Tous les distributeurs ou presque s'y sont mis : les lignes de produits premier prix envahissent la publicité et les rayons. A la fois pour ménager votre budget et surtout pour résister à la concurrence féroce qui règne dans ce secteur.
Que valent ces produits « M-Budget », « Prix Garantie » et autres Prix « Numéro 1 » ? Visite de lieux de production, décryptage des étiquettes, dégustation : ABE a enquêté.
Un phénomène économique
En Suisse, c'est Migros qui est entrée la première dans la danse
des produits à petits prix, avec le lancement de la ligne «
M-Budget » en 1996 : des articles simples, bon marché, à
l'emballage uniforme. Avec pour slogan « davantage d'économie », il
s'agit alors de répondre aux besoins d'une partie de la population
qui a du mal à clôturer ses fins de mois.
Ce faisant, le géant orange répond
aussi à la pression du discounter Denner et au tourisme des achats
: un nombre croissant de Suisses passe régulièrement les frontières
pour s'approvisionner auprès des Lidl et autre Aldi, qui lorgnent
déjà sur le marché helvétique.
Dès 2004, le Français Carrefour propose à son tour une ligne bon
marché appelée « Numéro 1 », suivi de Coop qui, en janvier 2005,
lance ses « Prix Garantie ».
Ce développement des gammes de
produits à bas prix correspond à une modification du comportement
des consommateurs, comme l'explique le professeur Jean-Claude
Usunier (HEC Lausanne) : « La part de l'alimentaire dans les
dépenses des ménages a tendance à se réduire car ces derniers
souhaitent consommer plus de loisirs, sans que leur pouvoir d'achat
augmente pour autant. »
Loin de la cible initiale - les familles à revenus modestes - tout
le monde ou presque achète aujourd'hui des produits bon marché. A
tel point que s'afficher en vert « M-Budget » est à la mode ! La
ligne de Migros connaît un succès phénoménal :
« Les consommateurs apprennent à comparer les prix et à tester
l'alternative la moins chère. Ils répartissent leurs achats entre
des produits bon marché là où les marques comptent peu et des
produits plus chers à travers lesquels ils se font plaisir »,
explique encore Jean-Claude Usunier.
Les deux géants suisses de la
distribution ont donc engagé la guerre des prix par publicité
interposée et la tendance ne semble pas prête de se démoder, au
risque, selon Jean-Claude Usunier, de mettre en péril la réputation
des produits suisses :
« C'est probablement un risque pour la Suisse parce que
l'image du 'Made in Switzerland' est très bonne. Or, la recherche
du prix le plus bas a forcément une incidence sur la qualité.
»
Comment fait-on un brie « low cost », par Coop
Nichée au cœur de la Suisse
centrale, l'entreprise familiale Baer est la plus grande fromagerie
spécialisée dans la production de fromages à pâte molle du pays.
Elle fabrique ici les fromages de la marque éponyme, mais pas
seulement.
C'est en effet à cette fromagerie industrielle que Coop a confié
la fabrication de son brie labellisé « Prix garantie ». Il est
vendu près de six francs moins cher au kilo dans les rayons du
distributeur que le brie de marque fabriqué par une entreprise
romande. Comment Baer parvient-elle à fournir ce fromage à un prix
si avantageux ?
« C'est le volume qui nous
permet de le vendre à prix serré. Par ailleurs, nous avons élaboré
une recette spéciale pour ce brie, en veillant à ce que la
production soit optimale et que tout se fasse le plus simplement
possible(...) Nous ne pouvons nous permettre une production à
grands frais », explique Andrea Diethelm, porte-parole de la
société, qui tient à préciser que cela n'entame en rien la qualité
du fromage : « Le contenu est identique mais la recette, la
présure, par exemple, et surtout le champignon qui va permettre à
la croûte de fleurir, est différent pour chaque fromage. Il est
donc spécial pour ce 'Prix Garantie', mais il ne s'agit pas d'une
moins bonne qualité. »
Les ingrédients utilisés sont suisses et le lait est le même que
celui employé dans la fabrication de nos fromages de marque. En
revanche, l'emballage est différent puisqu'il consiste en une
simple feuille pour le fromage labellisé « Prix garantie ». Le
diamètre du fromage a également un rôle, tout comme la portion
proposée au consommateur, plus grande (250 g) que celle que l'on
trouve habituellement.
