Aujourd'hui, le bio n'est plus confiné aux commerces spécialisés. Il a conquis sa place sur les rayons des supermarchés qui tiennent en Suisse 75% du marché. Mais peut-on produire du bio à grande échelle? Jusqu'à quel point l'agriculture bio est-elle compatible avec les exigences de la grande distribution? Et pourquoi reste-t-il si cher? ABE enquête sur le bio intensif. Rencontre avec des agriculteurs convertis, décryptage des labels et des prix, sans oublier, bien sûr, quelques analyses de produits.
La conversion au bio et ses contraintes
Bienvenue à Croy, dans le nord vaudois, chez Thierry Candaux. Cet agriculteur cultive blé, colza, orge et seigle sur les 77 hectares de son exploitation. Après deux ans de conversion, il vient de terminer sa première récolte de céréales bio avec le label "Bourgeon Suisse".
Il se positionne sur un marché demandeur, avec des prix des céréales qui atteignent le double et même plus que les céréales conventionnelles. Des prix qu’il considère comme justifiés au vu des nombreuses contraintes. Avec le bio, fini les herbicides, les pesticides et les insecticides chimiques. Du coup, cultiver les champs demande plus de travail. Et le risque de rendements moindres et même de perdre une partie des récoltes en cas d’attaque de ravageurs ou d’une maladie.
En Suisse, comme il faut convertir toute son exploitation au bio, Thierry Candaux possède quelques vaches bio. Non pour leur lait, mais pour qu’elles puissent pâturer les champs non cultivables et produire du fumier, un des seuls engrais autorisés. De rares engrais bio sont autorisés par le cahier des charges, mais ils sont moins concentrés et plus chers que les conventionnels. Pour s’y retrouver, les agriculteurs du canton de Vaud sont aidés par Lisa Pagani, la spécialiste en agriculture biologique qui conseille et répond à toutes leurs questions.
Passer au bio signifie donc moins de rendement, plus de travail et plus de coûts. Mais en compensation, les paiements directs et les prix de vente sont plus élevés. Au final un bilan positif pour Thierry Candaux.
Müeslis bio et non bio: le test
La Suisse ne produit pas assez de blé et d’autres céréales bio, d’où la nécessité d’en importer, pour les biscuits aux céréales ou les müeslis bio par exemple. Nous avons fait vérifier l’absence ou la présence de pesticides dans 9 müeslis pour petits déjeuners que nous avons achetés dans des magasins romands: certains sont bios, d’autres pas. Voici les résultats: Müeslis bio et non bio: le test
Aperçu des labels bio
Concernant les produits suisses:
Le cahier des charges du label "Bourgeon" de l’association Bio Suisse est le plus strict :
-
Toute l’exploitation doit être convertie au bio et prendre des mesures améliorant la biodiversité.
-
Interdiction de tout intrant chimique de synthèse, des OGM et de tout arôme et colorant.
-
Le transport en avion est interdit, de même que le chauffage des serres au-delà du hors gel.
Naturaplan affiche le label "Bourgeon" et respecte donc tous ces critères.
Des critères imposés également par le label Bio Natur Plus de Manor et Natur Aktiv d’Aldi.
Pour Migros Bio, il en est de même sauf pour les arômes et colorants naturels qui sont autorisés.
Organic de Globus, respecte l’ordonnance fédérale sur l’agriculture biologique, donc pas de restriction concernant les arômes et colorants naturels, le transport par avion et le chauffage des serres.
Concernant les produits bio importés:
Le "Bourgeon" impose les mêmes règles que pour les produits suisses.
Naturaplan, qui affiche toujours le Bourgeon, s’aligne donc. De même pour Bio Natur Plus de Manor.
Migros Bio reprend certaines normes du "Bourgeon", mais applique les standards européens pour d’autres points, à savoir qu’il n’impose pas que toute l’exploitation soit bio et il autorise les arômes et colorants naturels, ainsi que le chauffage des serres au-delà du hors gel. Il en est de même pour Natur Aktiv d’Aldi.
Enfin, Organic de Globus dit appliquer aussi l’ordonnance suisse sur l’agriculture biologique. Donc pas de restriction quant aux arômes et colorants naturels, au transport aérien et au chauffage des serres.
On n’oubliera pas aussi le label Demeter, qui suit les préceptes et les conditions particulières de la bio-dynamie. En outre, certains labels tiennent aussi compte des normes sociales, des conditions de travail, mais pour l’instant, c’est assez peu vérifiable.
La grande distribution et le bio
En Suisse, Coop est le pionnier du bio dans la grande distribution avec Naturaplan, sa marque bio lancée il y a 20 ans avec pour partenaire le label Bourgeon.
Pour les maraîchers bio tels que Bio Saveurs, à Genève, conquérir les rayons des supermarchés signifie produire de gros volumes sur des grandes surfaces, mais avec toutes les contraintes du cahier des charges Bourgeon. Les moyens sont donc limités pour lutter contre les aléas de la nature. Pour un champ de salades bio, par exemple, où la mauvaise herbe doit être arrachée à la main, le coût de main d’œuvre est bien plus important qu’en conventionnel. Cela explique en partie que les produits bio soient 30 à 50% plus chers à leur sortie de l’exploitation.
