Pour accompagner un repas ordinaire, vous n’avez sûrement ni l’envie et/ou ni les moyens de vous offrir un vin extraordinaire. A côté des bouteilles en actions, vous avez toute une palette de vins bon marché, pas des vins de table sans indications géographique, non, mais des appellations contrôlées, des vins de pays. Cependant, une bouteille de vin pour moins de 6 francs est-elle forcément de la piquette?
Pour avoir la réponse, ABE s’est penché sur le marché des vins d’entrée de gamme. Avec l’aide des spécialistes de l'école du Vin de Changins, sous la direction de Julien Ducruet, ABE a sélectionné 12 vins rouges dans une fourchette de prix comprise entre 3.20 CHF et 5.95 CHF et les a fait déguster par trois experts en la matière.
La méthodologie
La robe, le nez et bien sûr le goût, voilà pour chaque vin les trois critères qu’ont dû juger nos trois experts: Geoffrey Bentrari, chef sommelier à l’Hôtel Président Wilson à Genève, Noémie Graff, œnologue et vigneronne à Begnin, et Jean-Philippe Bauermeister, importateur et négociant à Neuchâtel.
Une dégustation à l’aveugle où nos experts savaient seulement qu’il s’agissait de vins rouges d’entrée de gamme à moins de six francs la bouteille. Un exercice qu’ils ont abordé sans à priori.
Julien Ducruet, professeur en œnologie à Changins, et Thomas Bravo-Maza, journaliste spécialisé dans les vins, apportent des éclairages à l’occasion du test.
Retrouvez la synthèse des résultats: test des vins: des moins bons aux bons
Les 5 vins les moins appréciés
Le Gamay Romand Louis Pierre
, acheté 4.80 CHF chez Denner, se classe bon dernier avec une note de 4,47 sur 10.
Geoffrey Bentrari: "J’ai trouvé que c’était un vin qui manquait de maturité, c’était un vin très léger, assez maigre, un peu, c’est un vin qui ne donne pas vraiment de plaisir. Je le caractériserais presque comme un peu anorexique, très sec."
Le Chianti Donatello
, acheté 4.50 CHF chez Coop, obtient juste un dixième de plus avec 4,57 sur 10.
Jean-Philippe Bauermeister: "C’est un vin qui a déjà un nez qui était moyen, pas très net, pas très propre, pas très défini. Et puis par contre la dégustation pour moi est un peu rédhibitoire dans la mesure où c’est un vin qui manque clairement de charme et donc cette acidité élevée et aussi, on n’a pas de chair si vous voulez là-dedans."
Noémie Graff: "Au niveau de la bouche, il ne tenait pas du tout ses promesses. Au final, c’est un vin avec peu de complexité aromatique."
Geoffrey Bentrari: "C’était un vin sans trop de prétention, assez discret, assez fermé, type un petit peu oxydatif, un petit défaut."
Julien Ducruet: "Les défauts d’oxydation sont assez fréquents, puisqu’il s’agit d’avoir l’oxygène de l’air en contact avec le vin qui va donc modifier certains arômes et les transformer. Donc le vin, il a besoin de respirer, il a besoin d’oxygène, mais en toute petite quantité. Si on lui en apporte trop, on va l’oxyder, c’est-à-dire qu’on va le faire vieillir d’une manière un petit peu accélérée et non désirée." Donc tout l’art sera de contrôler le contact du vin avec l’oxygène tout au long de sa fabrication et de son stockage: "Si vous tirez fortement la corde économique, vous allez devoir négliger un peu les choses. Et effectivement, si vous négligez un peu les choses, vous allez avoir des vins qui vont s’oxyder plus vite. Et puis, il y a aussi peut-être les rendements à la vigne qu’on peut augmenter un petit peu, qui vont faire des vins moins concentrés, donc moins aptes à se protéger naturellement contre l’oxydation."
En 10e place,
Une
Syrah, vin de Pays des collines rhodaniennes 2008
, trouvée à 5.40 CHF chez Aligro, obtient encore un dixième de plus, 4,67 sur 10.
Jean-Philippe Bauermeister: "Ce n’est vraiment pas une grande découverte au point de vue gustatif. Il ne sort pas de la cuisse de Jupiter ce vin-là."
