Les compagnies d'aviation bon marché : comment font-elles pour proposer des prix aussi bas ? Qui en paie le prix ? Comment les consommateurs sont-ils protégés ? ABE a fourré son nez sous le capot des réacteurs.
Les supporters en avion
C'est l'histoire d'un groupe de 4 supporters romands de notre belle équipe nationale désireux de se rendre à Dublin en Irlande pour le match Eire–Suisse du 12 octobre dernier. La mission : voyager le moins cher possible. Avec une compagnie classique, la semaine avant le match, les billets disponibles oscillent entre 850 et 1200 CHF aller-retour.
Après une rapide recherche sur Internet, une première découverte: Ryanair, la plus grande low-cost d'Europe, propose des vols Paris-Dublin pour 3 centimes d'euro le vol. En comptant les taxes et les frais divers, l'aller-retour Paris-Dublin revient finalement à 41 euros 50 par personne, soit environ 64 CHF le billet. Seulement, à ce prix-là, il faut partir tard dans la soirée, le jour avant le match !
Bien sûr, il faut encore se rendre à Paris. Le choix se porte cette fois sur easyJet . Pour assurer la correspondance avec Ryanair, nos supporters réservent le vol aller Genève-Paris de 16h10, le 11 octobre, pour 272.45 CHF par personne, taxes comprises. Pas vraiment bon marché. De plus, à l'aéroport, nos supporters doivent enregistrer tout seuls leurs bagages et imprimer leurs cartes d'embarquement sur des bornes électroniques, puis coller eux-mêmes les étiquettes sur leurs valises.
Une heure cinq de vol pour atteindre Paris, l'occasion de méditer sur cet aller à 272.45 CHF.
Frédéric Beniada est le journaliste expert d'aviation à France-Info :
« Vous pouvez voyager sur du low-cost, sur Paris-Genève, à partir de 15 ou 20 euros, à condition de vous y prendre un ou deux mois à l'avance. Plus on va se rapprocher de la date de départ et plus le tarif en fonction du taux de remplissage de l'avion va augmenter. Ce qui fait que si vous réservez la veille pour le lendemain, vous allez payer parfois beaucoup plus cher que sur une compagnie traditionnelle ».
« Pour voyager peu cher, il faut aussi partir dans des heures qui ne sont pas forcément les plus pratiques. On a regardé pour des week-ends en partant le vendredi soir, après le travail, c'est quand même vite cher... »
« Evidemment, si vous partez le vendredi soir pour un week-end à Lisbonne, vous avez de grandes chances pour que l'avion soit plein, surtout si vous vous y prenez le jeudi pour le vendredi. Mais, en vous y prenant un ou deux mois à l'avance, vous trouverez des tarifs très bon marché sur les compagnies low-cost. »
L'histoire des compagnies low-cost, ou compagnie à coûts réduits, commence en 1971 avec la création de Southwest aux Etats-Unis. Depuis, de nombreuses compagnies ont repris le flambeau dans le monde. Le principe, toujours le même: transporter le moins cher possible des passagers d'un point A à un point B en limant au maximum les coûts de fonctionnement de la compagnie. Pour faire baisser ces coûts, les idées ne manquent pas: on développe la réservation par Internet, on augmente le nombre de sièges, on ne vole que sur un type d'avion, on augmente le nombre de vols par jour de chaque avion, etc.. L'économie la plus visible pour les passagers, c'est la suppression des boissons et des repas gratuits à bord...
