Stylos feutres: un masque à gaz pour dessiner ?
Stylos feutres : le test !
Dans les rayons des grands magasins, c’est comme s’il existait un stylo-feutre pour chaque occasion : pointe fine, double pointe, lavable, effaçable, indélébile. Certains sont même antidérapants pour assurer une bonne tenue de l’outil scripteur, sans parler du choix des couleurs; l’arc-en-ciel fait presque pâle figure à côté des étalages des rayons papeterie.
Et pourtant, la base est la même : un corps en plastique ou en métal pour certains markers, un réservoir à encre et une mine en fibres synthétiques et un même but: déposer des pigments sur le papier. Et pour cela, chaque fabricant à sa formule, reste à savoir si elle comestible.
Un bon exemple est celui de Cédric. Il se rappelle qu’ « A l’école, je me suis déjà colorié les dents. » Mais les adultes et les enseignants ne sont pas toujours conscients que les enfants avalent de ces encres.
Cédric avoue que la maîtresse ne lui a fait aucune remarque, et pour cause. « Elle a rien vu, car j’ai tout enlevé avec la langue. »
Quand on sait que les enfants passent beaucoup de temps la tête penchée sur leurs coloriages, à mâchouiller le bouchon de leur stylo, on peut se demander si cette activité est sans risque pour leur santé.
Nous nous sommes rendus à Aix-en-Provence, dans le laboratoire Eurofins. Nous y avons amené un échantillon de 14 produits achetés dans les commerces de Suisse romande que nous avons séparé ? en trois catégories: 5 sortes de feutres de couleur, 7 lots de surligneurs et deux types de markers indélébiles.
1. Le premier test qui a été réalisé consiste à analyser la présence de métaux lourds dans nos stylos feutres. Entre les mains de nos experts, ceux-là vont être découpés, décortiqués, puis mis dans une solution.
Aurélien Jaubert : « On va ensuite bombarder d’ondes dans un four à micro-ondes pour que la solution obtenue, donc le stylo qui sera décomposé dans une solution, puisse être analysée. »
Cette solution sera donc ensuite analysée par spectrométrie de masse, dans une machine qui va nous permettre de quantifier les métaux lourds présents dans chacun des feutres, c’est-à-dire quels sont les métaux et à quelle quantité.
Lori Magnin : « On a pu déterminer la présence de certains métaux lourds à des quantités qui ne sont pas négligeables pour certains de ces feutres. Et certains métaux lourds surtout dont les effets sur l’environnement et la santé se sont avérés dangereux, comme par exemple le cadmium qu’on a pu retrouver dans certains feutres et markers.»
Présence de cadmium
-le Grip colour marker de Faber-Castell, qui affiche aussi du cobalt dans sa composition
-le Colorella Star de Pelikan.
Même si les doses sont assez faibles, il est important de préciser qu’il s’agit de produits destinés en priorité aux enfants.
Présence de chrome
-le Marking 2000 de BIC qui contient également du cobalt
Présence d'antimoine
-M-Budget
Présence de Bore
-Edding
-deux modèles de chez Stabilo, en précisant que ce dernier, le Stabilo Boss executive contient un taux extrêmement élevé de zinc par rapport aux autres produits testés.
Lori Magnin : « A mon avis, ces métaux sont utilisés pour leurs propriétés. Ils doivent apporter en fait certaines propriétés qu’on recherche dans le feutre comme par exemple le pouvoir couvrant, la brillance, l’adhérence sur tout type de support ou quelque chose. Les industries du feutre doivent trouver un intérêt à ajouter ces composés comme constituants de la formulation. »
2. Dans certains cas aussi, la présence de ces métaux lourds s’explique par des pollutions qui interviennent au cours du processus de fabrication. Reste à savoir si ces métaux lourds pourraient constituer un risque pour notre santé, lorsqu’un enfant met par exemple un stylo à la bouche. Nous avons demandé à nos experts de réaliser un test de migration. Etant donné le coût de ces analyses, nous n’avons choisi de tester que les 4 stylos qui présentaient des concentrations en métaux lourds les plus importantes. On leur a fait subir un autre traitement de choc.
