La France vient d'interdire la culture d'un maïs OGM, le Monsanto 810, au nom du principe de précaution. Les consommateurs suisses, eux aussi, se méfient des OGM. Ils en consomment pourtant, souvent à leur insu...
Une Suisse génétiquement modifiée ?
Y a-t-il des champs d'OGM en Suisse ? En trouve-t-on dans les magasins ? Petit tour d'horizon du paysage suisse du génétiquement modifié.
Pas d'OGM dans les champs suisses
A l'heure actuelle, on ne cultive pas de plantes génétiquement modifiées dans l'agriculture suisse. Le peuple a voté en 2005 un moratoire de 5 ans sur ce type de culture. Ceux qui ont fait le choix définitif de produire sans OGM, comme les agriculteurs bio, n'en sont pas moins inquiets, craignant qu'à terme ces derniers contaminent l'ensemble des champs.
La dissémination non contrôlée d'OGM dans la nature préoccupe beaucoup de monde. Au jardin botanique de Neuchâtel, on étudie les transferts de gènes entre du blé transgénique et une plante sauvage. François Felber, Directeur du jardin botanique, Neuchâtel : « On ne peut pas freiner le développement de la recherche scientifique. Ce qui nous intéresse, c'est de pouvoir gérer les risques. On peut être opposé à l'introduction de plantes transgéniques en Suisse, mais cette introduction pourrait avoir lieu par accident. Il faut donc se préparer aux risques pour pouvoir mieux réagir en cas d'introduction involontaire. »
Importations autorisées
Le moratoire porte sur la culture d'OGM. En tant que denrée alimentaire, ils ne sont pas du tout interdits à la vente en Suisse mais soumis à autorisation. Leur présence doit de plus être déclarée sur l'emballage des produits. Actuellement, quatre plantes génétiquement modifiées peuvent être importées et vendues en Suisse, trois maïs et un soja, auxquelles on peut ajouter deux vitamines et deux enzymes. Les dossiers d'une vingtaine d'autres OGM sont actuellement en traitement devant l'Office fédéral de la santé publique à Berne. Roland Charrière, Directeur de la protection des consommateurs OFSP : « Un dossier contient une multitude de points. De la littérature, des données sur la toxicologie, le potentiel allergène, et, ce qui est aussi très important, la méthode d'indentification, de quantification ainsi qu'un système d'assurance qualité. Cela signifie qu'on doit assurer la séparation des flux, entre ce qui est OGM et ce qui est non-OGM. » Des chercheurs suisses sont-ils mandatés pour étudier et vérifier ces données ? « Pas du tout, c'est au mandant, qui est responsable de ces tests, de nous prouver l'innocuité du produit. Ces tests répondent à des standards internationaux. »
Les filières sans OGM s'épuisent
Le seul problème, c'est qu'on n'est pas obligé d'indiquer sur l'emballage une présence de moins de 0,9% d'OGM dans une denrée alimentaire. Cette tolérance n'a rien de scientifique, elle tient compte de la difficulté actuelle d'éviter les contaminations. Des OGM, on en mange donc tous un peu sans le savoir. On aurait aussi parfaitement le droit d'importer en Suisse des OGM autorisés pour nourrir nos animaux, comme cela se fait largement dans l'Union européenne. Dans la pratique, cela n'arrive pratiquement pas dans notre pays. Les consommateurs, les agriculteurs et les grands distributeurs n'en veulent pas. Willy Gehriger est l'un des dirigeants de la Fenaco, un groupe d'entreprises du secteur agricole suisse, qui importe notamment du soja et du maïs sans OGM pour l'alimentation animale. Il se bat toute l'année pour conserver ses filières d'importation : « Le nombre de pays où l'on peut s'approvisionner et la proportion de non-OGM dans ces pays diminuent. En plus, d'autres gens s'intéressent aussi à ces filières, ce qui fait monter les prix. Se nourrir sans OGM risque d'être de plus en plus cher». Le futur d'une Suisse sans OGM est donc incertain, tout va dépendre de la volonté de nous autres consommateurs-citoyens. Une chose est sûre, les acteurs du marché nous observent avec énormément d'attention.