Siobhan Creaton, journaliste, a écrit un livre consacré à Ryanair :
« Cela économise de l'argent, mais ce ne sont pas les plus grandes économies que l'on peut faire. Toute l'idée, c'est de réduire les attentes des gens. C'était l'une des choses les plus évidentes à faire lorsque des compagnies ont commencé à baisser les tarifs. Faire réaliser aux gens que si vous payez moins, vous aurez moins de service. C'était une manière très tangible de le montrer aux passagers, quelque chose que tout le monde allait remarquer puisque jusque là, quand vous montiez dans un avion, vous aviez toujours une boisson ou un repas gratuit et soudain, ça a changé... L'idée, c'est qu'aujourd'hui le marché entre vous et la compagnie est différent d'avant : vous pouvez voler moins cher, mais notre service s'arrête là. »
« Mais ils pourraient offrir des vols pas chers tout en nous donnant un jus d'orange ? »
« Je suis certaine qu'ils le pourraient, mais ils ne vont pas le faire, parce que cela engendre des coûts qu'ils n'ont pas besoin de prendre en charge à ce stade. »
Si les compagnies low-cost ont réussi à démocratiser encore un peu plus le transport aérien, c'est aussi grâce à un système de réservation et de tarification en temps réel qui permet des prix d'appel incroyablement bas sur certains billets. Mais attention, pour que la compagnie puisse gagner de l'argent, tout le monde ne vole pas à bas prix. La preuve:
Frédéric Beniada : « Lorsque l'on calcule le prix moyen du billet, on s'aperçoit qu'il n'y a pas une énorme différence. Pour un Paris-Genève avec easyJet, il est à peu près de 53 euros, il est d'un peu plus de 60 euros sur Air France... »
Pendant ce temps, nos supporters sont arrivés à Paris-Orly. Pour continuer leur voyage vers Dublin, il leur faut maintenant changer d'aéroport. C'est-à-dire une heure en transports en commun et des coûts supplémentaires: le train Orlyval, le RER, puis le métro: en tout, 9 euros 05 par personne.
Ensuite, direction la Porte Maillot, au nord-ouest de Paris, pour prendre le bus qui doit les amener à l'aéroport de Beauvais-Tillé, à 92 kilomètres de Paris. Evidemment, dans ses documents, la compagnie Ryanair préfère l'appeler « aéroport de Paris-Beauvais ». Il ne faut pas traîner, les directives de la compagnie sont strictes: on doit arriver à l'arrêt du bus 3h15 avant le départ de l'avion. Prix du bus, aller simple: 13 euros par personne.
19h45 : Après un repas pris sur le pouce, c'est une heure de voyage en car qui attend nos amoureux du sport. Ryanair, c'est la compagnie européenne qui a poussé le modèle low-cost le plus loin.
Siobhan Creaton:
« C'est très peu cher pour eux de voler vers de petits aéroports qui n'ont pas d'infrastructures sophistiquées. Ils négocient de très bon prix avec ces aéroports, parfois ils y vont même pour rien. Certains de ces arrangements ont même été mis sous enquête par la Commission européenne. La petitesse de ces aéroport leur permet aussi de faire repartir leurs avions en 25 minutes seulement et donc de faire plus de vols par jour. »
« Ils ont déjà fait des économies avec leur énorme flotte d'avions achetée très peu cher à Boeing. Il faut dire qu'ils ont tendance à acheter des avions quand personne d'autre n'en achète dans le monde. Par exemple, ils ont placé leur plus grosse commande juste après les 'attentats du 11 septembre 2001, alors que beaucoup de compagnies étaient au bord de la faillite aux Etats-Unis... Ils se sont toujours débrouillés pour obtenir de très bon prix. »
« Ils poussent les économies à un tel niveau qu'ils ne donnent même pas de stylos gratuits à leurs employés. De même, si vous êtes un employé, vous ne pouvez pas avoir un verre d'eau gratuit à bord des avions. Ils rationnent au maximum le papier auxquels les pilotes ont droit pour imprimer les rapports météo. Dernier exemple, ils ont interdit à leur staff de recharger leurs téléphones portables au travail, parce que cela consomme leur électricité ! »
A bord de l'avion, on peut acheter à boire et à manger, mais aussi, ce jour-là, des visites touristiques de Dublin et des billets de loterie. Nos supporters n'ont pas résisté à la tentation de gagner une voiture, mais ce soir-là, la chance n'était pas de leur côté.
Après un dernier spot de publicité, c'est à 23h10 heure locale, donc minuit 10 heure suisse, avec 25 minutes d'avance sur l'horaire, que nos supporters débarquent sur le sol irlandais. Depuis leur modeste logis genevois, il leur a donc fallu plus de 10 heures de voyage pour rejoindre Dublin. Un voyage moins cher que sur une compagnie traditionnelle, certes, mais qui a demandé un certain courage sportif. La passion du foot déplace les montagnes, on le sait bien.