Mme Diethelm reconnaît que
l'entreprise ne s'est pas lancée dans l'aventure de gaieté de cœur
: « Nous avons dû y réfléchir longuement et faire soigneusement
nos calculs pour voir si cela en valait la peine. C'est seulement
possible dans la mesure ou cette production s'ajoute à celle de nos
produits de marque (...) Nous avons jugé qu'il valait mieux que
nous le fassions, plutôt qu'un concurrent. »
Sans donner de chiffres précis, Baer affirme que la marge faite
sur ces produits à bas prix est largement plus petite que celle
réalisée sur ses propres produits.
Pommes de discorde
Chez les producteurs de fruits et
légumes, il est très difficile de connaître les conditions qui
prévalent à la classification des produits en emballage « M-Budget
» ou « Prix Garantie ». Il existe cependant des critères précis qui
permettent de les classer en catégorie II et de les reléguer en
fruits dits « basiques ».
S'agissant des pommes, Il existe cependant des critères précis qui
permettent de les classer en deux catégories.
Démonstration chez un producteur-entrepositaire du canton de Vaud
: Récoltés à l'automne, elles sont conservées sous atmosphère
contrôlée, puis extraites des frigos pour être triées et expédiées
au fur et à mesure des commandes.
Le premier critère de tri est le calibre de la pomme, déterminé
d'une part en photographiant le fruit, d'autre part en fonction de
son poids. La couleur, ou l'absence de couleur est également prise
en compte. Les pommes les plus grosses et les plus petites sont
ainsi systématiquement déclassées.
Le deuxième triage est visuel,
comme l'explique Jean-Michel Trottet, producteur - entrepositaire
(Les Vergers de Féchy) : « Les pommes qui passent en deuxième
choix sont celles qui ont un défaut de couleur et que la machine
n'a pas repéré, ou des défauts tels que coups de grêle ou piqûres
de ravageurs ».
Jean-Michel Trottet n'a pas de client qui lui achète directement
des pommes destinées aux lignes bon marché, ces fruits « M-Budget »
ou « Prix Garantie » en principe issus de la classe II. En réalité,
selon les producteurs, il s'agirait le plus souvent de produits
basiques à la qualité quelque peu irrégulière.
John Kilchherr est président de l'Union
Fruitière Lémanique. D'après lui, l'apparition de ces gammes de
prix bon marché a un impact considérable : « Avant, il y avait
une classe II de qualité, dont on retirait un prix valable.
Maintenant, on arrive à un prix plancher qui ne nous permet pas
d'avoir un revenu décent. Par exemple, pour une pomme Golden
basique on touche aujourd'hui 40 centimes au kg, alors qu'on reçoit
95 centimes à un franc pour un produit standard. »
La qualité par l'étiquetage ?
Quelles sont les différences entre un produit bon marché et son
équivalent standard ? André Cominoli, Chimiste cantonal adjoint et
spécialiste reconnu de l'étiquetage, a analysé pour ABE un
échantillon de vingt produits achetés en double : à chaque produit
premier prix correspond le même produit standard.
Analyse
Une lecture attentive des étiquettes permet de conclure dans deux
cas - les petits pois-carottes et une boisson énergétique - que
l'on a affaire à des produits similaires, sans différence de
composition.
S'agissant du pain toast, « le
produit de marque est issu d'une agriculture suisse respectueuse de
la nature. Cette indication ne figure pas sur le pain bon marché,
ce qui sous-entend que les céréales utilisées pour la fabrication
de ce pain ne sont pas soumises aux mêmes contraintes. »
L'eau minérale : L'une (Aproz) «
est riche en calcium et magnésium, donc elle a une teneur en
sels minéraux importante », l'autre (M-Budget) moins.
Autre constat : bien souvent, pour
un même produit, on joue sur la variable économique.
« Dans le cas du cervelas par exemple, le produit de marque
indique qu'il est élaboré en Suisse avec de la viande suisse. Le
produit bon marché est élaboré en Suisse à partir de viande qui
provient de Suisse et d'Autriche. »
D'après les indications figurant
sur le tube de mayonnaise premier prix, il semble que l'on ait
remplacé une partie de l'huile par de l'eau. Ça ne l'empêche pas
d'être de la mayonnaise, au même titre que le produit standard.