Aurélien Jaubert : « Je suis entrain de décortiquer un stylo, c’est-à-dire séparer chaque pièce qui compose le stylo, donc le bouchon, le corps, la réserve d’encre et la mine. Puisqu’en fait pour le test de migration, on va analyser chaque partie du stylo d’une manière indépendante. »
De ces petits morceaux découpés, on va garder 100 mg de chaque composant de chacun des stylos et les mélanger ensuite à un solvant. Le reste du protocole est un peu compliqué, mais au final, tout cela sera analysé par le spectromètre de masse, afin de vérifier si les métaux lourds présents dans les feutres ont des risques de migrer vers notre organisme.
Lori Magnin : « Des normes ont été établies sur la sécurité des jouets en général de tous les objets qui vont être manipulés par les enfants. Et même si les migrations qu’on a pu observer sont parfois au-dessus des limites de détection de nos appareils, elles restent tout à fait en-dessous des limites tolérées et qui ont été établies en fait par ces normes. »
Pour résumer, selon les normes européennes en vigueur, il n’y a pas de risque avéré de migration. Toutefois, une autre question se pose, quand on voit les enfants bien appliqués à la tâche, quelles sont les substances qu’ils respirent au-dessus de leur dessin.
3. Pour ce faire, un troisième test a été réalisé en laboratoire afin de quantifier les COV, les composés organiques volatiles émanant des stylos feutres. Nos experts ont dessiné avec chacun des stylos pendant 15 minutes sous une cloche et ont analysé l’air aspiré pendant cette période.
Lori Magnin (off): « Chaque pic sur ce spectre, sur ce graphique correspond à une molécule bien précise, un composé chimique. »
Vincent Perret : « On a trouvé 2 types de problèmes. Soit sur certains produits, on a des concentrations très fortes de solvants, de solvants qui ne sont à priori pas dangereux dans des quantités raisonnables, mais là les quantités sont telles que ça peut poser un problème pour les utilisateurs et des formulations où là on a tout un cocktail de produits qui n’ont rien à faire dans des produits de consommation courante. »
Les produits qui posent donc problème sont les deux markers de notre test, dont les émanations sont très importantes. Ils affichent de plus des concentrations extrêmement élevées d’un solvant, le 1-Methoxy-2-propanol, un éther de glycol.
Vincent Perret : « C’est un solvant qui n’est pas réputé très dangereux, mais les concentrations mesurées font que là on est vraiment dans un problème potentiel suivant le type d’exposition. Dans ce cadre-là, la forte exposition suffit à amener pour les personnes sensibles des problèmes euphoriques ou alors des problèmes de narcose. »
Un échantillon sort du lot au niveau de la toxicité des produits mesurés, c’est le surligneur M-Budget qui non seulement renferme du styrène, un produit irritant pour la peau et les yeux, mais surtout contient des substances telles que du dioxane, un cancérogène de classe 3 et du 2-Propenenitrile, un cancérogène de classe 2 et en quantités non négligeables.
Vincent Perret : « Ca laisse supposer que l’industriel n’a pas maîtrisé complètement et jusqu’au bout son processus de fabrication du plastique et du coup, on retrouve des éléments sous forme libre dans sa formulation. Ce qui est gênant aussi, c’est qu’on retrouve dans ce stylo des traces de parfum, peut-être, certainement pour cacher une mauvaise odeur, mais en tout cas, associer le parfum et la présence de ces produits qui sont mutagènes cancérigènes, c’est pas forcément une bonne idée. »
Si nous résumons : le laboratoire a trouvé des traces de cadmium, cobalt, chrome, zinc, à des taux qui ne sont heureusement pas problématiques pour la santé, mais problématiques pour l’environnement, quand ces produits sont incinérés et leurs cendres mises en décharge! Sur le plan des solvants, et donc des vapeurs toxiques que peuvent dégager certains stylos, c’est nettement plus problématique pour la santé : 9 stylos émettent trop de solvants, qui peuvent irriter les bronches, la peau, les yeux ou encore provoquer des vertiges ! Enfin, le surligneur M-Budget renferme un cocktail de substances mutagènes et cancérigènes, ce qui n’est absolument pas normal : c’est inutile de nous exposer à de telles substances, même si les concentrations ne sont pas très importantes. La Migros se dit surprise par ces résultats ( que notre laboratoire a confirmé, il n’y a donc pas de doute !), mais a préféré faire de nouveaux tests avant d’agir.