Finalement, la prochaine étape des compagnies low-cost ce sera quoi ? Des vols complètement gratuits? Au Irish Times de Dublin, la journaliste Siobhan Creaton est catégorique: pour elle, c'est exactement l'idée de Michael O'Leary, le PDG de la compagnie.
« Il dit que d'ici dix ans tous leurs vols seront gratuits. Pour dire cela, il se base sur le fait qu'ils feront assez d'argent ailleurs : sur leur site web où l'on peut réserver des hôtels, des voitures de location, emprunter de l'argent, etc.. Ils vous vendent aussi des produits à bord. Ils passent des arrangements avantageux avec les aéroports. En plus, comme ils amènent un énorme trafic dans ces régions, ils reçoivent beaucoup d'aide localement en marketing et publicité. Finalement, plus ils arrivent à faire voler le nombre adéquat de passagers en fonction de leurs capacités, plus c'est économique de voler. Donc, s'ils parviennent à maintenir leurs coûts de fonctionnement très bas en augmentant régulièrement leur nombre de passagers, il se pourrait que dans dix ans tous leur billets soient gratuits... »
Le Pilote
Pendant de nombreuses années, notre témoin a piloté des avions dans des compagnies traditionnelles. Il travaille aujourd'hui chez Ryanair et il nous raconte tout d'abord sa journée de travail moyenne. Rythme de travail serré, pression continue pour que l'avion reste le moins de temps possible à terre, une partie du salaire payé en fonction des heures volées : le pilote de Ryanair est confronté avec un contexte de travail qui se différencie des compagnies aériennes de ligne. Un environnement professionnel conçu pour que tous les coûts pour la compagnie soient réduits au stricte minimum, au point de rendre les conditions de travail difficilement supportables
Interview pilote uniquement disponible en vidéo
Un phénomène de tournus fréquent de personnel que l'on retrouve aussi dans les fast-food et les hard-discounters. Des conditions de travail extrêmes qui ne poussent pas à fidéliser les employés. Reste une question: ce modèle économique est-il vraiment avantageux pour le consommateur. En d'autres termes, que perd-t-on exactement au niveau confort, service, rapidité et garantie d'acheminement en payant parfois moins cher? Pour tenter de répondre à cette question, un enquêteur d'ABE a réalisé 18 vols entre Genève et 4 capitales européennes: Rome, Paris, Madrid et Londres, en semaine et le week-end. Il a emprunté 6 compagnies différentes et visité un total de 8 aéroports. Voici la synthèse de ses observations:
Le Test
Du côté des Sièges
Avec 66 centimètres d'espace seulement entre les deux sièges, il vaut mieux ne pas être claustrophobe sur un vol easyJet, surtout si la personne assise devant nous rabat son siège pour faire une sieste.
Plus d'espace sur Alitalia, de 72 à 74 centimètres, mais la qualité n'est pas au rendez-vous, à chacun de nos passages, le plastique du siège s'affaissait sous le poids de notre dos. De plus, dans un cas, le dossier ne parvenait pas à rester droit. C'est gênant.
Iberia, Air France et Swiss offrent des places confortables pour nos jambes avec 74 à 76 centimètres à disposition entre les dossiers. Une bonne note à Swiss pour la finition de ses sièges.
Le meilleur confort, c'est British Airways. 80 centimètres d'espace pour un voyage confortable assis dans une vraie place assise, qui brille par la qualité de sa finition et par son appuie tête réglable.
Pour finir, rappelons que le fait d'avoir des places attribuées permet d'éviter les bousculades à l'intérieur de l'appareil – surtout si celui-ci est plein. La place attribuée demeure un confort appréciable et apprécié. Dommage qu'easyJet ne pratique pas ce système.
La Courtoisie
Même si aujourd'hui on prend l'avion presque comme le bus, la courtoisie et l'attention du personnel demeure tout de même une qualité appréciée.
Sur easyJet, on vous accueille souvent les bras croisés, sans un bonjour, est-ce un symbole de la compagnie? Le personnel brille le plus souvent par son absence lorsqu'il s'agit de ranger les bagages, par exemple.
