Les abeilles meurent dans des proportions inquiétantes et la liste des suspects est très longue. Pesticides, parasites, virus, OGM... Quant au miel qu'elles nous offrent, il peut être de qualité très variable. Enquête et test.
Abeilles en péril
Le miel
existera-t-il encore quand les enfants du début de ce siècle seront
adultes ? Pas sûr : une menace plane sur la survie des abeilles.
Hervé Loviat, apiculteur professionnel, est inquiet : « Ce qui
nous inquiète le plus, c'est le Varroa et les pesticides. Ils
peuvent faire disparaître l'abeille dans le monde. » Depuis le
début des années 2000, les colonies d'abeilles meurent massivement.
Et l'on ne sait toujours pas pourquoi. De lourds soupçons pèsent
sur le Varroa. Cet acarien, venu d'Asie dans les années 80,
s'introduit dans les ruches. Il suce le sang des abeilles, les
affaiblit, leur transmet virus et bactéries en prime.
Dans le Jura, près du Col des Rangiers, Hervé Loviat gère un peu
plus de 400 ruches. Ses colonies sont victimes du Varroa. Pour
combattre ce parasite, il applique un traitement précis et
astreignant : « Il faut être très vigilant quand on commence le
traitement du Varroa par l'acide formique ou un autre traitement.
On essaie de varier chaque année. Il faut diffuser l'acide sur la
ruche, et le Varroa, normalement, meurt. »
L'effondrement des
colonies
Les scientifiques ont un nom pour les disparitions massives
d'abeilles : le syndrome d'effondrement des colonies. Franck Crozet
gère 900 ruches, dans la région de Daillens, dans le Canton de
Vaud. Il donne des chiffres : « Depuis six ans, on a de plus en
plus de problème pour faire hiverner nos colonies. Avant, on
faisait le traitement contre le Varroa et au printemps, on
récupérait tout notre cheptel. 5 ou 10 % de perte, c'était
beaucoup. Maintenant, certains perdent la totalité de leurs
colonies. » Les pesticides, omniprésents dans l'environnement
des abeilles, sont aussi soupçonnés. Depuis longtemps, on les
pulvérise sur les plantes ou les arbres fruitiers. Souvent en plein
jour, lorsque les abeilles volent.
Plus récemment, on enrobe les semences de maïs ou de colza de
pesticides pour leur permettre de résister aux parasites. En
Suisse, c'est l'Office fédéral de l'agriculture qui homologue ou
non les pesticides. Olivier Felix : « Les insecticides peuvent
être dangereux pour les abeilles, mais nous veillons à ce que ce
risque soit acceptable. Nous fixons des règles, qui interdisent,
par exemple, l'utilisation d'un produit dangereux pendant la
période de vol des abeilles. » L'ennui, c'est que les
pesticides se fixent dans les sols. Franck Crozet est persuadé que
cela a des conséquences : « Dans ma ruche vitrée, lorsque les
abeilles reviennent des champs de phacelia, on trouve leurs
cadavres avec du pollen bleu sur les ailes et la langue tirée. Ça,
c'est pas le Varroa, c'est des résidus d'enrobages. Ils
s'accumulent avec les années, et plusieurs variétés se mélangent,
sans qu'on sache l'impact de ce mélange de molécules sur l'abeille.
» Pour Hervé Loviat, les abeilles suisses sont même
particulièrement exposées : « Certains pesticides, le Régent,
le Gaucho... ont été interdits dans l'Union européenne, il devrait
l'être en Suisse aussi. »
Les pesticides sont-ils seuls
responsables de la disparition des abeilles ? Jean-Daniel
Charrière, ingénieur agronome à la station de recherches Agroscope
de Liebefeld, en doute :
« Les pesticides, il faut les avoir à l'œil, mais je ne les
vois pas comme la raison centrale. C'est un facteur qui s'ajoute à
d'autres. Nous manquons de données concrètes pour établir cela,
mais il faut avoir cet élément en tête. » Dans l'affaire de la
disparition des abeilles, il y a plusieurs suspects : Varroa,
pesticides, virus, téléphonie mobile - mais pas de coupable. Il y a
pourtant une certitude : l'abeille s'affaiblit. Depuis quelques
années, elle ne passe plus l'hiver. Elle devrait tenir six mois,
elle meurt après cinq. Le cycle de reproduction est interrompu,
c'est la mort lente d'une espèce animale. Jean-Daniel Charrière :
« L'abeille pourrait disparaître, à l'exception de quelques
colonies, et redémarrer à partir de celles-ci. Cela s'est produit
plusieurs fois durant les 35 millions d'années de son existence.
Elle a du affronter les glaciations, elle a disparu de certaines
régions, c'est la nature. Dans le cas présent, on ne sait pas si
c'est uniquement la nature ou si l'homme y est pour quelque chose.
Il s'agirait alors de réparer cela au plus vite. » Il faut y
parvenir. La survie de 80% des plantes à fleurs dépend
essentiellement de la pollinisation par les abeilles. Notre propre
alimentation serait dramatiquement réduite si tous les fruits
devaient disparaître...
Qualité des miels : le test
Le
miel provient du nectar que l'abeille transporte dans sa trompe, où
il subit une première transformation. L'apiculteur récolte ensuite
les rayons pleins de miel et les amène à son laboratoire. Un
couteau enlève la cire des opercules qui ont fermé les alvéoles
pour protéger le miel. Puis on place les rayons dans un extracteur
centrifuge dont la force expulse le miel.
Celui-ci est stocké dans une cuve pour que les bulles d'air
remontent à la surface. Il est quasiment prêt à être mis en
pot.
Nous avons fait analyser 15 miels par le laboratoire du chimiste
cantonal genevois.
