Le gaz de schiste est considéré par certains comme une énergie propre et donc une alternative au pétrole et au charbon. Mais son mode d'extraction est contesté du fait des catastrophes écologiques et sanitaires observées au Canada et aux Etats-Unis : réserves d'eau potable contaminées, produits toxiques disséminés dans la nature…
Un mode d’extraction contesté
Peut-on sortir du nucléaire et comment ? Depuis la catastrophe de Fukushima, cette question est majeure. Dans ce contexte, une source d’énergie déchaîne les passions : le gaz de schiste. Pour ses partisans, il s’agit d’une piste très intéressante que l’on aurait grandement tort de négliger. Les ressources en gaz de schiste seraient quatre fois supérieures à celles du gaz traditionnel. Il serait aussi moins polluant que le charbon… bien qu’une récente étude américaine de l’Université de Cornell remette cette affirmation en question.
Reste que le mode d’extraction de ce gaz non conventionnel requiert des moyens massifs qui ne sont pas sans danger pour l’environnement.
Direction la plaine du Saint-Laurent au Canada.
Une tour de 8 étages, des machines et un va-et-vient incessant de camions citernes… C’est sûr, les forages gaziers ont changé la vie du village agricole de Saint-David.
Il y a trois ans, le maire Raymond Harel ignorait qu’il y avait du gaz à exploiter dans sa municipalité. Lorsqu’une compagnie a proposé de forer un puits d’exploration, il a accepté : « Puis là, à un moment donné, on a eu une autre demande pour cinq autres forages. Là, on s’est dit Woopalaï ! Jusqu’où ça va aller ? On ne peut plus les empêcher. Ces gens-là peuvent débarquer n’importe quand pour faire leurs forages. »
Depuis 2008, la vallée du Saint-Laurent s’est couverte de permis d’exploration gazière, jusque sur l’île de Montréal. Raymond Savoie, président de Gastem à Montréal considère le gaz de schiste comme une énergie d’avenir : « On sait que le potentiel est énorme. On est en mesure de répondre aux besoins du Québec et ailleurs aussi dans les Maritimes, par exemple, pour certainement deux générations, peut-être trois. »
Contrairement au gaz conventionnel qui est contenu dans des poches souterraines et donc facile à capter, le gaz de schiste, lui est disséminé sur de grandes surfaces et emprisonné dans une roche très compacte : le schiste.
Il faut donc fracturer la roche pour libérer le gaz grâce à une technique appelée fracturation hydraulique ou fracking.
Cela commence par un forage vertical. Lors de cette opération, on traverse des couches successives de porosité et de densité variables. Pour isoler le puit, une série de gaines de ciment est coulée autour du tuyau de production. En surface et lors de la traversée de la nappe phréatique, les gaines de ciment sont plus épaisses.
Lorsque la zone des schistes est atteinte, entre 1000 et 3000 m de profondeur, le forage se poursuit à l’horizontale. La fracturation hydraulique en tant que telle peut commencer.
Elle nécessite des quantités d’eau considérables. Des millions de litres d’eau sont injectés à très haute pression pour fracturer la roche. Le gaz est alors libéré et remonte à la surface.
Le liquide de fracturation est composé à 99% d’eau, mélangée avec du sable qui sert à maintenir les fissures ouvertes. On y ajoute des composés chimiques, comme des décapants, des antibactériens, qui vont faciliter l’extraction du gaz.
Ils représentent 1% du mélange, soit près d’une centaine de tonnes de produits tout de même.
Ce sont ces produits qui sont aujourd’hui pointés du doigt. Car les pétroliers rechignent à livrer la recette de ces cocktails classés « secret industriel ».
Aux Etats-Unis, un très sérieux rapport parlementaire a récemment identifié 750 produits chimiques utilisés par les plus grandes compagnies.
On y trouve des substances parfois très toxiques comme le benzène, un cancérigène reconnu, le plomb ou encore le méthanol utilisé dans les antigels et les pesticides.
Le rapport s’inquiète de la présence de ces substances dans les sous-sols et les eaux usées. Car 20 à 40% des eaux de fracturation remontent en surface sous forme de boues, charriant parfois des sels très corrosifs, des métaux lourds voir des éléments radioactifs naturellement présents sous terre.
