Chaque automne, avec l’annonce des nouvelles primes maladie, c’est le même casse-tête pour les assurés: comment limiter la hausse pour l’année suivante? Les modèles alternatifs, comme celui du médecin de famille, séduisent de plus en plus. Il faut dire qu’ils sont proposés à grand renfort de publicité par les caisses. Mais attention, dans le monde des assurances, rien n’est gratuit!
La formule du "médecin de famille"
En 2014, les primes vont augmenter de 2,2% en moyenne, davantage encore dans les cantons de Genève et du Valais. Comme chaque automne, l’assuré cherche la bonne astuce qui va lui permettre de limiter les dégâts pour son porte-monnaie. Et là, les assureurs sont à l’affût. Ils font miroiter, bien en vue sur leurs sites, des formules d’assurance de base dites "alternatives" qui donnent droit à des rabais de primes. Un modèle a particulièrement la cote, celui du médecin de famille. Il attire de plus en plus d’assurés, et il semble aussi faire le bonheur des caisses.
La formule du "médecin de famille" peut séduire pour des raisons médicales. Elle met en valeur le rôle du généraliste, et elle offre au patient une meilleure coordination des soins. Cependant, chaque assureur est libre de définir ses propres règles, puisqu’il s’agit d’un modèle alternatif, non obligatoire. Et là, les choses peuvent prendre une autre tournure. Explications avec deux fins connaisseurs du monde de l’assurance et avec la Doctoresse Zirbs, médecin de famille à Genève.
Témoignages d’assurés face aux assureurs
Nos témoins ont appris à leurs dépens que dans le modèle du médecin de famille, les caisses maladie peuvent régler largement à leur convenance les droits et devoirs des assurés. L’assureur peut ainsi sanctionner un patient en ne remboursant pas une prestation qui figure pourtant au catalogue des soins couverts par l’assurance de base. Cette pratique est dénoncée par les autorités vaudoises de la santé. Elles ont alerté l’Office fédéral de la santé publique, qui leur donne tort. Le canton compte bien repartir à la charge. Une autre sanction consiste à sortir carrément l’assuré du modèle médecin de famille.
Dans ce modèle, la plupart des caisses fournissent leur propre liste de médecins de famille agréés. Mais les praticiens, eux, ne sont souvent pas au courant, et certains n’acceptent même plus de nouveaux patients!
Comment les assureurs choisissent les médecins
ABE a voulu savoir ce qui motive les décisions de telle ou telle caisse. Mais parmi 7 grands assureurs de Suisse romande, seule Concordia a accepté de recevoir notre caméra. Contrairement à d’autres assureurs, Concordia se vante d’accepter quasiment tous les généralistes sur sa liste de médecins de famille. Une exception: les médecins dont les tarifs sont jugés exagérés sont recalés. Des cas rarissimes, assure Concordia.
Swica a préféré répondre à nos questions par écrit. On apprend qu’avant d’accepter un médecin de famille, la caisse va consulter la statistique des factures tenue par son organisation faîtière santésuisse. Pour être agréé, un médecin ne doit pas trop dépasser les coûts moyens de ses collègues. L’assureur admet certaines exceptions, par exemple pour les médecins dont la clientèle est particulièrement âgée.
La sélection ne s’opère pas que sur les médecins. Le modèle du médecin de famille est aussi soupçonné de permettre aux caisses d’attirer les assurés les moins chers, ceux qui ne sont jamais malades et qu’on appelle les "bons risques".
Les explications d’Alain Berset
Le Conseiller fédéral explique pourquoi les nombreux assurés qui ont opté pour un modèle d'assurance de type HMO ou médecin de famille vont voir leur facture mensuelle augmenter davantage que la moyenne.
Quand la caisse modifie ses conditions générales
Il arrive que la caisse n’accepte plus comme médecins de famille les généralistes exerçant aussi une autre spécialité telle que, par exemple, la médecine tropicale. Une téléspectatrice, cliente d’Assura, en a fait l'expérience. La caisse lui a refusé une facture de médicaments de 270 francs, avant de la rembourser sept mois et demi plus tard.
Assura avait auparavant proposé à sa cliente de rembourser les médicaments, si elle acceptait de quitter le modèle du médecin de famille pour être rétrogradée dans l’assurance de base avec effet rétroactif. En clair, il aurait fallu rembourser les rabais de primes depuis le 1er janvier - soit plusieurs centaines de francs, puisqu'on était fin novembre!
Du côté des praticiens, la colère gronde également. De nombreux généralistes vaudois ont été éjectés des listes de différents assureurs, au motif qu’ils étaient aussi spécialistes. Exemple avec un interniste également allergologue, qui réclamait à Assura sa réintégration en avril dernier. Refus catégorique. Surprise, lorsque nous avons vérifié en septembre sur le site de la caisse, nous avons constaté qu’il figurait à nouveau sur la liste, sans explication. D’autres n’ont pas eu cette chance. Mais tous estiment subir des conséquences bien réelles sur leur clientèle.
La riposte s’organise. Au Conseil National, une initiative veut interdire aux caisses des pratiques jugées discriminatoires envers les généralistes exerçant une autre spécialité.
Dans la jungle des offres: la réponse des assureurs
Le problème est qu’il y a autant de modèles de médecins de famille que de caisses maladie. Pour tenter d’y voir un peu plus clair, nous avons envoyé un questionnaire aux 10 plus grandes assurances du pays. Petite synthèse dans cette jungle des offres.
S’agissant des rabais de primes accordés lorsque l’on choisit le modèle du médecin de famille, ils vont de 8 à 24% de rabais selon les assureurs consultés, chiffres de 2013. Mais attention, on sait que le Conseiller fédéral Alain Berset exige des caisses maladie qu’elles limitent les rabais artificiels conçus surtout pour attirer les bons risques.
Différences de rabais, différences de réactions aussi des caisses maladie, si j’oublie de demander un bon de délégation à mon généraliste pour aller voir un spécialiste…
Là, en théorie (nos reportages ont montré que les choses ne se passaient pas toujours comme cela), la majorité des assureurs dit tolérer et avertir l’assuré pour 2 à 3 manquements avant d’imposer des sanctions… Certains sont cependant plus autoritaires et affirment ne pas rembourser toute ou partie des prestations dès le premier faux pas. D’autres pratiquent aussi le retour forcé de l’assuré fautif au modèle standard avec le risque de devoir payer des arriérés de primes jusqu’au début de l’année. Il vaut donc mieux éplucher les conditions générales des assurances avant de signer, puisque, suivant les caisses, on n’est pas logé à la même enseigne.
On a vu aussi le problème de la présence ou non de notre médecin de famille sur les listes de l’assurance…
Là aussi les situations sont très diverses. Certaines assurances disent modifier leur liste en permanence, d’autres chaque semaine, chaque mois ou chaque année. La presque totalité affirme avertir ses clients lorsque leur médecin n’est plus sur la liste, mais il vaut mieux aller jeter un coup d’œil sur leur site avant d’engager des frais médicaux conséquents, c’est plus sûr.
Quant aux critères d’exclusion ou d’inclusion des médecins de famille de la liste, là également, ils sont extrêmement variables…
Certains assureurs disent ne pas tolérer certains médecins plus chers que la moyenne. D’autres affirment refuser les généralistes qui ont aussi une spécialité, d’autres disent accepter tous les médecins de famille. Il y a donc un grand flou et il convient de bien se renseigner avant de signer pour un modèle.