Le lait standard partiellement
écrémé contient 2,7% de matière grasse, contre 1,5% pour le lait
premier prix. Ce dernier pourrait être vendu comme un lait
demi-écrémé, selon André Cominoli.
Quant aux céréales et aux
compléments alimentaires, le procédé employé par le fabricant est
identique : « Les céréales de marque ont été enrichies avec
toute une série de vitamines tandis que le produit bon marché n'a
pas de vitamines ajoutées. »
Les deux compléments alimentaires contiennent
de la vitamine C. La différence se situe dans la teneur en vitamine
C. L'apport journalier recommandé est de 60 mg. Le produit standard
en propose trois fois plus, contre une fois et demi de plus pour le
complément alimentaire premier prix.
La dégustation (test)
Neuf produits de base ont été retenus pour cette dégustation :
yoghourt framboises, confiture fraise-rhubarbe, lasagnes
bolognaises, vinaigre balsamique, brie, épinards, thé froid nature,
cola et glace vanille.
Retrouvez ici la liste des produits dégustés .
Angelo Boschetto, directeur du restaurant de l'Ecole Hôtelière de
Genève, Le Vieux Bois ; Suzanne Brunier, responsable des stages à
l'Ecole Hôtelière de Genève ; Claudine Girardin, présidente de la
Fédération suisse des Confréries Bachiques et Gastronomiques et
Guillaume Trouillot, patron du restaurant l'Esplanade à Aubonne,
sont les quatre dégustateurs.
Selon André Cominoli, le « match » s'annonce prometteur. « En
effet, il peut être intéressant de savoir, par exemple, quelle
va être la différence entre ce yoghourt de marque qui contient plus
de fruits et cet autre, bon marché, qui en contient un peu
moins.
Pour ce qui est de la glace, nous avons ici une crème glacée,
composée de crème, de lait et de sucre avec de la vanille issue de
gousse de vanille, tandis que l'autre est une glace à l'arôme de
vanille et contient de la matière grasse d'origine végétale.
»
Les résultats
Yoghourt
framboises
Le produit de marque est plébiscité. L'écart de points séparant
les deux produits est le plus important du test.
Suzanne Brunier : « Le yoghourt bon marché n'est pas fruité
tandis que l'autre est très agréable à manger grâce à ses petits
morceaux de fruits. »
Confiture
fraise-rhubarbe
La confiture extra est largement préférée à la confiture «
M-Budget ».
Guillaume Trouillot : « Il est clair que je suis plus inspiré
par une confiture bien rouge et dont on distingue les morceaux de
fruits ».
Lasagnes
bolognaises
Même si aucun des deux produits n'a convaincu, les lasagnes de
marque l'emportent.
Angelo Boschetto : « Dans le produit de marque la pâte est
plus ferme mais il y a peu de garniture ».
Vinaigre
balsamique
Le vinaigre balsamique de marque est lui aussi préféré au «
M-Budget ».
Guillaume Trouillot : « Un balsamico doit vieillir, celui-là
ne l'est pas du tout ».
Brie
Le brie « Prix Garantie » s'incline face au fromage de
marque.
Claudine Girardin : « Le brie 'Prix Garantie' est granuleux et
n'a pas de goût ».
Epinards
Impossible de départager les épinards, les amateurs de produits
bruts préférant le premier prix, ceux de produits prêts à l'emploi,
le produit de marque.
Angelo Boschetto : « L'avantage du produit nature est qu'on
peut en faire quelque chose ».
Thé froid
C'est le premier prix contenant de l'édulcorant qui l'emporte.
Cola
Net écart en faveur du cola bon marché.
Suzanne Brunier : « Il est peu sucré et pas trop gazeux, il
est vraiment très bon».
Glace
vanille
Grande surprise : c'est la glace bon marché qui l'emporte.
« Les produit
standards s'en tirent mieux du point de vue gustatif »,
conclut André Cominoli, « mais il n'y a pas de différence au
niveau de la sécurité alimentaire (...) Le conseil à donner est de
lire attentivement ce qui figure sur les étiquettes. »
Entretiens vérité
Manuelle Pernoud a rencontré
Dominique Strack , Responsable du département Marketing et Achats
chez Coop.
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La Voix Migros
Manuelle Pernoud reçoit sur le plateau d'A Bon Entendeur Guy
Vibourel, membre de la direction générale de Migros.
Sujet uniquement disponible en vidéo.