Sur Alitalia et Iberia, rien de bien folichon à signaler, alors que chez Swiss, tradition oblige, on nous offre des chocolats.
En tout cas, nous nous sentons vraiment hôtes sur Air France et British Airways où la courtoisie est de mise. Les seules compagnies où l'on nous a demandé si tout allait bien et si l'on avait besoin de quelque-chose.
EasyJet utilise des aéroports secondaires comme Orly à Paris et Ciampino à Rome. Ceux-ci sont petits, pratiques et à mesure humaine en semaine, parce qu'il ne sont pas très fréquentés. Le week-end, c'est le contraire : quand il y a du monde, ils paraissent spartiates et sous-dimensionnés: toilettes et places assises en nombre insuffisants, surfaces réduites, longues files aux contrôles et embarquement pas confortable.
Les Horaires
La moitié des vols effectués sont partis en retard de 15 à 30 minutes. C'est assez ennuyeux car, vu les obligations d'enregistrement à l'avance, on a dû attendre au moins une heure en salle d'embarquement. Et, dans des aéroports comme Rome-Ciampino ou Paris-Orly, on attend souvent debout et il vaut mieux prévoir de s'acheter à boire avant. Au final, ces retards sont souvent rattrapés en partie durant le vol, puisque sur 18 vols effectués, 6 sont arrivés en retard de 10 à 15 minutes et 2 vols seulement ont eu un retard à l'arrivée qui dépassait 15 minutes.
Les Prix
Est-il toujours moins cher de voyager depuis Genève avec easyJet ? Non, pas toujours. Un exemple: nous décidons le 19 octobre de passer une fin de semaine à Paris. Départ à 20 heures de Genève, après le travail. Le dimanche soir, départ de Paris autour des 20 heures aussi, histoire de bien profiter du week-end.
Résultat: pour le week-end du 28 au 30 octobre : sur easyJet, ça coûte 280 CHF aller-retour tandis que sur Air France le prix est de 265.50.
Et en réservant plus à l'avance? Pas de chance pour le week-end du 18 au 20 novembre, Air France est toujours à 265.50, tandis qu'easyJet monte à 325.10.
Il faut réserver pour le week-end du 16 au 18 décembre, soit deux mois à l'avance, pour qu'easyJet devienne enfin moins cher: 180 francs contre 245.
Nous avons aussi calculé pour Madrid, Rome et Londres: même en réservant 2 mois à l'avance, easyJet est parfois moins cher et parfois plus cher que les compagnies traditionnelles. Une chose est sure: il vaut toujours la peine de comparer.
Madeleine Savina a vécu la suppression d'un vol easyJet au départ de Nice. La compagnie lui a proposé de rentrer que cinq jours plus tard. Ce n'était pas une proposition acceptable et Madeleine Savina a dû supporter les frais : une nuit d'hôtel et le prix du billet retour en train. Seul remboursement : le prix du billet.
Interview uniquement disponible en vidéo
Jean- Marc Thévenaz directeur d'easyJet suisse répond aux questions d'Isabelle Moncada
Interview disponible en vidéo
Comme l'information n'est pas le fort des compagnies aériennes, on vous conseille de lire attentivement le nouveau droit européen des passagers en vigueur depuis le 17 février dernier, vous trouverez ci-contre le lien avec le document de la Commission européenne. En résumé, ce document prévoit des indemnisations en cas de surréservation, le fameux et détestable overbooking, mais aussi le remboursement du billet et des indemnisations forfaitaires en cas de retard de plus d'une heure ou d'annulation de vols. Les passagers lésés doivent être remboursés dans les 7 jours, faute de quoi il faut porter plainte. Ce droit prévoit que la compagnie propose automatiquement ces indemnisations, mais dans la réalité, qui ne revendique rien risque bien ne rien obtenir ! Donc, comme toujours, bagarrez-vous! Ce droit vaut pour toutes les compagnies européennes. Comme la Suisse n'est pas membre de l'Union européenne, Swiss et flybaboo ne l'appliquent pas au départ des aéroports helvétiques. EasyJet suisse en revanche s'est engagé à l'appliquer au départ et à destination de la Suisse.