Le rosé, c'est un vin qui monte. Sa consommation mondiale est en augmentation. En Suisse, elle connaît un véritable pic durant l'été. Pourtant, le rosé ne fait pas l'unanimité : les grands amateurs de vins ont tendance à le bouder, et on l'accuse souvent de donner la migraine, en raison du soufre qu'il contient. Les producteurs tentent de corriger cette réputation.
Des vins pâles mais techniquement coton !
La production mondiale de rosé s'élève à 20 millions d'hectolitres (chiffres 2005/2006), soit 7 à 8% du volume total de vins. L'Europe produit 70% des vins rosés. En Suisse, presque tous les cantons viticoles en produisent.
A Auvernier, dans le canton de Neuchâtel, le domaine de Montmollin produit 60'000 litres d'Œil de Perdrix par an. Ce nom, son vin le doit justement à sa couleur : « On dit que quand on tue une perdrix, si on ouvre sa paupière, elle a cette couleur saumon », explique Pierre de Montmollin.
Il existe trois différentes techniques pour obtenir cette robe saumon. Michaël Loubry, œnologue attitré du domaine : « On peut presser le raisin directement pour obtenir cette couleur légèrement rosée. On peut aussi faire une saignée, c'est à dire vinifier le raisin comme du rouge et prélever une partie du jus qui donnera du rosé. Enfin, on peut mettre le raisin en cuve 24 heures et ensuite le presser ». La première de ces techniques correspond d'ailleurs, à peu près, à la manière dont on vinifiait durant la Haute Antiquité.
Malgré ces 5'000 ans d'expérience, l'élaboration d'un bon rosé constitue toujours une gageure. Michaël Loubry : « Cette production est difficile car il faut extraire les arômes et la couleur. Cela nécessite plus de technique que de presser et mettre en cuve le blanc. Il y a un élément prépondérant : bien choisir le moment de la récolte. Il faut que la maturité soit optimale ».
La stabilisation du produit ajoute encore à la difficulté. En effet, elle nécessite l'utilisation de soufre, ou plus précisément d'anhydride sulfureux (SO2). Sébastien Cartillier, Directeur de la station viticole cantonale (NE): « Ce produit est nécessaire pour son action antiseptique et antioxydante. Les rosés sont très sensibles à l'oxydation, comme les blancs, puisqu'ils contiennent peu de tannins antioxydants naturels, contrairement aux rouges ». Or le souffre est réputé générateur de maux de têtes. Ce souci tend toutefois à s'estomper. Les doses de soufre ont diminué notablement au cours de la dernière décennie grâce à une maîtrise des processus de plus en plus poussée à tous les stades : qualité du raisin, hygiène en cave et progrès techniques notamment grâce aux installations réfrigérées. Michaël Loubry : «Le froid permet de réduire les risques d'oxydation. On peut se permettre de mettre des doses moins fortes de SO 2. Si la vinification est bonne, on tourne en général autour de 100 milligrammes par litre (mg/l) ».
Des mauvaises surprises ne sont toutefois pas exclues. Notre test le confirme, certains vins contiennent bien plus que ces 100 mg/l. Pour Sébastien Cartillier, il s'agit de cas particuliers : « Des doses si élevées prouvent clairement des erreurs lors de la vinification ou un problème au cours du processus d'élaboration ».
Du soufre dans le rosé
Deux des seize rosés qu'ABE a testés présentent un taux de soufre voisin de 200 mg/l: La rose des Dunes A0C Bordeaux et un Matéus du Portugal.
A l'inverse, le laboratoire n'a trouvé que quelques traces de soufre dans ce rosé : Domaine des Bossons Rosé de Gamay de Pessy Bio Natura PlanSuisse, moins de 50 mg de soufre par litre. C'est la teneur la plus faible.
Retrouvez tous les résultats du test dans le tableau ci-contre.
Interview de Christoph Bürki, Responsable des achats boissons pour Coop
Christoph Bürki a dressé pour ABE le portrait de l'offre de rosé du grand distributeur.
« Le gros des vins rosés se situe dans la catégorie des vins bon marché. C'est plutôt un vin convivial, que l'on achète éventuellement en plus grande quantité. Les différences de qualité sont moins marquées que pour les blancs ou les rouges. »
Bon marché ? : « Le prix moyen des rosés est de 5 francs ».
