C'est un vrai problème de santé publique qui nous coûte cher, en consultations médicales, en consommation de médicaments, en absentéisme... Mais plus on dort mal, plus les marchands de sommeil se frottent les mains.
Dormez, je le veux : l'injonction des hypnotiseurs ne marche pas
avec plus d'un tiers de la population suisse. Nous souffrons de
trop de stress, d'une hygiène de vie qui laisse à désirer, ou de
pathologies psychologiques et physiologiques diverses. C'est un
vrai problème de santé publique qui nous coûte cher, en
consultations médicales, en consommation de médicaments- toujours
plus d'ailleurs- en absentéisme. Mais plus on dort mal, plus les
marchands de sommeil se frottent les mains. A commencer par les
grandes surfaces comme Ikea.
Bien choisir sa couche
Le magasin d'Aubonne vend plus de
6000 matelas par année, le plus cher est à moins de 1000 francs.
Mila Martinez, vendeuse au rayon literie, constate : « en
Suisse on aime les matelas fermes. Mais on se rend compte qu'il
faut des matelas qui respectent le dos et soient garant d'un bon
sommeil. »
Pour bien dormir, priorité au matelas, le sommier ne compte que
pour un tiers dans le confort. Faut-il forcément mettre beaucoup
d'argent ? Pour Bruno Bondy, chef des ventes chez Ikea: « le
plus cher sur le marché n'est pas forcément le meilleur. »
On voit les choses autrement chez
Elite, l'un des seuls fabricants de matelas en Suisse romande,
situé juste à côté du géant d'Aubonne. Ici, tout se fait
manuellement. Il faut une vingtaine d'heures pour un sommier sur
mesure. Pour les matelas, on part d'un noyau déjà existant. En 5 à
6 heures de travail, on lui ajoute les différentes couches de
mousse, laine vierge, crin de cheval et autres housses de soie ou
coutil de coton. Elite produit environ 2000 matelas par année, les
traditionnels à ressorts Bonnell biconiques, le haut de gamme à
ressorts ensachés, et les différents types de matelas mousse, dont
le latex naturel. Les critères d'un bon matelas sont le confort du
dos, la température et la ventilation permettant d'évacuer
l'humidité et d'assurer l'hygiène du matelas. Selon les fabricants,
on privilégie un critère plutôt que d'autres. Pour Francois
Pugliese, directeur d'Elite: « l'important, c'est la
ventilation, le meilleur, c'est le matelas à ressorts. Le latex
n'est pas du tout perméable, il est important qu'il soit perforé.
Le rembourrage doit assurer la ventilation. On perd entre 3 et 5
décilitres d'eau par nuit, il faut donc des rembourrages qui
absorbent bien et rejettent aussi l'humidité. »
Le meilleur rembourrage de ce point de vue, c'est la laine vierge.
En taille 160 par 200, il faut compter entre 1200 fr. pour un
matelas à ressorts Bonnell et 2100 fr. pour un matelas en latex
naturel rembourré en crin de cheval et laine vierge. Plus du double
du meilleur matelas d'Ikea.
Chez Ikea ou chez Elite, on est
persuadé de vendre les meilleurs matelas au juste prix. Mais qu'en
est-il en réalité? Pour le savoir, direction Paris, au centre
technique du bois et de l'ameublement, l'un des principaux
laboratoires de tests en Europe. Les fabricants viennent ici pour
fatiguer leurs matelas. Une presse de 140 kilos leur roule 30000
fois dessus, ce qui correspond en gros à une durée de vie de 8 ans.
On mesure l'élasticité avant et après. L'élasticité ne dépend pas
du rembourrage, mais du noyau, qui, pour la grande majorité des
matelas, est en mousse ou à ressorts.
Selon Jean-baptiste Gault, directeur des tests au CTBA: « il y
a peu de différence au niveau mécanique. Un bon matelas à ressorts,
après 30000 cycles, permet encore de très bien accompagner le
dormeur, alors que le matelas mousse met du temps à revenir.
