- L'assurance-accidents ne couvre par nécessairement les accidents professionnels. Témoignages et enquête.
- Des soupes mal pasteurisées ont été retirées des étals chez Migros. Une consommatrice pense avoir fait les frais de ce problème. Le géant orange conteste... mais dédommage.
Assurance-accidents : une couverture "extraordinaire"
Mario Marazita est ouvrier. Il
a été victime d'un accident professionnel, du moins le croyait-il :
« J'ai essayé de retenir un outil qui tombait d'une machine.
Après, j'ai commencé à ressentir une douleur dans le dos et dans le
bras. Le lendemain matin, ma femme a dû m'aider à mettre mes
chaussettes, je ne pouvais pas me pencher. » Son
assurance-accidents refuse de le rembourser, considérant qu'il ne
s'agit pas d'un accident. Un policier a connu une mésaventure
encore plus surprenante. « Je me suis blessé en enfonçant une
porte avec un bélier, une opération que nous effectuons une
vingtaine de fois par année. J'ai senti un craquement dans l'épaule
et il s'est avéré que j'avais une déchirure aux ligaments. »
Il ne peut pas travailler pendant 6 semaines, et son
assureur-accidents ne le prend pas en charge. Ces deux accidents
sont très différents et, pourtant, ce policier et cet ouvrier se
sont heurtés à un texte de loi, extrêmement restrictif, qui stipule
que l'accident doit être dû à une "cause extérieure
extraordinaire". Ce concept controversé a été éclairci par
plusieurs jurisprudences défavorables aux assurés. Les explications
de la SUVA, l'assureur-accidents de l'ouvrier vaudois blessé par un
outil, le confirment. Philippe Calatayud, responsable des
prestations : «M. Marazita a dû rattraper une pièce entre 10 et
15 kg. En l'occurrence, cet assuré est de constitution relativement
forte, avec un certain poids, une certaine taille. Supporter un
poids de 12 à 15 kg pendant quelques secondes n'a pas pu être
considéré comme manifestement excessif. Ce que d'ailleurs le
tribunal des assurances du canton de Vaud a confirmé. » Même
logique pour la blessure d'un policier dans l'exercice de ses
fonctions. Selon son assureur-accidents, Helsana, il n'y avait pas
de facteur extraordinaire : « Si le mouvement effectué par
l'assuré se déroule normalement, de façon coordonnée sans aucune
interaction, le facteur extérieur extraordinaire n'est pas rempli.
Un critère de la notion d'accident faisant défaut, le cas ne peut
pas être pris en charge par l'assurance-accidents. »
Un exemple pour clarifier les
choses : si une ouvrière déplace une caisse et se fait un tour de
rien, ce n'est pas un accident. Si une secrétaire déplace la même
caisse et a mal au dos, c'est un accident, car ce n'est pas dans le
cadre de ses fonctions habituelles. Gilles-Antoine Hofstetter,
avocat spécialisé dans les assurances sociales : « Un certain
nombre de professions sont tout simplement exclues du champ de la
couverture et ce sont des professions à risque, par exemple sur les
chantiers ou dans le secteur industriel. Ce n'est pas logique,
puisque ce sont des professions qui devraient pouvoir bénéficier
d'une couverture étendue. » Ce sont les employeurs qui payent
l'assurance-accidents. Il s'agit d'un pourcentage du salaire brut.
Pour un ouvrier de la construction qui gagnerait 5.000 francs par
mois, le taux s'élève à 6%, soit au total 3.600 francs par an. Pour
un laborantin, un métier ou le risque d'accident est faible, le
taux s'établit à 0,25% du salaire, soit pour les mêmes revenus, 150
francs par an. Au final, ce sera l'assurance-maladie de Mario
Marazita qui lui remboursera sa facture de quelque 500 francs :
« J'ai 2'500 francs de franchise, parce que je ne vais presque
jamais chez le médecin, je suis en forme. Donc les 500 francs
étaient à sortir de ma poche. »
Les enjeux financiers sont
considérables. L'assurance-accidents couvre intégralement les soins
médicaux et comprend une assurance perte de gain si le blessé ne
peut pas travailler et même une rente pour les cas graves. Avec
l'assurance-maladie, il y a une franchise, une quote-part de 10%
sur les soins et les médicaments et elle ne comprend pas de perte
de gain. Et la situation peut déraper. Comme Mario Marazita a
longtemps attendu la décision du tribunal, il s'est vu menacé de
poursuites par la permanence médicale : « J'ai toujours payé
mes factures mais là, c'était plutôt la fierté ne pas se faire
avoir, nous les gens qui travaillons honnêtement. » Moralité
de l'histoire : mieux vaut faire très attention lorsque l'on
remplit sa déclaration d'accident, en gardant en mémoire que le
critère important, c'est que les causes de l'accident soient
"extraordinaires".
