La guerre va-t-elle devenir une activité commerciale ? Un exemple: l'Irak. Plus de 10'000 militaires privés sont présents dans le pays, aux côtés des soldats de la coalition. Ils entraînent l'armée irakienne, gardent les installations pétrolière et les ambassades, escortent les hommes d'affaires. Qui sont-ils? Qui les contrôle? Comment sont-ils recrutés? Enquête sur la privatisation de la guerre.
Ce jeudi, Temps Présent vous propose un reportage exclusif sur le marché réputé impénétrable des armées privées. En effet, jamais une équipe de télévision n'a réussi à ce point à enquêter au cœur de ces sociétés, qui ont pour habitude de travailler dans l'ombre, et jamais des images de ces bataillons privés prises sur le terrain n'ont été diffusées. Préparez-vous à plonger dans une guerre tactique et économique, sur ce qui représente aujourd'hui le plus grand marché militaire du monde, l'Irak. Une enquête qui aura notamment permis à notre équipe de rencontrer le jeune mercenaire italien Fabrizio Quattrocchi, quelques semaines avant qu'il ne soit enlevé et exécuté par ses ravisseurs.
Mais d'où viennent ces nouveaux mercenaires ? Derrière l'a ppellation sociétés militaires privées ou mercenariat entrepreneurial, l'on trouve au début des années 90 d'anciens membres des forces spéciales, reconvertis dans les missions privées. A l'image d'Executive Outcomes, une société qui regroupe des anciens membres des forces spéciales de l'armée sud-africaine après la chute du régime d'apartheid. Engagés en Sierra Leone et en Angola, en à peine trois mois, ses mercenaires feront ce que la communauté internationale a été incapable de faire en des années : mater les guérillas locales et restaurer la stabilité dans le pays. Payés en diamants, ses soldats traînent une réputation douteuse et seraient notamment soupçonnés de violer régulièrement les droits de l'homme pour arriver à leurs fins.
Sandline, une unité paramilitaire anglaise, interviendra elle aussi en Angola. Mêmes méthodes, mêmes résultats. Et un scandale sans précédent en Grande-Bretagne qui amènera la démission du ministre des affaires étrangères Robin Cook.
Excecutive Outcomes et Sandline seront finalement dissoutes, en raison notamment des enquêtes dont ses membres font l'objet et de la polémique que leurs interventions ont suscitées.
L'eldorado irakien
Sur les cendres encore chaudes de ces deux sociétés, de nouvelles multinationales de la guerre ont vu le jour. Elles se nomment MPRI ou encore Dyncorp. On les trouve sur les champs de bataille du monde entier : Afrique, Colombie, Bosnie, Macédoine. Aujourd'hui, presque toutes sont présentes en Irak, un marché sur lequel la demande connaît une croissance sans précédent. Sur le territoire irakien, les quelque 15'000 mercenaires des 80 compagnies privées représentent la seconde force militaire du pays, après les Etats-Unis, bien plus que la Grande-Bretagne elle-même !
Si les gouvernements admettent avoir recours à leurs services, leurs missions se limitent officiellement à de la défense d'i nfrastructures (puits de pétrole, pipelines) et de bases de la coalition, ainsi qu'à l'entraînement de la nouvelle armée irakienne (à ce titre, la société Vinell détient un contrat de 48 millions de dollars avec le Pentagone), des missions que les troupes de la coalition, régulièrement engagées dans des combats, ne pourraient pas mener à bien durant le conflit. Dans les faits cependant, on constate que ces compagnies privées sont, elles aussi, partie prenante dans des affrontements militaires et n'hésitent pas, souvent par nécessité, à riposter par les armes.
La présence de ces troupes privées soulève néanmoins quelques questions. La première est l'origine et le recrutement des mercenaires. Si à la base, les soldats recrutés sont tous des professionnels, la demande est telle aujourd'hui que les aventuriers en quête de l'Eldorado irakien grossissent les rangs des compagnies privées. Un passé quelquefois trouble, l'argent comme seule motivation et parfois la mort au bout du compte. Dramatiquement, ce fut le cas de Fabrizio Quattrocchi, que nos caméras ont rencontré lors d'une entrevue avec une compagnie de la jeune société italienne Presidium. Ancien boulanger, il a pratiqué dans le domaine de la sécurité durant quelques années avant de devenir mercenaire. Enlevé quelques semaines après notre tournage, il perdra la vie en Irak de la main de ses ravisseurs.
De la responsabilité de la communauté internationale
La question du contrôle est également posée. Surtout, si ces compagnies sont impliquées dans des opérations militaires, quelles lois régissent leurs agissements ? Pour le CICR, le pays étant sous l'administration de la coalition, c'est cette dernière qui est responsable des agissements de ces compagnies. Une responsabilité qui se passe de commentaire officiel pour l'instant.
Enfin, l'engagement de ces milices fait resurgir la question de la privatisation des conflits. En clair, ces bataillons, qui réussissent là où les Nations Unies échouent, pourraient assurer des missions de maintien de la paix, au Congo par exemple, pour un coût bien inférieur à l'engagement des forces armées de l'ONU. Partisans et opposants s'affrontent en coulisses à coup d'arguments économiques et idéologiques. Ce débat se joue peut-être en ce moment-même dans le désert irakien…
Générique
Un reportage de Jean-Philippe Ceppi et Michel Heiniger
Image : Philippe Roulin Son : Beat Lambert Montage : Patrick Guignet