Ces boues doivent être filtrées, analysées puis traitées dans des stations d’épuration. Un lourd travail de dépollution, indispensable pour éviter que tout cela ne finisse dans la nature. Mais tout ne marche pas toujours comme prévu.
Ainsi le 20 avril 2011, dans le nord de la Pennsylvanie aux Etats-Unis, une explosion a lieu lors d’un fracking. Des centaines de milliers de litres d’eaux usées contaminées se déversent alors dans les champs et la rivière voisine. La compagnie Cheasapeake invoque une défaillance technique. Ce n’est pas la première dans la courte histoire du gaz de schiste.
Avec ses 500'000 puits, le gaz de schiste représente aujourd’hui la moitié de la production gazière des Etats-Unis! Et les réserves sont immenses. De quoi assurer l’indépendance énergétique du pays pendant 110 ans…Mais à quel prix ?
Gaz de schiste: quand l’eau prend feu
La Pennsylvanie est considérée comme l’Arabie saoudite du gaz naturel, ici on est passé de 27 à plus de 1300 forages en trois ans. Une nouvelle ruée vers l’or pour les pétroliers. Le village de Dimock a subi bien malgré lui les conséquences de cette course au profit.
Tout a commencé le 1 janvier 2009. Norma Fiorentino fête la nouvelle année au village voisin. Au retour, une surprise de taille l’attendait : « Mon fils était venu me reconduire chez moi. Il est entré et m’a dit: Maman, il y a un gros trou devant la maison, là où était le puits artésien. » Norma Fiorentino est restée incrédule.
La dalle de béton avait été soufflée par une explosion à la tête du puits d’eau potable. L’étincelle d’une pompe automatique avait enflammé du gaz.
A l’époque la famille ne se doute pas qu’il puisse y avoir un lien avec le forage de la multinationale texanne Cabot Oil and gas, à 200m de la maison.
Un peu plus loin, chez Jean et Ronald Carter, on a foré encore plus près de leur maison.
De leur balcon, une vue imprenable sur le puits. Avec le bruit et l’odeur en prime, lorsque les gaz sont ventilés, à savoir toutes les 15 minutes en moyenne, jour et nuit.
Rien qu’ils aient autorisé, ou même qu’ils puissent contester : la terre ne leur appartient pas.
Jean Carter se souvient: « Mauvais goût et mauvaise odeur dans l’eau. Fin octobre 2008. Le premier puits a été creusé en septembre 2008. Un mois plus tard, on avait ce problème. »
Chez la famille Sautner, on peut entendre un son étrange. Il provient de leur puits d’eau potable : « c’est du méthane qui se propage et remonte à la surface. C’est ça, ce bruit que l’on entend. »
Un kilomètre plus loin, dans la maison de Scott Ely, adossée à la colline, c’est carrément l’eau du robinet qui s’enflamme !
null« Mon cousin a posé deux pichets d’eau brune sur la table de la cuisine. Pendant qu'on discutait, j'ai approché un briquet et le pichet d’eau s’est enflammé. On a compris qu’il y avait un sérieux problème. »
Car à Dimock, c’est bien le scénario du pire qui s’est produit. Dans les puits des gaines de ciment mal faites ont laissé apparaître des fissures. Le gaz a fui et a atteint la nappe phréatique, comme le confirme John Hanger, Secrétaire à l’Environnement de Pennsylvanie : « Le gaz s'est propagé à travers le sol et a contaminé 14 puits artésiens. »
L’entreprise Cabot est entièrement responsable de cette catastrophe. Il aura portant fallu deux ordonnances légales pour qu’elle réagisse.
L’enquête officielle a démontré que Cabot a aussi pollué les sols et les cours d’eau. Dans certains cas, c’est du carburant diesel des camions-pompe qui s’est répandu sur le sol. Dans d’autres, les boues de forage ont contaminé une rivière.
Pour les familles affectées, c’est la problématique de l’eau qui pèse le plus. Leurs puits ayant été condamnés, Cabot leur livre chaque jour de l’eau propre dans de gros conteneurs.
Jean Carter, une habitante de Dimock ne voit pas de solution : « Je ne sais pas ce qu’on va faire. Il va falloir partir, on ne peut pas vivre comme çà. On vieillit, on ne devrait pas être obligé de vivre comme ça. C’est trop pénible. »
Une citoyenne canadienne a elle décidé de réagir frontalement. Elle poursuit l’entreprise gazière EnCana devant les tribunaux en Alberta. Le verdict est très attendu, car il fera jurisprudence.