Remboursements et salaire en péril
Lorsque l'assurance-accidents refuse de prendre en charge les frais
d'un accident professionnel, il faut se tourner vers
l'assurance-maladie et mettre la main au porte-monnaie. Katia, une
jeune physiothérapeute dont la carrière a été brisée, en a fait la
triste expérience : « Un patient est tombé des barres
parallèles. J'ai essayé de le rattraper et je me suis fait mal au
dos et à la jambe. » Son assureur-accidents met 7 mois pour
décider de son sort et lui rembourse ses soins médicaux, puis un
jour, « j'ai reçu un courrier de mon assureur-accidents
m'informant du fait qu'il ne me couvrait plus, qu'il considérait
que mon accident était indépendant de mes douleurs. » Un
assureur-accidents peut-il se débarrasser d'un blessé ? Christian
Canella, avocat Association des assurés ASSUAS : «
Juridiquement, c'est possible, mais à des conditions strictes : il
faut que les effets de l'accident se soient, avec l'écoulement du
temps, éteints. » En l'occurrence, la décision de l'assureur
ne convainc pas Kathia : « Ils se sont basés sur des décisions
que je ne comprends pas. Ils se sont basés sur certaines pièces
pour prendre leur décision, ils ont sorti des phrases de leur
contexte et leur médecin conseil ne m'a même pas rencontrée pour
prendre sa décision. » Christian Cannella confirme que le
dossier n'a pas, à son sens, été traité avec le sérieux nécessaire
: « L'opinion médicale du médecin conseil, qui était censé
appuyé la thèse de l'assureur-accidents, est datée du lendemain de
la décision de ce dernier. La décision s'appuie donc sur une
opinion médicale établie... le lendemain. »
Kathia n'est pas au bout de ses
surprises. Au bout de quelques mois, son assureur-accidents cesse
de la rembourser et dégage son dossier vers son assureur-maladie.
L'enjeu est de taille, notamment avec son opération à l'Hôpital
cantonal, une facture qui s'élève à 7'600 francs. Dernier
rebondissement, encore plus incroyable : son employeur lui réclame
le salaire qu'il lui a versé pendant son arrêt de travail: «
L'assurance a mis plusieurs mois avant de rendre sa décision, et
mon employeur a continué à me payer mon salaire pendant tout ce
temps. Le jour où mon assurance a rendu sa décision, mon employeur
m'a demandé de lui rendre mes salaires. » Pour éviter ce genre
de problème, mieux vaut savoir si son employeur paye une assurance
perte de gain en cas de maladie, car il n'est pas obligé.
Entretien avec Véronique Tanerg, auteur de l'enquête
Disponible uniquement en vidéo.
Quand Migros sert sa soupe
Début
octobre, Elisabeth Pillonel est au plus mal. Elle souffre de
vomissements, de fortes douleurs au ventre et à la tête et se sent
très fatiguée, « j'ai pensé à un virus, mais la situation a
empiré, au point que je ne pouvais plus me lever. » Des
analyses médicales révèlent un problème au foie. Fin octobre, elle
reçoit un courrier de Migros l'informant qu'elle a acheté une soupe
avec un défaut de fabrication. Le géant orange a raté la
pasteurisation de 19 produits de sa marque Anna's Best. Guy
Vibourel, membre de la direction Migros : « un de nos systèmes
d'alarme, qui se déclenche lorsqu'il y a un problème de
température, est tombé en panne. » Migros ne sait donc pas si
ces plats pré-cuisinés ont vraiment été pasteurisés ou pas. Ce qui
pose un problème de développement bactérien dans ces produits. Le
distributeur s'en rend compte après avoir mis 24.000 plats cuisinés
dans les rayons de ses magasins : « C'est un nos techniciens,
dans un contrôle, qui s'est rendu compte que ce système d'alarme
était défaillant. A partir de là, nous avions un doute : les
produits étaient-ils suffisamment pasteurisés et allaient-ils
pouvoir être conservés jusqu'à la date de péremption? »
Elisabeth Pillonel a mangé deux soupes fabriquées à ce moment-là.
Migros la repère grâce à sa carte M-Cumulus. Après avoir lu ce
courrier, elle téléphone à l'infoline de Migros. Alors qu'elle est
au plus mal, elle reçoit plusieurs coups de fil du géant orange :
« Ils m'ont téléphoné le 21, le 22 le matin et l'après-midi,
puis le 23. J'ai fini par m'énerver, j'ai demandé si c'était
vraiment grave pour qu'ils me téléphonent si souvent. On m'a
répondu qu'il y avait des cas très graves et de bien me soigner.