Test OGM : les produits conformes (avec et sans traces d'OGM)
Pour ABE, le laboratoire cantonal vaudois a traqué les OGM dans 98 produits (voir la liste ci-contre). Si plus de 0,9% d'un ingrédient d'un produit est génétiquement modifié, la loi suisse impose une déclaration sur l'emballage. Premier groupe, 75 produits dans lesquels le laboratoire n'a pas détecté d'OGM du tout. Apparemment, ils ne posent donc aucun problème.
Deuxième groupe, 12 produits sur 98 contenaient des traces d'un OGM autorisé en Suisse, le soja Roundup Ready, mais dans
une proportion inférieure à 0.9%
dans l'ingrédient, ce qui n'impose pas une déclaration sur l'emballage. Ce sont donc des produits légalement conformes.
- Tofu Firm Silken style Blue Dragon acheté chez Carrefour.
- Escalopes Nature Delicorn de la Coop.
- Yasoya aux légumes Delicorn de la Coop.
- Soyaso aux légumes de la Migros.
- Tofu soft Morinaga acheté chez Lyzamir à Genève.
- Tofu-Sumo Viet-Thai acheté également chez Lyzamir.
- Barre diététique Isostar Daily Energy saveur pomme abricot acheté chez Sunstore.
- Barre de protéines Deluxe Crispy chocolat au lait et caramel Topwell achetée aussi chez Sunstore.
- Tofu Demeter Taifun bio acheté chez Alna.
- Pâte soja sèche « Misuzu » acheté chez Uchitomi à Genève.
- Tofu Mix « House » trouvé également chez Uchitomi à Genève.
- Pâte de soja « Sato no Yuki » acheté aussi chez Uchitomi à Genève.
Christian Richard, : « On a à faire à des produits tout à fait légaux. On peut, par contre, se poser la question de savoir si la situation est éthiquement acceptable. Lorsque le consommateur lit les étiquettes de ces produits, est-il parfaitement informé ? Y a-t-il une véritable transparence ? On peut manger des OGM tous les jours, sans le savoir, de façon tout à fait légale. »
Test OGM : les produits non conformes
Cinq produits, « garantis sans OGM » sur l'emballage, contenaient tout de même des traces de soja Roundup Ready, dans une proportion inférieure à 0.9%.
- Potage aux 5 légumes hyperprotéiné Sokoja acheté chez Sunstore.
- Omelette aux fines herbes hyperprotéinée Sokoja achetée chez Sunstore.
- Chocolat praliné hyperprotéiné Sokoja trouvé également chez Sunstore.
- Yasoya aux légumes de Baer acheté chez Manor.
- Protéines de Soja « Soleil-vie » achetées chez Alna.
Christian Richard : « Ces produits sont non conformes, même s'il n'y a que des traces ou d'infimes traces, puisque ils sont spécifiquement déclarés sans OGM. »
Un produit contenait des traces de soja OGM, alors qu'on ne devrait pas trouver de soja du tout dans ce produit, vu la liste de ses ingrédients
- Tortillas de maïs Pancho Villa achetées à la Migros.
Dans deux produits, le laboratoire cantonal a détecté la présence d'un OGM inconnu, donc pas autorisé en Suisse.
- Farine de maïs jaune Condi achetée chez Pam.
- Nachips Old El Paso achetées chez Carrefour.
Christian Richard : « Nous n'avons pas pu mettre en évidence de quel(s) OGM(s) il s'agit. Mais une chose est sûre, ce (ces) OGM est (sont) non autorisé (s), sinon, nous aurions les moyens de le (les) découvrir. »
Trois produits sur 98 contenaient une proportion d'OGM très largement supérieure à 0.9%, sans aucune déclaration sur leur emballage.
- Doctor's CarbRite Diet chocolate peanut butter acheté au Body Alive Fitness shop, avec 26.5% de soja OGM dans le soja.
- Barre Hi-Protein chocolate peanut butter acheté également au Body Alive Fitness shop, avec 71% du soja total génétiquement modifié.
- Barre Proteon Double Peanut Butter Deluxe également trouvée au Body Alive Fitness shop. 100% du soja total présent dans cette barre est génétiquement modifié.
Christian Richard : « C'est parfaitement illégal. L'OGM présent dans ces barres est autorisé mais il faudrait le déclarer sur l'emballage et donc changer les étiquettes. Il faudrait y inscrire : "contient des OGMs" ».