Geoffrey Bentrari: "Les arômes sont cuits, complètement fanés, vieille cave, vieux bois, un vin qui a passé son temps."
Un vin qui a passé son temps, notre expert met le doigt sur un point important. Comme le confirme un spécialiste que nous avons consulté, le journaliste Thomas Bravo-Maza: "Alors ça, c’est un cas très intéressant, parce qu’on n’aurait jamais dû trouver en rayon un vin du millésime 2008 issu d’un vin de pays en 2013, c’est-à-dire cinq ans après. Là, il y a clairement, non pas un problème de production du vin, mais un problème de distribution. Les responsables des achats de chez Aligro auraient dû goûter le vin et être beaucoup plus regardants sur la qualité, parce qu’effectivement ce vin est totalement mort."
Donc premier conseil des professionnels: attention au millésime quand vous achetez des vins de pays et autres petits vins! Thomas Bruno-Maza : "Ces vins-là se boivent dans les deux, trois ans. On les apprécie, comme on dit, sur le fruit et après le vin redescend et vieillit vite."
Le quatrième vin placé dans le peloton de queue est un
Malbec argentin Luz de Los Andes
, acheté 4.95 CHF chez Denner. La note: 4,7 sur 10.
Jean-Philippe Bauermeister: "Je pense que c’est un vin qui a de la réduction, donc ça donne ce goût de poussière, de serpillière, enfin c’est des choses désagréables. Alors il n’est pas entièrement fait comme ça, mais si on n’y regarde de plus près, on a ce sentiment de poussière, de serpillière, ce n’est vraiment pas très réussi quoi."
Geoffrey Bentrari: "Je me suis retrouvé face à un vin qui avait un défaut majeur: ça faisait, ça sentait le brett, pas du tout un vin de plaisir."
Julien Ducruet: "Alors brett, c’est en fait brettanomyces, donc c’est le nom latin d’une levure. Elle donne notamment des goûts d’écurie, de cheval, de cuir, de crottin parfois. Et donc, si c’est en quantités infimes, à peine perceptibles et que ça rentre dans la complexité du vin, ça peut être acceptable. Mais si c’est en quantités trop importantes et que ça domine et donc que ça cache tout l’aspect du terroir ou du cépage, là c’est un défaut caractéristique."
Enfin, dans ce peloton de queue, on a le deuxième vin suisse de notre sélection: une
Dôle des Caves Orsat
achetée 5.79 CHF chez Aldi. La note: 4,8 sur 10.
Goeffrey Bentrari: "Il y a à la fois ces arômes de raisins qui sont carrément cuits, où on va presque sentir le plastique et à la fois en bouche, on n’a pas de tannins, on a de la fluidité et on a presque un manque de maturité."
Jean-Philippe Bauermeister: "C’est un vin passé qui a une bouche sèche et puis qui n’a aucun charme, aucun grave, vraiment c’est raté."
Les 4 vins moyens
Au 7 rang, on trouve un
Bordeaux
acheté 3.95 CHF chez Lidl. Il obtient la note de 5,73 sur 10.
Jean-Philippe Bauermeister: "Voilà un vin qui a une jolie robe au départ. Le nez, lui, me semble déjà un tout petit peu déficient parce qu’il y a un manque de netteté. Et puis alors en bouche, j’ai trouvé vraiment qu’il y a des défauts, c’était déséquilibré, c’est un peu séchard. Au fond il promet beaucoup et il tient un peu."
Geoffrey Bentrari: "Disgracieux parce qu’il a un nez qui est peu ouvert, tellement assez peu expressif, des tannins en bouche relativement arrogants et secs. Ce n’est pas abouti."
Thomas Bruno-Maza: "Sur les vins premiers prix, moi j’ai envie de dire Bordeaux, Bourgogne, on met vraiment de côté, parce que c’est des appellations qui ont un grand prestige et donc les prix sont plus chers. Il vaut mieux plutôt se tourner vers des appellations moins prestigieuses, mais où on peut trouver de véritables pépites de vins, dans le sud-ouest par exemple, dans la Loire, on peut trouver dans le Jura français des vins aussi de qualité exceptionnelle qui sont peu chers. Voilà, il y a ce petit travail de curiosité à faire."