Car d’autres preuves existent démontrant que l’extraction du gaz de schiste peut être nocive. Une vaste étude du New York Times vient d’en fournir plusieurs aux Etats-Unis: traces de radioactivité dans l’eau potable, pollution de l’air, asthme chez les enfants, nausées, diarrhée… Plusieurs Etats américains ont décidé de réagir en décrétant un moratoire sur l’exploitation du gaz de schiste.
En Europe c’est aussi la ruée vers le gaz de Schiste… Royaume Unis, Pologne, Espagne… De nombreuses compagnies américaines prospectent…Mais cela ne se passe pas toujours comme prévu..
NO GAZARAN !
En ce week-end ensoleillé d’avril, un même cri de colère résonne aux quatre coins de la France.
En 2010, Jean-Louis Borloo ministre de l’écologie a autorisé la recherche de ces hydrocarbures dans de larges zones du sud de la France. De l’Aveyron à l’Ardèche, en passant par la Drôme, les permis couvrent plusieurs milliers de km2.
Ils ont été accordés à Total ou encore à la compagnie américaine Schuepbach.
Ce jour-là dans la Drôme, plus de 4000 manifestants sont venus réclamer l’abrogation de ces permis. Des militants, mais aussi des familles et de nombreux élus locaux.
Claude Pradal, Maire: « Nous sommes à la fois optimistes par la mobilisation, mais inquiets par les déclarations qui sont faites soit par les membres du gouvernement, soit par les pétroliers. »
Si Claude Pradal est inquiet, c’est que sa commune, Villeneuve de Berg, est située sur l’une des zones concernées par les permis d’exploration. Et la région a déjà connu la prospection d’hydrocarbures : « Voilà l’endroit où avaient eu lieu les forages il y a 50 ans, à la recherche de pétrole. le patron de la multinationale américaine a été très clair, s’ils commencent par là, c’est parce qu’ils savent qu’il y a du gaz de schiste à 2000-2500 mètres.»
Des paysages de rêve, une nature préservée ; à quelques km sous cette carte postale ardéchoise Schuepbach, associée au français GDF Suez espère bien trouver et exploiter un trésor. Il a investi 50 millions de francs pour explorer la zone.
Claude Pradal : « Ils nous ont dit, quand même, avec le pactole que vous avez sous les jambes, vous pourriez céder. Ce serait très bénéfique pour la région. Ce discours, on ne l’a pas entendu. On ne veut pas qu’une si belle nature soit sacrifiée avec des forages tous les 100 ou 200 mètres. »
Le gaz de schiste, à Villeneuve, on n’en avait jamais entendu parler auparavant. Pourtant, les pétroliers avaient déjà un planning très précis, comme nous le montre Claude Pradal : « Etude sismique le 1 trimestre 2011, forage à Villeneuve le 4 semestre 2011 et puis 2012, fracturation des puits de Villeneuve de Berg et forage des puits de Val vignières. Ici, si vous voulez, on n’a rien trouvé comme inconvénient. Il n’y a que des avantages. Pour nous, si vous voulez, ça a été un déni de démocratie. »
Mis devant le fait accompli, Claude Pradal prend alors un arrêté d’interdiction municipal contre le projet, suivi par une dizaine d’autres maires. Et c’est toute une région qui entre en résistance…
Renée Colbeau habite à Villeneuve de Berg. Elle s’inquiète : « ça fait peur parce qu’en Ardèche, on a pas beaucoup d’eau. Donc s’il faut qu’on ramène de l’eau de la vallée du Rhône, ça nous fait des camions en quantité et que nos routes sont pas faites pour ça et qu’on est un pays de tourisme, de calme, de repos, d’agriculture et de viticulture. »
La saison touristique va commencer. Au camping du Pont, à Pradons, on attend près de 3000 visiteurs. Comme beaucoup de professionnels de la région, Jean-Claude Louchard est préoccupé : « Pour extraire du gaz de schiste, il faut mettre pas mal de produits pour extraire ce gaz. Il faut énormément d’eau également. Si bien qu’après, on ne sait pas bien comment va être la nappe phréatique. Et que serait l’Ardèche après ? On ne sait pas.