A noter que ces trois produits sont importés des Etats-Unis, un pays où les OGM entrent dans la composition de nombreux aliments sans étiquetage particulier. Au total dans notre test, 23 produits sur 98 contenaient des OGM, dont 11 de manière non conforme. C'est beaucoup plus que dans notre dernier test en 2003, où un seul produit sur 100 était contaminé.
On ne peut pas parler de tendance sur un si petit nombre d'échantillons, mais avec la quantité d'OGM qui circule dans le monde, les contaminations de produits en Suisse ne sont pas rares. Et l'avenir s'annonce compliqué. Christian Richard : « Le développement des OGM va croissant. On aura de plus en plus d'OGM sur le marché et il sera très difficile d'appliquer dans un temps très court les techniques appropriées pour identifier, par exemple, des OGM qui seraient non autorisé. »
Nocivité des OGM : entretien avec Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire
Disponible seulement en vidéo.
L'Espagne, nid d'OGM en Europe
L'Espagne est le pays en Europe où la superficie des cultures OGM est la plus élevée. Reportage.
Contamination en Catalogne
Juli Berga est agriculteur en Catalogne : « J'ai reçu cette lettre hier de l'organisme de contrôle qui m'attribue le label bio. Il m'informe que je suis positif, que c'est contaminé. » Le champ de maïs de Juli a été contaminé par des cultures transgéniques. La Catalogne est l'une des régions espagnoles où les organismes génétiquement modifiés sont en pleine expansion. Depuis dix ans, l'Espagne bat tous les records européens de production de maïs transgéniques. Elle en cultive 75'000 hectares sur les 110'000 répartis en Europe. Son usage est exclusivement réservé à l'alimentation animale.
A la tête d'un cheptel de 430 bêtes, José Luis Cambra est un fervent défenseur des OGM. Il cultive une des 40 variétés de maïs transgénique autorisées par le gouvernement espagnol. Les possibles risques sanitaires ne l'inquiètent pas : « Ce maïs leur convient tout à fait, il n'y a aucun problème. » Si le maïs transgénique, notamment le Monsanto 810, a autant de succès auprès des agriculteurs, c'est qu'il répond à un besoin spécifique des cultivateurs catalans. Cette région est propice au développement de la chenille pyrale, connue pour ravager le pied de maïs.
Et les jeunes agriculteurs ?
Dans la campagne catalane, Andreu Rubies alterne la culture de maïs conventionnel et transgénique. Pour lui, les OGM ne sont pas le miracle économique tant espéré. Pourtant, malgré ces réticences, il est prêt à basculer au tout transgénique. « En Europe, vous êtes en train de consommer des produits d'Espagne et des Etats-Unis, du porc, de la viande qui ont été nourris avec des aliments transgéniques. Lorsque l'on achète du maïs, le transgénique est au même prix, et il y a de fortes chances pour que notre maïs conventionnel soit contaminé par les champs des voisins. Il n'y a pas non plus de sécurité. Bref, cela ne sert pas à grand-chose de résister. »
La bataille perdue du maïs conventionnel
Josep Pamies, le Don Quichotte du bio, cherche à sensibiliser ses compatriotes à la lutte contre les OGM. Horticulteur depuis 15 ans, il refuse la pression des semenciers transgéniques. « Il faut laisser les agriculteurs écologiques cultiver du maïs bio. Aujourd'hui, c'est impossible, tout est contaminé. Nos élevages ne peuvent plus être nourris avec des aliments écologiques, car on ne peut plus produire notre propre maïs bio. Le soja qui est importé est aussi transgénique. On est face à un panorama terrible, où la liberté du consommateur n'existe plus. » En Espagne, 90% de l'alimentation animale est composée d'une plante génétiquement modifiée. Juli est obligé d'importer du maïs écologique pour nourrir ses poules bio, ne pouvant plus produire le sien. « Cela ne vaut plus la peine, je suis seul et fatigué de lutter. La vérité est que je perds de l'argent, je n'en peux plus. » Le maïs génétiquement modifié semble avoir gagné la bataille sur le maïs conventionnel et bio. Prochains enjeux : le riz, le colza et le blé transgéniques. Actuellement, ces variétés sont uniquement cultivées dans des champs d'expérimentation. Les pro OGM souhaitent au plus vite leur commercialisation.
Entretien avec Jean-Marie Pelt, fondateur de l'Institut européen d'écologie
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