Au 6 rang, on a le vin le moins cher de notre sélection: un
Côtes-du-Rhône Grand-Palais
acheté 3.20 CHF chez Coop, et noté 6,1 sur 10.
Noémie Graff: "C’est ce type de vin qu’on range souvent dans la catégorie vin de plaisir, c’est-à-dire vraiment sur le fruit, il y avait cette expressivité sur les fruits rouges, les fraises, une petite note épicée aussi. Mais ce n’était pas un vin qui présentait une grande complexité."
Geoffrey Bentrari: "On sent qu’on est dans des types de vins rouges, de vins rouges de soif. C’est franc, c’est loyal, c’est marchand, mais après ce n’est pas la Belle au bois dormant. On n’a pas trouvé le vin du siècle."
Ce vin est un bon exemple d’une partie des vins d’entrée de gamme qu’on trouve sur les rayons des supermarchés dans le sens qu’il a été sélectionné à la production et importé par Coop. Ce Côtes-du-Rhône Grand Palais ne vient pas d’un domaine ainsi dénommé. C’est une marque créée par Coop qui, avec ce nom, veut évoquer châteaux et autres palais célèbres de cette région. Et sous cette marque, Coop vend en fait un assemblage de vins achetés en vrac dans les Côtes-du-Rhône.
A la cinquième place du classement, on découvre un vin étranger: un
Cabernet Sauvignon californien Burlwood
acheté 3.95 CHF chez Aldi. Note: 6,23 sur 10.
Geoffrey Bentrari: "C’est un vin qui est très facile par son aspect douceâtre en bouche, donc qui va énormément plaire aux consommateurs, parce qu’il fait rond, et quand c’est rond, ça rassure."
Au quatrième rang, le
Don Julio Navarra Crianza
payé 5.25 CHF chez Denner et noté 6,7 sur 10.
Jean-Philippe Bauermeister: "Bon dieu, ça irait très bien dans une cuisine simple, pas une cuisine élaborée, c’est un vin qu’on peut consommer, on ne va pas s’en souvenir pendant 20 ans, ça c’est sûr."
Les 3 vins jugés bons
Au troisième rang de la dégustation, on trouve un
Coteaux du Languedoc St Georges d’Orques
vendu 3.50 CHF chez Aligro. Il obtient la note de 6,77 sur 10.
Ce St-Georges d’Orques vient du Château de Fourques, un vignoble à côté de Montpellier. Sur ce domaine familial de 50 hectares, Lise Fons-Vincent a choisi de vendre sous forme de vin en vrac une partie de sa production. Parmi ses clients, un négociant suisse qui suit de près la production, décide de l’assemblage qu’il va mettre en bouteille et commercialiser en Suisse.
Jean-Philippe Bauermeister: "Un joli nez, ça va bien, c’est propre, c’est net, en ordre. La couleur est engageante, et puis en plus la bouche est belle, si ce n’est que j’ai un tout petit peu tempéré la note que je voulais lui mettre en raison des tannins un peu séchards qui le péjore un peu par rapport à ce qu’il aurait pu être. Bon, mais c’est quand même un vin qui était au-dessus de la moyenne de ceux qu’on a dégustés."
Geoffrey Bentrari: "C’était très cassis, fraise, framboise. Et à la fois en bouche, on avait un aspect frais, léger, désaltérant. Ce n’est pas un vin très compliqué, c’est un vin assez simple, mais qui donne du plaisir. Finalement, c’est un peu le vin de saucissonnaille, quand on a envie de manger un saucisson frais, mais ce n’est pas un grand vin de garde."
Le second vin le mieux classé est un
Montepulciano La Piuma
, acheté 5.50 CHF chez Manor, qui obtient une note de 6,9 sur 10.
Geoffrey Bentrari: "Il y avait ces petits arômes de fruits rouges, un petit peu eaux-de-vie, des tannins fins, élégants, avec une légère astringence en fin de bouche finalement qui lui donnait un petit peu de peps. C’est du plaisir direct à boire sans garde."
Noémie Graff: "Ce qui frappait d’abord, c’était ses arômes de pruneau, de fraise qui montrait une belle matière première bien mûre. Il y avait vraiment cette impression de maturité à ce niveau-là, malgré ses notes un peu confiturées, un vin de caractère, ses tannins étaient bien fondus et agréables à boire."
