avec les catégories de "statut personnel", "droit pénal", "droit public" et "droit privé" qui n'étaient pas utilisée jusque là par les savants musulmans. Ainsi, la perspective orientaliste occidentale de vouloir saisir les contours du droit musulman a participé à en solidifier les bases dans les sociétés concernées.

La charia aujourd’hui pour les musulmans

Le droit musulman n'as pas d'autorité en soi ; il correspond à des situations ponctuelles où les gens s'orientent vers quelque chose qu'ils identifient comme étant du droit fondé religieusement et dont ils reconnaissent l'autorité, participant de ce fait aussi bien à la production de cette autorité qu'à sa réactualisation. " (idem, p. 16).

Si les musulmans croyants perçoivent le terme comme une loi sacrée, la charia est aussi perçue par certains musulmans comme un idéal collectif, auquel on se réfère pour invoquer une société plus juste et plus morale, notamment en réaction à l'occidentalisation de l'État et de la société dans plusieurs pays musulmans.

Enfin, dans certains pays musulmans, la charia a été érigée en projet de société comme une alternative à l'occidentalisation. Dans ce mouvement, la charia devient légaliste et on n'en  " que ce qui est en contradiction flagrante avec la culture politique et juridique occidentale : principalement, la minorité légale des femmes, l'infériorité légale des non-musulmans et l'application des châtiments physiques édictés par le Coran. " (Qu'est-ce que la charia ?, p. 174). Les pays concernés sont l'Arabie saoudite, certains États du Soudant et du Nigéria, l'Afghanistan des Talibans.

La plupart des pays musulmans font référence à l'islam ou à la loi islamique dans leur Constitution ou leur loi fondamentale. On mentionne alors tour à tour la charia, l'islam ou le fiqh. Mais souvent, on ne précise pas de quels principes il s'agit, ni à quelle école juridique il faut se référer. Cela est donc d'abord de l'ordre symbolique ou reste limité à certains domaines, comme le droit de la famille. Se référer à la charia pour un régime peut servir à affirmer son autorité, renforcer sa légitimité et parfois contrebalancer la montée de l'opposition islamiste.

Certains pays comme la République islamique d’Iran ou l’Arabie Saoudite appliquent la charia de façon rigoureuse dans tous les domaines de la vie publique et privée, parfois en contradiction avec la Déclaration universelle des droits de l'homme de l'ONU. Dans le monde arabo-musulman, de nombreuses formations politiques demandent l’application de la charia. Selon les chercheurs, rares sont celles d’entre elles qui ont un programme détaillant son contenu.

Ce qui choque bien souvent dans l'application de la charia, ce sont les hudûd, les peines légales prescrites par le Coran et la Sunna, qui consistent en des châtiments corporels. Le Coran fixe ainsi sept crimes dans cette catégorie : la fornication et l'adultère, la fausse imputation de crime, la consommation de boisson fermentée, le vol, le banditisme, l'apostasie et la rébellion.

Dans les enseignements théologiques qu’il donne via les médias musulmans francophones et dans ses ouvrages, Tariq Ramadan insiste sur l’étymologie du terme (" voie ", " chemin qui mène à la source ") et définit la charia comme la référence qui doit orienter la vie du fidèle, sa pensée et son intelligence, le chemin de la fidélité à Dieu. Il insiste avant tout sur la dimension existentielle de cette notion.

Dans les pays occidentaux, la question de la charia fait débat, et certains pays adoptent des dispositions anti charia. C'est le cas de plusieurs États des États-Unis d'Amérique, mais la constitutionnalité de ces dispositions fait débat. Le combat contre la charia continue pourtant, notamment par des pétitions en ligne.

La charia et la Suisse

En Suisse comme dans d'autres pays occidentaux, certains craignent que la charia puisse " être appliquée " et prennent des mesures pour contrer cette éventualité.

En 2007, le député UDC zurichois Ulrich Schlüer a interpellé le Conseil fédéral en envisageant que l’introduction de la charria puisse être réclamée par initiative populaire et demandait dans quelle mesure appliquer la charia en Suisse serait envisageable sans heurter de façon irrémédiable aux droits fondamentaux ancrés dans la Constitution fédérale.

Le Conseil fédéral a répondu que l'appareil constitutionnel et juridique suisse interdit en soi que toute autre référence juridique puisse être appliqué sur le territoire helvétique.

En 2009, le socio-anthropologue Christian Giordano publiait un article dans le bulletin Tangram de la Commission fédérale contre le racisme, où il  envisageait que chacun puisse choisir en partie la juridiction ou le tribunal qui correspond à son origine, selon son ethnie ou sa religion. L’un des arguments du Pr. Giordano est qu’il vaut mieux pour l’Etat reconnaître les institutions qui représentent une forme de justice parallèle au sein des communautés issues de l’immigration plutôt qu’en nier l’existence.

Sans que le mot charia ne figure dans l’article de M. Giordano, tout le monde a compris qu’il en était question, et les réactions de protestation ont été très vives, notamment de la part de chrétiens de différents bords, dont le Parti évangélique suisse (PEV) et la Fédération des Églises protestantes de Suisse (FEPS). Outre la défense d’un système juridique unique pour l’ensemble de la société, sans régime d’exception ou de discrimination, la question de la considération de la femme au regard de la charia fut souvent relevée dans cette opposition.

En 2011, la question de l’avancée du droit islamique de la famille en Suisse a fait polémique, notamment dans les médias alémaniques. En cause : le mariage effectué par un imam plutôt que par l’état civil. Or des juristes ont souligné que les tribunaux suisses et les autorités administratives appliquent ce droit depuis des années, conformément à la loi fédérale sur le droit international privé de 1987. Pourtant, contrairement à d’autres pays européens, en Suisse, c’est le lieu de résidence des époux concernés qui détermine le droit qui doit s’appliquer, non-pas la nationalité.