Ils ont rappelé le vendredi, mais je leur ai dit d'arrêter de
téléphoner. »
Elle est tellement malade qu'elle
ne peut pas travailler pendant tout le mois d'octobre. Elle
sollicite alors, auprès du géant orange, une aide financière de 700
francs pour couvrir son manque à gagner et ses frais médicaux non
remboursés. Réponse du géant orange : « Même si aucune relation
directe n'a pu être mise en évidence entre les produits Anna's Best
consommés et les problèmes de santé que vous nous avez signalés,
nous vous faisons parvenir en annexe un bon d'achat Migros d'une
valeur de 100 fr. comme geste de bonne volonté. » La
coopérative n'a rien à se reprocher, mais l'indemnise... Autre
courrier, le 19 décembre : « Il n'y a, de notre point de vue,
aucune relation entre la consommation de l'un de nos produits
Anna's Best et vos soucis de santé, nous sommes prêts, sans
reconnaissance légale, à faire un geste commercial exceptionnel
d'un montant de 200 fr. pour solde de tout compte. » Est-ce
que d'autres personnes ont été indemnisées ? Guy Vibourel : «
Ce n'est pas une indemnisation. Ces personnes ont été dérangées,
inquiétées par notre souci de transparence et nos mesures de
précaution. C'est donc un dédommagement, un geste commercial, ces
personnes ont reçu 100 francs. » Ce geste commercial ne va pas
inciter Elisabeth Pillonel à acheter à nouveau des plats
pré-cuisinés : « Rien que de passer devant ce rayon me donne la
chair de poule. Je n'achèterai plus jamais ce produit. » Un
défaut de fabrication, ça peut arriver. Mais pour en informer ses
clients, Migros a misé sur son journal, sur la publicité dans les
journaux, sur sa carte M-Cumulus, mais elle n'a mis aucune affiche
dans les magasins auprès des produits à risque. Guy Vibourel :
« Il s'agit d'un retrait de précaution, nous ne pensions pas
qu'il avait un risque réel pour le consommateur et nous ne voulions
pas créer une psychose. Il y a une hiérarchie dans l'alerte. »
Dommage pour tous les consommateurs qui ont stocké des produits à
risque sans avoir été informés du problème.
Plats pré-cuisinés : les risques
La chaîne de fabrication d'un plat
cuisiné est assez longue. Elle peut débuter à l'autre bout de la
planète. Une partie des légumes provient de Chine ou d'Amérique
latine. Ce qui n'est pas sans danger. Explication d'un spécialiste
du magazine Test-Achats, Robert Rémy, responsable politique
alimentaire : « Les premiers risques sont chimiques, à savoir
la présence éventuelle, par exemple, de résidus de pesticides, de
nitrates à cause d'une utilisation abusive d'engrais. Tout cela se
produit toujours parce que, pour des raisons économiques, les
bonnes pratiques de production n'ont pas été respectées, par
exemple le délai entre la dernière application et la récolte.
» Le poulet peut également faire des kilomètres : pour les
plats pré-cuisinés, les volailles proviennent de Pologne, du Brésil
ou de Chine : « Dans le cas de la volaille et de la viande en
général, les risques sont de deux types : les risques
microbiologiques, l'hygiène du produit est fragile, et les risques
chimiques puisque l'on sait que le recours abusif aux médicaments
vétérinaires, par exemple les tranquillisants et les antibiotiques,
est encore monnaie courante. »
Vient ensuite la fabrication à
l'échelle industrielle. Malgré les contrôles sanitaires, il peut y
avoir quelques dérapages au niveau de l'hygiène dans l'usine, que
ce soit au niveau de la marchandise ou du personnel. Et il y a
pire, comme l'explique Robert Rémy : « Il y a des risques
mécaniques, à savoir la présence involontaire de débris de verre,
métalliques ou de débris d'insectes dans des produits qui sont
ainsi élaborés. » Dans les magasins, les plats cuisinés
pasteurisés sont stockés dans des frigos qui ne sont pas forcément
à bonne température, c'est à dire 5 à 7 degrés. Et ce pour
plusieurs raisons : soit le frigo est mal réglé, soit le
distributeur veut faire des économies : « Nos constats ont
démontré que ces températures ne sont pas suffisamment respectées.
C'est donc au consommateur de voir s'il y a un thermomètre, comme
l'exige la plupart des législations, et de vérifier la température
des frigos. Elle doit être entre 5 et 7 degrés pour les produits
réfrigérés et au maximum à -18 degrés pour les produits congelés.
Si ces conditions ne sont pas respectées, portez votre choix sur un
autre distributeur qui respecte ces conditions minimales. »
Des accidents peuvent donc se produire à différents stades de la
chaîne de production. Reste que la plupart du temps, l'industrie
agro-alimentaire gère bien ces risques, un pépin pouvant coûter
très cher en termes d'image.