Paris (Ier ardt). La galerie d'Orléans des jardins du Palais-Royal. 1912. [© Harlingue / Roger-Viollet / Roger-Viollet via AFP]
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Le consumérisme à travers ses objets

Comment naissent et se développent les objets qui façonnent notre quotidien? Sont-ils vraiment indispensables? Que racontent-ils de nos habitudes de consommation? Ces questions sont au cœur du livre de Jeanne Guien "Le consumérisme à travers ses objets", paru en novembre 2021 aux éditions Divergences.

Docteure en philosophie, auteure d’une thèse sur la notion d’obsolescence et chercheuse spécialisée dans l’histoire des objets et du consumérisme, Jeanne Guien retrace dans son livre l’histoire de cinq objets devenus aujourd'hui incontournables: les vitrines, les gobelets jetables, le déodorant, les smartphones et les mouchoirs en papier.

Jeanne Guien est l'invitée de Muriel Mérat.

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Série radio: Muriel Mérat

Adaptation web: MS

Episode 1

Les vitrines

Jusqu'au XVIIIe siècle, il n’y avait pas de vitrines dans nos villes. Les boutiques, les cafés et les restaurants n’étaient pas vitrés. "La technique du verre plat était une technique très difficile et très coûteuse. Il se trouvait dans les palais et les cathédrales, autrement dit les grands édifices des aristocrates et du clergé", explique Jeanne Guien.

Il faudra attendre une baisse de prix du verre plat et la fin du XVIIIe siècle pour que les premières vitrines et galeries commerçantes apparaissent. Ainsi à cette époque à Paris, le propriétaire de l'espace du Palais Royal commence à louer ses arcades dans le but d'en faire des boutiques vitrées et éclairées. Les marchandises vendues sont alors luxueuses et chères. La plupart des passantes et des passants regardent ces vitrines à la manière d'un spectacle gratuit. Le lèche-vitrine est né.

Paris (Ier ardt). La galerie d'Orléans des jardins du Palais-Royal. 1912. [© Harlingue / Roger-Viollet / Roger-Viollet via AFP]© Harlingue / Roger-Viollet / Roger-Viollet via AFP
Série "le consumérisme à travers ses objets" (1/5): les vitrines / On en parle / 15 min. / le 26 décembre 2022

Episode 2

Les gobelets jetables

L'histoire des gobelets jetables est liée à celle des fontaines publiques, très présentes en  Angleterre puis aux Etats-Unis à partir des années 1850. Symboles des luttes sociales, elles étaient équipées d'une chaîne au bout de laquelle une tasse commune était à disposition de toutes et tous. Au début du XXe siècle, la médecine progresse et les tasses communes sont interdites pour des raisons de santé publique. Aux Etats-Unis, les campagnes visant à promouvoir l'hygiène publique accompagnant l'interdiction des tasses communes sont financées par Dixie Cup, la première entreprise fabricant des gobelets jetables en carton.

"Il existait pourtant déjà de nombreuses manières de boire aux fontaines sans utiliser les tasses communes, comme des récipients individuels pliables et réutilisables", précise Jeanne Guien. "Le gobelet jetable s'est pourtant imposé, à grands coups de publicité et de financement de campagnes sanitaires publiques."

Une publicité de l'entreprise américaine Dixie Cups, première fabricante de gobelets en carton jetables, datant de 1919. [Lafayette College / Wikimedia Commons]Lafayette College / Wikimedia Commons
Série "le consumérisme à travers ses objets" (2/5): les gobelets jetables / On en parle / 15 min. / le 27 décembre 2022

Episode 3

Le déodorant

Selon Jeanne Guien, "il existe peu de sources concernant le moment de l'histoire où l'odeur de transpiration est devenue une préoccupation esthétique. Par contre, la transpiration a toujours été une préoccupation scientifique. Les chercheurs se demandaient si quelque chose était perdu et s'il était bon de transpirer." Jusqu'au XIXe siècle, tandis que certaines régions du monde valorisent la transpiration, par exemple à travers des saunas, des hammams, des loges de sudation ou des bains russes, d'autres la craignent. C'est le cas en France, où l'on pense que les mauvaises odeurs contiennent des agents pathogènes.