Nous, on a une inquiétude par rapport à ça. L’inquiétude de plus voir de tourisme, de faire peur. Si ils se disent que l’Ardèche est plus navigable ou polluée, pourquoi venir en Ardèche ?! »
Sur la télévision régionale, Martin Schuepbach, patron de Schuepbach Energy, interviewé depuis Dallas, essaye bien de rassurer : « Vous savez, je suis d’origine suisse, je suis européen, je suis sensible à l’environnement. Je n’ai pas du tout l’intention de venir en Ardèche pour tout détruire. C’est vrai qu’il y a eu des accidents aux Etats-Unis. Mais comme il y a des accidents de voiture ou d’avion aussi.»
Un discours qui ne passe pas : « Les propos qu’il tient sont inquiétants. Il minimise tous les problèmes.» s’indigne le maire Claude Pradal.
Alors depuis plusieurs mois, des collectifs citoyens se sont créés. Ils écument les villages de la région pour informer la population, comme à Ruoms. Deux heures d’argumentaire militant, et un public concentré.
Et le consensus semble total, selon Yan Chauwin, du collectif 07 « Stop au gaz de schiste » : « On a un mouvement qui a réuni quasiment 100% de la population. Une population intégralement réunie derrière une même cause, c’est rare ! L’objectif premier c’était l’information et obliger les gens à se mobiliser. Parce que l’on savait que seule la mobilisation citoyenne à grande échelle fonctionnerait. Et on s’aperçoit avec un peu de chance que ça marche. »
Effectivement, en ce mois d’avril 2011, trois projets de loi visant à interdire l’exploration et l’exploitation du gaz de schiste sont déposés au parlement.
Le Premier ministre lui-même annonce vouloir tout remettre à plat et annuler les autorisations déjà données sans concertation. Mais ce rétropédalage soudain des politiques ne convainc pas.
« C’est comme un divorce actuellement … Nous n’avons plus confiance. Il y a eu un avant et il y a un après ceci. » s’écrie une dame. Un autre participante à la réunion de Ruoms renchérit : « Ils sont plus crédibles parce qu’ils ont fait ça soi-disant ils savaient pas… Ben ouais, mais s’ils savaient pas c’est quand même grave…qu’un ministre de l ’environnement en plus, signe des permis sans savoir les conséquences ! »
Quelques jours plus tard, un rapport des experts du gouvernement préconisait la poursuite des recherches et des forages expérimentaux, jugeant qu’il serait dommageable pour l’économie et l’emploi de se priver du potentiel des sous-sols français.
Quand à Schuepbach energy, elle a déposé un recours en annulation contre l’arrêté de Villeneuve de Berg.
Des derricks dans la Glâne ?
En Suisse, la prospection de gaz de schiste a commencé. Des permis d’exploration ont été accordés dans des zones très précises. Pourtant, certaines autorités communales n’avaient pas bien compris l’ampleur des enjeux jusqu’à ce que notre équipe ne vienne un peu éclairer le tableau !
Jon Mosar, professeur de géoscience à l’Université de Fribourg nous accompagne sur un site concerné par les permis d’exploration : « On se trouve dans le plateau suisse, dans le plateau molassique, qui est fait de ces roches qu’on appelle la molasse, entre le Moléson et au fond, à notre droite, au nord, le Jura. Et devant nous, on voit toute cette zone qui est la zone du permis d’exploration. Ce qu’ils cherchent à explorer ici, c’est des schistes à gaz qui se trouvent en profondeur, beaucoup plus profond que cette molasse, à peu près à 2,5-3km sous le sol. »
Depuis 2008 une compagnie texane explore en effet le potentiel en gaz de schiste à l’ouest du canton. Le permis concerne une zone de 270 km2. Il a été octroyé par le conseil d’Etat à Schuepbach Energy, la même entreprise qui prospecte en France. Du gaz, ici, on sait qu’il y en a. Et depuis longtemps.
Jon Mosar nous le démontre avec un document d’époque : « On a ici une lithographie qui montre une flamme qui est issue d’une explosion de gaz vers 1840 dans la région près des Préalpes et qui a brûlé pendant plus d’une semaine. Paraît-il qu’on voyait même la flamme depuis Fribourg! »
Du coup, dans les années 70, on a cherché du pétrole et du gaz conventionnel. Sans succès. Mais ce qui a été remonté de ces forages intéresse aujourd’hui beaucoup les pétroliers.