Mais, plus un matelas est garni avec des produits comme la laine
naturelle, plus il est cher, plus il va perdre de caractéristiques,
alors qu'un matelas simple va garder ses caractéristiques. Le prix
n'est pas une garantie de qualité. »
Choisir un bon matelas s'avère donc
extrêmement délicat. Au-dela du caractère éminemment subjectif de
la notion de confort, certains paramètres doivent être pris en
compte. Avec Catherine Karcher, physiothérapeute, nous avons testé
une dizaine de matelas au centre romand de la literie à Crissier,
du moins cher à 500 francs, au plus cher à près de 4000 francs, en
mousse visco-élastique à mémoire de forme, développé par la Nasa,
mais aussi à un prix astronomique. Selon plusieurs études
scientifiques, un très bon matelas peut apporter une heure de
sommeil en plus. « L'idéal serait de pouvoir l'emporter chez
soi et dormir 3 jours dessus, explique Catherine Karcher. J'ai
quelques patients qui ont acquis des matelas de ce type et ne
jurent plus que par ça. Mais je n'ai pas un recul suffisant pour
dire aux gens de l'acheter. On ne sait pas encore très bien quelle
est la durabilité de ce genre de matelas. Mais au premier abord,
c'est très confortable. »
Cette mousse visco-élastique, c'est
aussi la grande mode pour les oreillers. Un choix important puisque
l'oreiller influence davantage la profondeur du sommeil que le
matelas. Chez Ikea, le modèle à 30 fr. se vend comme des petits
pains. Nous l'avons donc testé, ainsi que 2 modèles nettement plus
chers, celui de chez Manor à 130 fr. et le Tempur à 160 fr.
Nous nous sommes rendus au laboratoire de technologie des
composites et polymères de l'EPFL. Nous avons découpé une tranche
de ces oreillers pour en extraire une petite rondelle. But de
l'opération, soumettre la mousse à une torsion selon certains
paramètres de fréquence et de température. Résultats, 24 heures
plus tard, avec Véronique Michaud, collaboratrice scientifique à
l'EPFL. « Les 3 sont visco élastiques. Mais cette
caractéristique est plus élevée pour leTempur qui est plus
visqueux. Au niveau température, tous ont un facteur
d'amortissement qui diminue, la zone la plus visco élastique est
bien entre 20 et 40 degrés.
La différence majeure est que celui d'Ikea est plus souple, mais
ces 3 oreillers ne sont pas tellement différents. »
Alors, pourquoi payer 5 fois plus cher pour le Tempur, d'autant
plus qu'aucun de ces 3 oreillers ne nous a convaincus d'abandonner
le bon vieil oreiller en plume.
Mais que cachent ces cachets ?
Un bon matelas, un super coussin ne
garantissent pas un sommeil de loir. Le problème, c'est que les
insomniaques ont tendance à se précipiter sur les médicaments,
voire pire, à faire de l'automédication, avec le risque d'entrer
dans un phénomène de dépendance. Le médicament miracle n'existe
pas, comme le répète inlassablement Paul-André Despland, chef du
service de neurologie du CHUV et l'un des grands spécialistes du
sommeil en Suisse. Il faut attendre au moins 3 mois pour avoir un
rendez-vous avec lui. « Les dernières études épidémiologiques
montrent que plus de 30 à 35% des gens ont des troubles du sommeil,
analyse Paul-André Despland. C'est un syndrome, une maladie entre
guillemets qui reflète l'état de notre société. 80% des insomnies
sont dues au stress, les gens pensent au travail, à des problèmes
conjugaux et économiques. »
Le manque de sommeil peut en effet avoir de graves conséquences.
En France, 7% des accidents mortels de la route sont dus à la
somnolence. Un problème d'autant plus grave que les médecins
généralistes sont très peu formés aux troubles du sommeil et ont
tendance à prescrire facilement des somnifères. « Les
somnifères et les inducteurs de sommeil sont les médicaments les
plus vendus, explique Paul-André Despland. Il ne faut surtout pas
donner de la benzodiazépine qui créée de la dépendance. »
6% des Suisses prennent un
somnifère tous les jours, ce qui représente entre 4 et 5 millions
de boites par an. Un gros business. Les somnifères sont les
médicaments les plus vendus dans le monde. En Suisse, le tiercé
gagnant comprend le stillnox, le dormicum et l'imovane. Stillnox et
imovane sont des inducteurs de sommeil et pas des benzodiazépines
comme le dalmadorm, le seresta ou le dormicum, mais ils provoquent
aussi des effets secondaires, contrairement aux médicaments à base
de plantes en vente libre.
Les plantes médicinales, c'est le
rayon de Kurt Hostettman, professeur de pharmacognosie et
phytothérapie à la faculté de pharmacie à Genève: «La valériane est
la plus puissante. Viennent ensuite le houblon, la passiflore, la
mélisse, la lavande ou encore la fleur d'oranger. La valériane a
fait l'objet d'études qui prouvent que ça facilite
l'endormissement. On ne va pas dormir le premier soir, il faut en
prendre pendant quelques jours avant que ça fasse effet. »
Les mauvais dormeurs ont l'embarras du choix. Des centaines de
produits combinent valériane, houblon, passiflore, et autres
plantes à dormir, dans des proportions plus ou moins variées et
sous toutes les formes. Des produits en vente libre. Mais attention
à la poudre de perlimpinpin, comme certaines tisanes ou bains
relaxants vendus dans les grandes surfaces sans aucune indication
des dosages des différents ingrédients.