Quant à la consommation, elle est très stable, « entre 8 et 10 %. La proportion de vins suisses vendus est assez forte, à peu près 45 % ».
Du rosé, peuchère !
La Provence produit près de la moitié des rosés AOC de France et environ 8% des rosés du monde, soit 1 million d'hectolitres de vins rosés. La région est le premier producteur mondial de vin rosé. Elle exporte 7,5 à 10 % de sa production, notamment en Suisse où les consommateurs sont friands de rosés français.
Le département du Var est le leader en la matière avec des AOC telles que Coteaux d'Aix-en-Provence, Coteaux varois en Provence, Côtes de Provence. Alain Combard est propriétaire du domaine Saint-André de Figuière dans le massif des Maures. Le rosé constitue 50% de sa production. Il est idéalement placé pour expliquer les caractéristiques locales du vin rosé: « Les cépages les plus couramment utilisés sont le grenache, le cinsault, la syrah, le mourvèdre et un peu le cabernet. Le cinsault est typique pour les rosés. Le mourvèdre est également caractéristique des rosés de Provence ».
Les vignerons provençaux se sont organisés pour améliorer leur savoir-faire et conserver leur leadership sur le marché. Ils ont créé le centre de Recherche et d'Expérimentation sur le Vin Rosé, dirigé par Gilles Masson. Ce-dernier illustre la diversité des rosés de Provence en évoquant les fruits auxquels ils sont associés : « Groseille, framboise, litchi, pêche, melon, mangue, abricot, mandarine ».
Le centre travaille notamment sur la couleur des rosés, fondamentale pour leur identité : « Celle-ci est particulièrement importante avec une gamme si étendue. Elle doit évoquer la finesse du produit que l'on va trouver au moment de la dégustation ». Il faut dire que la couleur compterait pour 50% dans l'acte d'achat du consommateur, d'où l'intérêt que lui portent les professionnels. Le centre mène d'autres recherches scientifiques, avec des expérimentations destinées à améliorer la qualité et la conservation des rosés. Il travaille également sur la communication, pour améliorer l'image du rosé de Provence.
Longtemps, celle-ci a été peu flatteuse. Gilles Masson l'explique ainsi : « C'est une vieille histoire. Elle est due au fait que pas mal de rosés ont été produits dans des régions dédiées surtout au vin rouge, où l'on peut consacrer moins de temps au rosé ». Et les maux de tête dont serait responsable le rosé ? « C'est peut-être vrai pour les mauvais rosés, et les mauvais blancs. Ce ne sera pas le cas si l'hygiène est rigoureuse lors de la production, et le raisin de qualité », affirme Alain Combard. Quant aux douleurs d'estomac, elles ne sont, selon Gilles Masson, qu'un mauvais souvenir : « Cette inconvénient était vrai il y a 40, 50 ans, quand on récoltait le raisin avant maturité, ce qui engendrait de l'acidité. Aujourd'hui on soigne cette maturité ». Quant au soupçon qui pèse sur le rosé de sous-produit du rouge ou de vin bon marché facile, les deux hommes le balaient sans hésitation.
Et Alain Combard d'inviter les Suisses à découvrir des rosés produits par de grands domaines français, afin de se faire une idée plus juste de la qualité des rosés de Provence.
Le test: dégustation
Seize rosés coûtant au maximum une dizaine de francs ont été passés au crible par cinq palais professionnels. Le jury était constitué de Pierre Thomas, Journaliste spécialisé, Nathalie Borne, Sommelier à l'Auberge d'Aclens ; Tony de Carpentrie, Chef sommelier au Beau-Rivage Palace de Lausanne, Claude Bocquet-Thonney, Présidente de l'association suisse des vignerons-encaveurs et Marta Arranz, Œnologue, du Club des Femmes et du Vin de Genève. Verdict, du pire au meilleur.
Insatisfaisant
Domaine du Paradis, Rosé de Gamay (Genève). Pour C. Bocquet-Thonney , il faut du courage pour le goûter après avoir senti ses effluves de vinaigre. P. Thomas estime carrément qu'il devrait être retiré des étalages...
Rubi Rosa, Vino Rosado (Espagne). Pour M. Arranz, il a « au nez et en bouche, une odeur de soufre et de la sécheresse. Sa couleur est la seule caractéristique du rosé qu'il possède ».