Philippe Petitpierre représente l’industrie du gaz en Suisse. Pour lui, le gaz de schiste est avant tout une véritable opportunité : « La différence fondamentale pour le gaz de schiste par rapport au gaz conventionnel, c’est que ce gaz de schiste est trouvé dans les pays européens en l’occurrence et sera consommé dans les pays européens. Ceci par opposition au gaz que nous connaissons aujourd’hui, conventionnel, et que nous devons importer sur de très longues distances. La différence est donc très importante, sachant que ce gaz de schiste a une utilisation très locale. »
Indépendance énergétique, coûts de récupération moindre, les avantages sont clairs. Les Etats-Unis, qui se sont jetés à corps perdu dans ce marché sont désormais premier producteur mondial de gaz, devant la Russie.
Philippe Petitpierre rappelle que cette production a permis de réduire le prix du gaz aux Etats-Unis : « Depuis 2007, le prix du gaz sur le marché américain a été divisé par trois. Et ça, c’est essentiellement pour ne pas dire uniquement la résultante de ces découvertes de gaz de schiste. »
Et toujours selon Philippe Petitpierre, l’exploitation du gaz de schiste en Europe devrait avoir les mêmes effets qu’Outre-atlantique : « Le prix du kilowatt heure pourra être beaucoup plus bas que ce qu’il est aujourd’hui. S’il y a une opportunité pour trouver une énergie endogène, naturellement, ça serait irresponsable de ne pas investiguer et essayer de trouver des solutions pour la récupérer. »
Investiguer, c’est précisément ce qui a été fait depuis 2008 à Fribourg. Relevés sismiques, archives géologiques, échantillons de roche ont été passés au crible. Le géologue Werner Leu a analysé toutes ces données pour le compte de l’entreprise texane Schuepbach.
Au terme de 3 ans de travail, il est confiant : « Les premières évaluations sont positives et la prochaine étape serait certainement de faire un forage ou plusieurs forages. En principe, le 1 forage sera seulement vertical pour toucher cette roche avec la technologie moderne, pour sortir de nouveaux échantillons. »
On en est pas encore à la fracturation hydraulique. Mais à ce stade de l’exploration, pour le professeur Jon Mosar, certaines questions méritent déjà d’être débattues.
Un risque qui n’est pas négligeable. Benzène, toluène, méthanol ; comme nous l’avons vu, le cocktail chimique utilisé pour récupérer le gaz de schiste aux Etas-Unis est effrayant et avéré. Alors, appliquerait-on les mêmes recettes en Suisse ? Werner Leu se veut rassurant : « Il y a déjà 50 ans qu’on a fait les premières fracturations. Là, on a injecté du diesel. C’est clair, là-dedans il y a des composants qui sont cancérogènes. Aujourd’hui, c’est bio et vert. Il y a plusieurs types d’additifs, de produits chimiques comme du sel, comme des matières organiques, comme du sucre. Ils ne peuvent pas faire des dégâts à l’eau ou aux roches. »
Dès lors, comment expliquer qu’aux Etats-Unis on utilise jusqu’à 700 produits chimiques dont certains toxiques pour faire la fracturation alors qu’une méthode « verte » existe ?
Selon Werner Leu, la course au profit explique ces choix :
« En Amérique ça doit aller très vite. Il y a une pression de concurrence très forte. L’industrie gazière de suisse ne va pas utiliser ces produits, même si ça va mieux pour la fracturation. Ils ne peuvent pas, car il y a le contrôle des autorités qui sont très alertes aujourd’hui. Je pense que c’est ça la différence. »
Malgré nos demandes répétées, Werner Leu juge impossible à ce stade d’énumérer la liste exacte des substances chimiques qui seraient utilisées.
Le fracking bio avec du sel et du sucre, une particularité suisse ? Il faudra donc pour l’instant, croire l’industrie sur parole.
Mais les gaziers font valoir d’autres arguments pour illustrer leur savoir-faire en matière de sécurité. Comme par exemple le récent forage de Noville dans le canton de Vaud. Ici, on a cherché du gaz conventionnel à 3500m sous le Léman et à deux pas d’une réserve naturelle.