En 2014, l’Union vaudoise des associations musulmanes (UVAM) a décidé d’adopter un document commun sur ces questions, contraignant les 15 des 17 centres islamiques du canton qui s’y rattachent. Ce document exclut explicitement toute volonté de recours explicite à la charia. "Religieusement, moralement et par bon sens, les musulmans respectent la loi du lieu où ils se trouvent. Le cadre légal suisse actuel permet aux musulmans de vivre leur religion", précise le document. L’organisation faîtière des musulmans vaudois condamne très clairement la violence et le terrorisme "contraire aux enseignements de l’islam" (24 Heures).

En 2014 encore, le Conseil central islamique suisse présidé par Nicolas Blancho publiait un message vidéo dans lequel il se distançait des violences de l’extrémisme islamique sous le titre : " la charia interdit la violence contre ceux qui ne sont pas concernés ".

Sources

Le Coran. Nouvelle traduction française du sens de ses versets par Mohammed Chiadmi, Lyon : Éditions Tawhid, 2007 (2004).

Baudouin Dupret, De quoi la charia est-elle le nom ?, in : Alternatives internationales, 2012/6 (n+ 55), éditions Alternatives économiques

Baudouin Dupret, La Charia en dix points… et quelques raccourcis, Fondation Res Publica, 5 juin 2013

Julien Loiseau, Qu’est-ce que la charia ?, in : Le Débat, 2012/4 n° 171, pp. 172-178, éditions Gallimard

Abdelwahab Meddeb, Sortir de la malédiction. L’islam entre civilisation et barbarie, Paris : Le Seuil, 2008.

Janine et Dominique Sourdel, Dictionnaire historique de l’islam, Paris : Presses Universitaires de France, 1996. , Paris : Presses Universitaires de France, 1996.

Christian Giordano, Il pluralisme giuridico: uno strumento légale niella gestions del multiculturalismo ? (Le pluralisme juridique: un outil pour la gestion du multiculturalisme ?), Tangram 22, 12/2008, p. 72

Ulrich Schlüer, Introduction de la charia en Suisse, parlament.ch, 07.3440 – Interpellation

Suisse : introduction partielle de la charia ? Hors de question selon le parti évangélique, Bonne Nouvelle, 26.01.2009

Une Charia en Suisse ? Impensable ! Swissinfo, 19 janvier 2009

Les musulmans vaudois clarifient leur positions. Charia, terrorisme, place de la femme : l’Union vaudoise des associations musulmanes adopte un document qui doit faire référence (24Heures, 30.05.2014)

Pew Research Center, Religion & Public Life, The World's Muslims : Religion, Politics and Society. Chapter 1 : Beliefs About Sharia

«La charia interdit de faire régner la terreur en Suisse», Tribune de Genève, 25.09.2014

Glossaire religieux des éditions Agora.

Qu’est-ce que la Charia ? par Professeur Tariq Ramadan (en français)

Application of sharia law by country (Wikipedia)

La charia et la culture

Outre Charlie Hebdo et son numéro spécial "Charia Hebdo" en 2011, on trouve peu de réappropriations artistiques autour de la charia. En 2008, The Kominas un groupe de punk musulman américain, a enregistré la chanson Sharia Law in the USA, qui parodie notamment  Anarchy in the UK des Sex Pistols. Une manière de se moquer et questionner l'islamophobie croissante aux États-Unis.

The Kominas: "Sharia law in the U.S.A" (vidéo)

Sources:

Le Coran. Nouvelle traduction française du sens de ses versets par Mohammed Chiadmi, Lyon : Éditions Tawhid, 2007 (2004).

Baudouin Dupret, De quoi la charia est-elle le nom ?, in : Alternatives internationales, 2012/6 (n+ 55), éditions Alternatives économiques

Baudouin Dupret, La Charia en dix points… et quelques raccourcis, Fondation Res Publica, 5 juin 2013

Julien Loiseau, Qu’est-ce que la charia ?, in : Le Débat, 2012/4 n° 171, pp. 172-178, éditions Gallimard

Abdelwahab Meddeb, Sortir de la malédiction. L’islam entre civilisation et barbarie, Paris : Le Seuil, 2008.

Janine et Dominique Sourdel, Dictionnaire historique de l’islam, Paris : Presses Universitaires de France, 1996. , Paris : Presses Universitaires de France, 1996.

Christian Giordano, Il pluralisme giuridico: uno strumento légale niella gestions del multiculturalismo ? (Le pluralisme juridique: un outil pour la gestion du multiculturalisme ?), Tangram 22, 12/2008, p. 72

Ulrich Schlüer, Introduction de la charia en Suisse, parlament.ch, 07.3440 – Interpellation

Suisse : introduction partielle de la charia ? Hors de question selon le parti évangélique, Bonne Nouvelle, 26.01.2009

Une Charia en Suisse ? Impensable ! Swissinfo, 19 janvier 2009

Les musulmans vaudois clarifient leur positions. Charia, terrorisme, place de la femme : l’Union vaudoise des associations musulmanes adopte un document qui doit faire référence (24Heures, 30.05.2014)

Pew Research Center, Religion & Public Life, The World's Muslims : Religion, Politics and Society. Chapter 1 : Beliefs About Sharia

«La charia interdit de faire régner la terreur en Suisse», Tribune de Genève, 25.09.2014

Glossaire religieux Les Éditions Agora

Qu’est-ce que la Charia ? par Professeur Tariq Ramadan (en français)

Application of sharia law by country (Wikipedia)