Médiocre
Mateus (Portugal). Pour T. de Carpentrie, « il manque d'équilibre. La douceur est acceptable si il y a derrière de l'acidité, mais ici elle est absente ».
Rose des Dunes, Gris de noir Bordeaux, (France). Les jurés lui ont trouvé un goût de « moisi, pas net ».
Cune Rioja, Rosado (Espagne). M. Arranz: « Les arômes discrets sont d'abord agréables en bouche, mais évoluent vers une sécheresse qui laisse une mauvaise impression. »
Dell'Arca Antonini, Pimitivo Puglia Rosato (Italie).
Wente Vineyards, White Zinfandel (Etats-Unis).
Satisfaisant
Rosé de Gamay de Peissy Bio Naturaplan, (Genève). Pour N. Borne, c'est « un vin simple, bien vinifié. Toutefois, ce n'est pas un vin que j'accorderai facilement avec un plat ».
Listel Gris, Grain de Gris, (France)
L'Oeil de Perdrix, Grand vin du pays de Neuchâtel. P. Thomas l'a identifié lors de la dégustation : « Il est intéressant pour les consommateurs d'acheter un rosé suisse si bien fait ».
Toujours jugé satisfaisant, le J.P. Chenet, Cinsault-Grenache, (France).
Rosé de Salvagin de Morges (Vaud). C. Boquet-Thonney a beaucoup apprécié ce vin « avec un côté bonbon anglais au nez, très fruité en bouche ».
Bon
Les Terres de Saint-Louis, vin bio de Provence (France). N. Borne : « C'est un vin délicat avec un nez gouleyant, sans exubérance au niveau aromatique. On a envie d'y revenir ».
Tribal, African Rosé (Afrique du Sud). N. Borne est convaincue par « sa belle fraîcheur et ses arômes expressifs en bouche ».
Val d'Azur, Rosé de Provence (France, 5.50 Fr.) T. de Carpentrie a été surpris par sa qualité : « Je m'attendais à un vin inférieur. Je suis agréablement surpris, il a tout ce que j'attends d'un rosé ». M Arranz relève « son arôme subtil de fruits rouges, sa bonne cohérence nez-bouche ».
Provins, Rosé de Gamay (Valais, 6.90 Fr.) T. de Carpentrie : « C'est un vin estival avec des notes de framboise et de groseille. Surtout, iI a de la longueur en bouche, ce qui est une réussite ».
Listel, le géant du rosé
Le Listel Gris est proposé dans toutes les grandes surfaces d'Europe. Vingt-cinq millions de bouteilles sont vendues chaque année, dont un million en Suisse.
Pour atteindre une telle production, Martial Pelatan exploite le plus grand vignoble privé d'Europe, qui s'étend sur 2'100 hectares. C'est là qu'il a accueilli l'équipe d'ABE, refusant de la recevoir au siège et de laisser filmer l'embouteillage : « L'équipement d'embouteillage, ultramoderne, est le même qu'ailleurs. Mieux vaut venir voir les particularités sur le terroir. »
Sur ses terres donc, le Directeur général de Listel affiche sa philosophie : « Une idée préside notre production : produire un vin accessible à tous, tant au niveau du prix que de la dégustation ». Son vin phare, le Listel Gris, est vendu un peu moins de 5 francs suisses grâce à une forte productivité et une excellente maîtrise technique de la production « Notre politique est de faire bien du premier coup. Ce qui coûte cher, c'est de refaire ». Cette expertise doit également assurer la qualité, grâce notamment à la maîtrise du froid : « Pour faire un bon vin, il faut maintenir une chaîne du froid de moins de 15 degrés. Le raisin est donc maintenu en deçà de cette limite », et ce tout au long du processus de vinification. Une chaîne du froid qui permet également de limiter drastiquement l'utilisation d'anhydride sulfureux .
Reste l'image de vin ordinaire, de supermarché qui colle à cette marque. Martial Pelatan n'en a cure : « Le fait qu'on le trouve dans les grandes surfaces a fait dire à un certain public, une certaine intelligentsia, que le Listel n'est pas terrible car accessible à n'importe qui. Et donc forcément que ce qui est accessible au plus grand nombre ne saurait être très bon ».