Selon Philippe Petitpierre, l’exemple américain ne pourrait pas se produire en Suisse : « La mise en place de la plate forme qui était appelée à recevoir la tour de forage a nécessité chez nous plus d’une année de travaux. Plus d’une année d’aménagements particuliers, ne serait-ce que pour protéger la nappe, protéger le milieu, l’environnement. Une opération comme celle-ci, aux Etats Unis, on arrive avec un camion équipé d’une tour et on fore. Ce que l’on voit dans les médias, des méthodes appliquées aux Etats-Unis pour extraire le gaz de schiste, est tout simplement scandaleux et ne pourrait pas être appliqué en Suisse en particulier et en Europe en général. »
Jon Mosar ne partage pas cet optimisme : « On n’est jamais à l’abri d’un accident. Et dans ce domaine, un accident c’est toujours très grave. »
Sans compter les paramètres plus difficilement contrôlables.
A Bâle, en décembre 2006, lors d’un forage de géothermie à 5km sous-terre, des injections d’eau à très haute pression ont déclenché des séismes à répétition, semant la panique dans la population.
Werner Leu assure prendre en compte ce risque : « Bon, ça c’est un sujet délicat en Suisse, car on sait que des fracturations provoquent des micros tremblements de terre. C’est normal, ça arrive toujours. Et là, il y a toutes les intensités de tremblement de terre. Pour empêcher ça, on peut calculer ce qui se passe par avance. Mais la seule chose qu’on peut faire finalement, c’est de poser des sismomètres dans les endroits juste autour du forage ou autour de cette région pour observer ce qui se passe pendant la fracturation .»
Pour Jon Mosar les grandes failles du sous-sol fribourgeois représentent un risque supplémentaire, qu’il ne faut pas négliger: « Fribourg a connu un tremblement de terre de magnétude 4.2. Ce qui est déjà assez conséquent. On pourrait très bien imaginer que la fracturation que l’on va faire dans le sous-sol, induise un tremblement terre de magnétude 3 ou 4. On ne peut pas l’exclure et je crois qu’il faudrait vraiment faire une étude de sous-sols plus détaillée que jusqu’à présent. »
On l’a vu, les questions sont nombreuses. Mais qu’en pensent les principaux concernés ? A Mézières par exemple, commune rurale située au coeur du secteur d’exploration fribourgeois.
Le gaz de schiste, Frédéric Dumas, agriculteur, n’en a jamais entendu parler… Il sait encore moins qu’une entreprise américaine en cherche sous ses pieds !
Si les paysans ne sont pas au courant, les autorités locales, elles, doivent être mieux informées. Rendez-vous avec Roger Brodard, syndic de Romont. Mais là, nouvelle surprise :
« Alors pour être clair, après des recherches dans nos archives, personne n’a entendu parler de ces autorisations d’exploration sur nos communes.» Il est d’autant plus surpris de découvrir la carte des permis d’exploration pour Fribourg apportée par notre journaliste. Il n’en avait jamais eu connaissance. Il juge cette non information aux communes inadmissible : « Je pense que c’est un oubli ou c’est une volonté, je n’en sais rien ! »
Pour en savoir plus, Roger Brodard a donc consulté Internet. Ce qu’il a lu et vu ne l’a pas vraiment rassuré : « Quand vous imaginez toutes les nappes phréatiques qui pourraient être empoisonnées à cause de ce gaz, c’est pas pensable. Nous, on a besoin de l’eau pour la population et les animaux. Pas pour extraire du gaz de schiste. »
En 2008 les autorités fribourgeoises n’ont pas jugé utile d’informer communes et districts à ce stade préliminaire de l’exploration.
Le permis de recherche accordé à Schuepbach Energy permet pourtant beaucoup de choses, notamment des forages exploratoires.
Martin Leu, juriste à la direction de l’aménagement, de l’environnement et des constructions de Fribourg rappelle qu’il existe des garde-fous « En principe, ils ont le droit de faire un trou. Mais bien évidemment, ils ont aussi besoin des différentes autorisations pour faire ce genre de travail, comme toute entreprise ou particulier qui veut faire des constructions. Ils ont aussi besoin d’un permis de construire, voire d’un plan spécial pour faire ce genre de travail. »
Et les prérogatives de ce permis ne s’arrêtent pas là. Ainsi si Schuepbach Energy souhaite forer ou utiliser un terrain privé pour ses recherches exploratoires…
« L’entreprise doit contacter directement le privé pour avoir une autorisation pour aller sur son terrain. La loi prévoit également des dispositions en matière d’expropriation. Une société qui a une concession aura des moyens pour même passer en expropriation. » explique le juriste.