Les analyses ont porté sur la présence d'antibiotique, le taux
d'humidité et celui d'HMF.
S'il présente un taux d'humidité élevé, le miel fermente et n'est
plus consommable. Nos 15 miels n'ont pas eu ce problème. Le
laboratoire a cherché les valeurs de HMF, un critère qui permet de
juger la qualité du miel. André Cominoli, chimiste cantonal adjoint
GE : « L'HMF, Hydroxil metyl furfural, est un produit de
déshydratation des sucs qui sont dans le miel. Au départ, le miel a
une teneur en HMF très faible, qui peut augmenter en raison de la
durée du stockage et de la température. En principe un bon miel
fait entre 10 et 15% d'HMF. »
Verdict, avec la provenance annoncée sur l'étiquette :
Miel bio des Franches-Montagnes
acheté chez Magbio : très bon, avec un taux de HMF de 2,8
milligrammes par kilo.
Miel du pays « Ruchers de la
Champagne », acheté chez Manor : très bon, teneur en HMF de 3,7
milligrammes par kilo.
Miel suisse, acheté chez Migros :
bon, teneur en HMF de 6,6 milligrammes par kilo.
Miel bio de montagne « Planète
Verte », acheté chez Globus : bon.
Miel de fleurs d'été « Goldland »,
acheté chez Aldi : bon.
Miel mille fleurs Migros Engagement
: bon.
Miel suisse « Narimpex », acheté
chez Manor : bon.
Miel de fleurs de la Coop :
bon.
Miel bio « Natur Activ », acheté
chez Aldi : bon.
Miel de campagne « Langnese »,
vendu par Coop et Manor : bon.
Miel de fleurs « M-Budget » de
Migros : bon.
Miel de fleurs, acheté chez Denner
: déclassé. Il aurait pu être jugé bon mais le laboratoire a trouvé
des traces de streptomycine, un antibiotique.
André Cominoli : « La streptomycine est interdite pour traiter
directement sur les abeilles. En Suisse, on l'utilise pour lutter
contre le feu bactérien, une maladie qui affecte les pommiers et
les poiriers. La streptomycine est efficace, mais doit être
utilisée sous contrôle. Il y a des personnes allergiques. Et puis
il y a accoutumance, on devient résistant aux antibiotiques et
lorsque l'on est malade, on doit augmenter les doses. »
Miel « Prix Garantie » de Coop :
moyen.
Miel de fleurs sauvages « Nectaflor
», acheté chez Manor : médiocre.
Son taux de HMF laisse penser qu'il a été stocké trop longtemps ou
qu'il a été trop chauffé.
Miel de fleurs de Casino :
médiocre.
L'étiquetage est peu clair. On parle d'un mélange de miels en
provenance ou non de l'Union européenne.
Entretien avec Christian Fehlbaum, auteur de l'enquête
Disponible uniquement en vidéo.
Agentes des OGM malgré elle
Parce
que les abeilles ne connaissent ni barrières, ni frontières, du
pollen OGM peut se retrouver dans un champ bio et le contaminer.
Puis l'abeille peut transporter le pollen génétiquement modifié
dans sa ruche. Le miel que l'on mettra alors sur ses tartines
contiendra des traces d'OGM. Mais pourquoi les OGM font-ils peur à
Greenpeace ? Natalie Favre, porte-parole Greenpeace Suisse : «
On ne connaît pas encore toutes les conséquences sur la santé,
l'environnement. Cela affecte les insectes, cela affecte certaines
mauvaises herbes qui deviennent résistantes, tout comme les plantes
OGM. Sur la santé on ne sait pas encore, mais l'on pense qu'il faut
faire des études avant de les disséminer dans la nature. » En
Suisse, un moratoire sur les OGM court jusqu'en 2010. Jusque là,
les cultures transgéniques sont interdites.
En revanche, aux Etats-Unis, au
Canada, en Argentine, les OGM sont massivement présents dans les
champs. Certains pays européens prennent le même chemin. Les
risques de contamination sont nombreux, ce que confirme un paysan
espagnol. Juan Carlos Simon : « Mon maïs bio a été contaminé
deux fois par du maïs transgénique. Il a été constaté que mon maïs,
que j'avais planté avec mes propres semences bio et des semences
françaises bio, était contaminé par du maïs transgénique. »
Juan Carlos Simon a perdu huit ans de travail, sa certification bio
et beaucoup d'argent. Sa mésaventure démontre que la cohabitation
avec les cultures OGM est impossible.
Greenpeace va plus loin avec un test sur les miels. Natalie Favre
: « Greenpeace procède régulièrement à des tests sur les aliments.
Nos collègues allemands nous ont dit qu'ils avaient trouvé du
pollen OGM dans des miels. On a testé des miels d'Amérique latine,
d'Amérique du Nord et quelques miels européens. On s'est rendu
compte que, sur 16 produits testés, 6 étaient contaminés, ce qui
est énorme. On s'est donc inquiété et on a procédé au même test sur
des miels suisses. » Le test commandité par Greenpeace a été
réalisé par un laboratoire spécialisé bernois. Dans certains miels,
on a trouvé des traces :
Le miel de trèfle Clover Crest,
chez Coop.
Le miel de fleurs d'été Langnese, chez Coop.
Le miel Goldland de Aldi.
Trois des miels testés aussi par ABE contiennent des traces
d'OGM:
Le miel M-Budget de Migros.
le miel de fleurs de Coop.
le miel de fleurs d'été Goldland de Aldi.
Natalie Favre : « Nous allons contacter les magasins : même
si les traces ne dépassent pas les valeurs légales. Car on ne
connaît pas les effets des OGM sur la santé et mieux vaut prévenir
que guérir. »