Le cauchemar des forces telluriques
Pour ceux qui fuient les somnifères
et que les plantes ne font pas dormir, il reste la solution
controversée de la géobiologie. Partant du principe que les
troubles du sommeil peuvent être dus à une pollution d'ordre
tellurique ou d'origine électromagnétique, le géobiologiste vient
examiner le logement et son environnement, comme chez Marianne
Barnavol, aux Monts de Corsier. « Je ne dormais pas bien,
explique Marianne Barnavol, kinésiologue. J'avais mal à une jambe,
je me suis auto soignée, je suis thérapeute, je ne prends pas de
somnifères, la nature peut résoudre les problèmes de manière plus
légère. Les médicaments ne faisaient pas effet. J'avais entendu
parler de géobiologie, j'ai fait appel à Stéphane Cardinaux.
»
Selon l'encyclopédie en ligne
Wikipedia, la géobiologie est une pseudo-science qui traite de
radiesthésie et des énergies de l'environnement. On est donc proche
de l'art des sourciers. La géobiologie est en vogue, et Stéphane
Cardinaux, architecte EPFL et géobiologiste, annonce des semaines
de 80 heures de travail. Les sources principales de perturbation
sont les appareils électriques dans la maison, les antennes GSM, ou
encore les courants d'eau souterrains et les failles géologiques.
Stéphane Cardinaux utilise les instruments classiques du sourcier,
comme les pendules et baguettes, et toutes sortes d'appareils
électroniques qui servent à donner une apparence de scientificité à
ses mesures. Mais c'est surtout son « 6e sens » qui lui
permet de détecter les anomalies de champ magnétique, comme chez
Marianne Barnavol. « On a vu que la faille tellurique passait
par le lit, analyse-t-il. Normalement, l'énergie qui sort du sol
tourne dans le sens des aiguilles d'une montre. Avec mon appareil,
je mesure les composantes de torsion, ce qui perturbe les êtres
vivants. »
Pour en avoir le cœur net, nous
sommes allés à l'EPFL, au laboratoire de réseaux électriques.
Pierre Zweiacker est docteur en physique et spécialiste des champs
magnétiques.
« On ne sait pas ce qu'il mesure, s'interroge-t-il.
L'indicateur de son appareil est gradué en microampère, une unité
de courant électrique et pas de champ magnétique. Pour moi, ça ne
veut rien dire, ça n'a pas de signification connue en
physique. »
Et pourtant, parfois ça marche. Marianne Barnavol a fait venir
plusieurs géobiologistes et dépensé des centaines de francs avant
que Stéphane Cardinaux ne la débarrasse du problème qui l'empêchait
de dormir. Une plaque en résine, contenant des cristaux et des
poudres végétales, placée au bon endroit sous le lit, et, selon
lui, la nuisance disparaît. Coût de l'opération, 350 francs pour
son travail et une centaine de francs pour la plaque.
Inégaux face au sommeil
Typiquement là, nous sommes aux
frontières de la science et de la croyance ! En revanche, une chose
est sûre, scientifiquement reconnue : nous ne sommes pas égaux face
au sommeil, pas plus que devant les calories ! Avant d'aller
préparer votre nuit, voici encore quelques conseils avec Paul-André
Despland. « Il faut abandonner certaines idées reçues. Des
malades veulent leurs 8 heures, ça ne veut rien dire, vous avez des
petits dormeurs, des moyens dormeurs et des grands dormeurs. Il y a
aussi l'hygiène du sommeil, il faut préparer sa nuit en fonction de
sa journée, faire son vide cérébral, alors que les gens travaillent
jusqu'au dernier moment. Pas de sport avant de se coucher. Dernier
thé ou café à 16h. L'alcool n'est pas un somnifère. Le whisky avant
de se coucher est un mythe. Au final, personne ne peut dire qu'il
n'a pas d'insomnie, on a droit à une nuit blanche par semaine.
»
Vous trouverez encore d'autres conseils dans une brochure
intitulée « Le sommeil » éditée grâce à la contribution
scientifique du Prof. Despland. Par exemple : évitez d'aborder des
problèmes épineux avant de dormir ou ne mangez pas dans votre lit,
qui doit être réservé au sommeil.
Si vous ne trouvez pas cette brochure chez votre médecin, vous
pouvez la commander, sans oublier de joindre une enveloppe timbrée
à votre nom, à l'adresse suivante :
Prof. Paul-André Despland
Secrétariat
CHUV
Service de Neurologie
1011 Lausanne 11
tél. 021 314 12 12