Pour Christian Van Singer, les enjeux environnementaux et légaux liés au gaz de schiste dépassent largement le cadre cantonal. Le conseiller national vert estime qu’ils devraient être mieux encadrés. Il a déposé une interpellation en ce sens au Conseil fédéral: « On va presser la planète jusqu’à la dernière goutte de pétrole, la dernière goutte de gaz, quitte à faire beaucoup de dégâts. Nous avons l’impression que la Confédération ne se rend pas compte des problèmes que pose l’extraction des gaz de schiste. Toutes ces menaces, que ce soit la pollution des nappes phréatiques, que ce soit les émanations de méthane, que ça soit les métaux lourds, la radioactivité ; les politiciens ne sont pas tout a fait au courant. Et surtout, ce qui n’est pas évident, c’est que les cantons soient armés pour poser les bonnes conditions aux exploitants pour qu’on ait pas de problème par la suite.»
D’autant que les permis d’explorations d’hydrocarbures sont nombreux en Suisse romande. Ils ne concernent bien sûr pas tous la recherche de gaz de schiste. Mais certaines compagnies comme le suisse SEAG associé à l’américain Ecorp ne cachent pas leur intérêt.
Déjà présente dans le canton de Vaud, SEAG a demandé un permis d’exploration à Fribourg. Tandis que Schuepbach Energy attend une décision des autorités vaudoises pour un permis de recherche entre Lausanne et Nyon.
L’histoire devait s’arrêter là. Mais c’était sans compter un ultime coup de théâtre du côté de Fribourg au dernier jour de notre tournage.
Communiqué du 20 avril 2011 : « Le Conseil d’Etat suspend toute recherche d’hydrocarbures sur le territoire fribourgeois. Les conséquences sur l’environnement de l’extraction de gaz de schiste n’ont pas encore été clairement identifiées. »
Fribourg décide donc de ne plus délivrer aucun permis de recherche. Schuepbach Energy ne pourra ni forer, ni prolonger son permis actuel. Un revirement spectaculaire que les autorités assurent avoir mûrement réfléchi..comme le précise le conseiller d’Etat Georges Godel « Ce n’est pas une énergie verte, ce n’est pas une énergie renouvelable et nous voulons investir dans les énergies renouvelables que ce soit compatible avec notre stratégie énergétique du canton de Fribourg. »
Pourtant, les permis de prospection ont bien été délivrés voilà trois ans. Une décision que défend Georges Godel : « Ça n’a jamais été pris à la légère, parce qu’on ne connaissait rien à l’époque. Aujourd’hui, on sait qu’il y a peut-être un potentiel, suite à ces recherches au niveau scientifique et pour l’instant, ça nous suffit.»
Le dossier pourrait d’ailleurs être réouvert si de nouvelles études venaient prouver que les risques sont maîtrisés : « Lorsque l’on connaîtra avec exactitude ce qui se passe aux Etats-Unis ou en France, ou ailleurs en Suisse et si l’on a la garantie qu’il n’y a pas de conséquences, c’est possible que l’on revoie notre décision. Mais nous avons pris notre décision pour une durée indéterminée, jusqu’à ce que l’on connaisse un petit peu mieux la situation. » Affaire à suivre donc…
Contacté pour obtenir des informations complémentaires, Martin Schuepbach, l’entrepreneur texan, a finalement refusé de nous répondre.
Et si l’avenir était aux énergies renouvelables et surtout à un changement de comportement des consommateurs…
Pour conclure, il paraît peu probable que le gaz de schiste soit la solution d’avenir à nos problèmes énergétiques. Ce n’est pas lui qui va remplacer le nucléaire ! On sait que les énergies renouvelables ne suffiront pas à court terme à satisfaire notre demande gloutonne en énergie. La clé se trouve sûrement donc dans un changement de nos comportements..
Car la plus propre et la meilleure des énergies n’est-elle finalement pas celle… que l’on ne consomme pas !
La semaine prochaine
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