Enfin, c’est un vin portugais,
Foral Douro
, vendu par Coop, qui obtient la meilleure note: 7,6 sur 10. A noter qu’à 5.95 CHF, c’est le vin le plus cher de notre sélection.
Jean-Philippe Bauermeister: "Alors lui, il a un nez très net, très fruit, un peu cassis. C’est un nez qui vous engage à aller plus loin, le déguster Et puis la bouche est en harmonie avec ce qu’on avait senti au nez, c’est-à-dire un vin agréable et qui laisse une impression de fraîcheur en bouche. Un vin donc un peu désaltérant et ça c’est quand même ce qu’on recherche dans ce type de vins. Donc ça vraiment c’était une bonne découverte."
Conclusion
Au final, les résultats de cette dégustation montrent qu’à moins de six francs, on trouve bien sûr du pas très bon, mais aussi du correct et parfois même de l’assez bon. Reste à savoir comment le repérer!
Julien Ducruet: "La première stratégie, c’est d’essayer. Il faut acheter une bouteille, la goûter. Si elle vous plaît, tant mieux. Il faut y retourner, ré- acheter. Rester prudent également, parce que ce n’est pas parce qu’un jour ce vin avec ce millésime est très bon que le millésime suivant, il sera exactement comme vos attentes. Vous, vous changez, votre humeur change, la façon de déguster change, le vin lui aussi il change, donc on n’est pas toujours sûr."
Notre rubrique: Comment UPC Cablecom me force la main
Depuis deux mois, le principal cablo-opérateur de Suisse mène une offensive commerciale en reprenant les clients Naxoo dans les communes genevoises, comme Yvonne à Chêne-Bougeries (GE), puis ce mois-ci, en Ville de Genève. Les abonnés se retrouvent face au fait accompli: un dépliant, accompagné d’une circulaire, les félicite d’avoir opté pour Cablecom et, surtout, d’avoir souscrit un contrat ; l’opérateur leur envoie par la poste un boîtier dont l’acceptation fait entrer en vigueur le contrat.
Cerise sur le gâteau: tout cela se joue sur fond de bataille politique. En mai 2013, la Ville de Genève, actionnaire à 51% de Naxoo, a vendu son téléréseau à UPC Cablecom, qui détenait jusqu’à présent 49% des parts de la société. Mais la vente a été suspendue suite au référendum déposé par des syndicats et des partis de gauche. Ces derniers ne souhaitent pas que la Ville de Genève brade le réseau à UPC Cablecom, société à responsabilité limitée et filiale du groupe américain Liberty global. Le référendum se tiendra le 9 février prochain.
Dans les faits, le transfert des abonnés Naxoo vers UPC Cablecom est déjà largement entamé, ce qui vide peu à peu le téléréseau genevois de sa substance. Cela signifie aussi que les données personnelles du client Naxoo sont désormais confiées à une société entièrement privée, qui plus est en mains américaines. Pour Jean-Philippe Walter, préposé fédéral suppléant à la protection des données, le fait qu’on ne laisse pas le choix aux consommateurs, aux abonnés, pose problème.
ABE a évidemment demandé à l’opérateur son point de vue. On se contentera d’une réponse écrite: sur la reprise des abonnés de Naxoo, Cablecom précise que cette migration se déroulant sur le canton de Genève n’a aucun lien avec la votation du 9 février, mais Cablecom présente tout de même ses excuses: "Si cette lettre a pu engendrer quelques incompréhension auprès de certains clients, nous le regrettons." Et de nous expliquer qu’il s’agit "d’offrir la télévision, l’Internet et le téléphone, via un seul fournisseur. Ainsi, les clients genevois peuvent bénéficier d’une offre innovante et compétitive et grâce à l’union du meilleur des deux mondes".
Invitée: Sandrine Salerno, maire de Genève
Cette manière de procéder de Cablecom, cette méthode du fait accompli, est-elle acceptable pour la Ville de Genève, actionnaire de Télégenève-Naxoo? Réponse de Sandrine Salerno, Conseillère administrative en charge du Département des finances et du logement et actuellement maire de Genève, qui a accepté l’invitation d’ABE.