Autre coût à la charge du producteur: les analyses faites par le chimiste cantonal pour vérifier l’absence de résidus chimiques, et cela sur chaque variété, juste avant la récolte.
Filière séparée, gestion de petites quantités. Les grands distributeurs disent avoir, eux aussi, des coûts supplémentaires sur le bio. A quoi on peut certainement ajouter les dépenses massives de marketing et de communication. Avec au final des produits bio qui coûtent vraiment plus cher que leur équivalent conventionnel. Mais de combien? Entre 10 et 30%, nous affirme Ramon Gander, porte-parole de Coop. Mais ABE a pu constater dans les rayons des différences pouvant aller de 50 à 80%. Pourquoi? Mystère. Malgré nos demandes précises et répétées sur ces produits, la seule explication que nous avons pu obtenir de Coop, c’est que le prix d’achat du bio aux producteurs est en général plus élevé. Le grand distributeur nous affirme en plus ne pas prendre davantage de marge sur les produits bio que sur les autres. Ce qui est malheureusement invérifiable.
Autre exigence de la grande distribution: pour le bio comme pour le conventionnel, elle veut des produits standardisés, calibrés, bref quasi parfaits. Cela dit, sous la marque Unique, quelques produits moins parfaits ont réapparu sur les rayons de la Coop. Ils viennent de la production conventionnelle. Alors à quand aussi du Unique bio?
Poivrons et courgettes bio et non bio: le test
ABE a analysé des poivrons et des courgettes bio ou conventionnels, suisses ou étrangers. Tout ce qu'il faut pour faire de bonnes comparaisons. Voici les résultats: Poivrons et courgettes bio et non bio: le test
Le bio est-il meilleur que le conventionnel?
Dominique Barjolle, directrice adjointe FIBL (institut de recherche de l’agriculture Suisse-Allemagne-Autriche) répond aux questions d’ABE.
Outre l’absence de résidus chimiques, le bio est-il meilleur pour la santé? La scientifique estime qu’il est exagéré de dire en général que le bio a une valeur nutritive plus élevée. Mais elle souligne qu’il est vrai que dans certaines conditions, les produits bio peuvent contenir davantage de certains composants comme des antioxydants.
Le bio a-t-il meilleur goût? La variété la plus productive perd généralement des qualités gustatives. Le cas de la tomate en est une illustration évidente. Et la recherche variétale a justement pour but de trouver le meilleur équilibre entre rendement et goût.
Le bio est-il meilleur pour les sols? Les résultats d’essais longue durée montrent effectivement que le sol, sa structure et sa capacité à mobiliser les éléments nutritifs du sol s’améliorent.
Le bio est-il meilleur pour la planète entière? Pour l’instant, un sol qui n’est pas bio est un sol maltraité à qui il faut apporter du phosphore. Cette ressource, il faut la prélever dans des gisements de phosphate, par exemple au Maroc, et qui sont, eux, en quantité limitée. Avec le bio, on essaie d’avoir un cercle fermé des éléments nutritifs où le sol régénère lui-même ses capacités.
La rubrique ABE: Moneyhouse, la plate-forme qui dévoile votre vie privée
Moneyhouse et sa vingtaine de salariés travaillent à Rotkreuz dans le canton de Zoug. Son site livre des millions de données, il est principalement financé par la publicité. Service payant parmi d’autres: afficher la solvabilité des entreprises, mais également des personnes privées.
Laurence C. et Faton P. ont découvert presque par hasard qu’ils figuraient dans Moneyhouse avec des informations telles que leurs noms, leurs lieux de résidence, les personnes avec lesquelles il-elle vivent. Informations consultables alors gratuitement pour l’un, sur abonnement pour l’autre.
Moneyhouse les collecte sur des registres publics ou sur Internet, rachète à d’autres entreprises et les agrège. Tout cela, sans le consentement des personnes concernées.
Est-ce légal? Selon Jean-Philippe Walter, Préposé fédéral suppléant à la protection des données, Moneyhouse respecte le droit s’il existe un intérêt prépondérant. Si, par exemple, une régie ou une banque veulent avoir des renseignements avant de signer un contrat avec vous. Autant dire que la loi actuelle en matière de traitements de nos données personnelles est sujette à interprétation.
Il est possible d’exiger de Moneyhouse de "vous" effacer. Mais vos données auront peut-être déjà été récupérées par d’autres sociétés.
Le directeur de Moneyhouse ayant décliné l’invitation d’ABE de venir expliquer sa vision des choses, ABE doit se contenter de ses réponses écrites. En résumé:
-
Pourquoi Moneyhouse ne demande pas le consentement des personnes? "La loi ne l’exige pas, chaque personne a un droit de correction et le droit de voir ses données effacées et s’il fallait demander le consentement à tout le monde, on n’aurait que des données sur les gens honnêtes, les moutons noirs ne donneraient pas leur consentement."
-
Y-a-t-il un risque d’erreur concernant la note de solvabilité des gens? "Un risque résiduel existe clairement que certaines informations ne soient pas exactes à 100%, c’est à l’intéresser de les faire corriger."
Et de conclure: "Nous sommes conformes en tous points à la loi."