Les travaux de chercheurs comme Louis Pasteur et la découverte de l'antisepsie à la fin du XIXe siècle montrent les origines des mauvaises odeurs de la sueur: les bactéries en décomposition. Tuer ces bactéries permet donc d'éliminer ces mauvaises odeurs. Le premier déodorant apparaît aux Etats-Unis en 1888. Il s'agit de l'entreprise Mum, qui ne rencontre pas immédiatement de succès. Ses produits sont en effets perçus par le public comme agressifs pour la peau. De plus, ils tachent les vêtements.

Un ancien modèle de la marque de déodorants américaine "Mum". [Wikimedia Commons]Wikimedia Commons
Série "le consumérisme à travers ses objets" (3/5): le déodorant / On en parle / 15 min. / le 28 décembre 2022

Episode 4

Le smartphone

Le 4ème volet de la série de Muriel Mérat est consacré au smartphone. En novembre 2021, au moment de la sortie du livre de Jeanne Guien, le nombre de smartphones produits dépassait le nombre d’habitants et d’habitantes de la planète. Autrement dit, il y avait plus de 7 milliards de smartphones en circulation. "Le premier IPhone sort en 2007. Quinze ans plus tard, le marché est saturé. Dans de nombreux pays, presque 100% de la population possède un smartphone." L'objet gagne de l'importance et se démocratise à une vitesse "jamais vue auparavant", précise Jeanne Guien.

"Ce succès est dû à la puissance de l'économie et à l'exploitation des travailleurs et travailleuses", poursuit l'auteure. "Il est possible de produire beaucoup lorsqu'on produit pas cher. De plus, le smartphone est un objet de communication qui ne fonctionne qu'à condition que beaucoup de personnes le possèdent. Enfin, il est lié à un modèle économique fondé sur l'obsolescence." Jeanne Guien s'intéresse en particulier à trois formes d'obsolescence: l’obsolescence technique, l’obsolescence psychologique et l’obsolescence humaine.

Steve Jobs présente l'IPhone le 9 janvier 2007 lors de la conférence Macworld à San Francisco. [AFP - ©Tony Avelar]AFP - ©Tony Avelar
Série "le consumérisme à travers ses objets" (4/5): le smartphone / On en parle / 15 min. / le 29 décembre 2022

Episode 5

Le mouchoir

Jeanne Guien revient sur la longue et riche histoire du mouchoir. Une histoire qui débute avec l’invention du mouchoir en tissu. À son apparition entre les XVIe et XVIIe siècles dans les milieux de l'aristocratie, l'objet est signe de richesse et possède des usages multiples: il permet par exemple de s'attacher les cheveux, d'être porté comme un accessoire de mode, de sécher ses larmes, se transforme en sac ou encore en objet érotique. Enfin, il permet de se moucher d'une nouvelle manière. "Avant cette invention, les gens se mouchaient avec leurs vêtements ou leurs mains", ajoute l'auteure. "Le mouchoir est alors un outil de distinction de classe sociale."

À la fin du XIXe siècle, les progrès en microbiologie, notamment avec les travaux de Louis Pasteur, engendrent de nouvelles idées auprès des scientifiques. En France et en Allemagne, recommandent de se débarrasser du mouchoir en tissu, potentiel vecteur de germes. Certains docteurs imaginent des distributeurs de mouchoirs jetables en papier à disposition sur la voie publique, accompagnés de poubelles enduites de liquide antiseptique. "Mais qui allait ramasser ces poubelles? Les problématiques des travailleurs et travailleuses du déchet apparaissent", explique Jeanne Guien. L'idée des distributeurs n'aboutit cependant pas...

"Cocotte" en 1925. Modèle de Louis Berthommé-Saint-André (1905-1977), peintre français. [© Albin-Guillot / Roger-Viollet / Roger-Viollet via AFP]© Albin-Guillot / Roger-Viollet / Roger-Viollet via AFP
Série "le consumérisme à travers ses objets" (5/5): le mouchoir / On en parle / 15 min. / le 30 décembre 2022