On découvre à peine l'ampleur du scandale et le Conseil Fédéral a même dû s'excuser officiellement. Combien sont-ils, ces citoyens innocents qui jusqu'en 1981 se sont retrouvés derrière les barreaux à cause d'un préfet ou d'un tuteur mécontent ? Souvent issus de milieux défavorisés, ils ont été emprisonnés simplement parce qu'ils dérangeaient la Suisse bien-pensante. On appelait ça l'internement administratif. Trois témoins directs, qui ont passé par cette case prison, racontent leur incroyable aventure.
Le reportage de Temps Présent commence avec l’histoire de Gina Rubeli, née en 1952. A 17 ans, elle fait une tentative de suicide et est transférée à la clinique psychiatrique de Wil. Le médecin-chef lui annonce alors qu’elle sera internée à la prison pour femmes de Hindelbank, près de Berne, pour une durée indéterminée. Le maire de sa commune d’origine a décidé de la faire enfermer. Selon lui, Gina est «paresseuse» et mène «une vie dissolue». Nous sommes en 1969. Le crime de Gina: avoir heurté de front les normes sociales de son petit village saint-gallois.
Autre histoire, celle de Philippe Frioud. Lorsque la police bernoise le cueille à sa sortie du travail, il ne comprend pas ce qui lui arrive. Il a tout juste 17 ans. «Nous répondons à des ordres du canton du Valais», lancent les policiers. Le jeune homme est alors placé à la Montagne de Diesse pour une durée de deux ans, dans des conditions très dures. Cinquante ans plus tard, il part sur les traces de son passé pour essayer de comprendre. Dans le livre des entrées de l'institution, il est écrit: «Motif de l’internement: administratif, abandon moral…»
Quant à Ursula Biondi, elle se souviendra toute sa vie du 21 avril 1967. Ce jour là, elle subit une fouille corporelle complète à la prison de Hindelbank, avant de recevoir ses habits de détenue administrative. Elle est alors enceinte de 5 mois... Son seul crime est d'avoir fugué avec un homme divorcé dont elle est follement amoureuse. Un amour impossible pour l’époque.
La Suisse a longtemps utilisé l'internement administratif comme un instrument de contrôle social. Tant qu'il était en vigueur, elle n’a pas pu rejoindre les pays membres à part entière de la Convention européenne des droits de l’homme. Récemment, la Conseillère fédérale Eveline Widmer-Schlumpf a exprimé ses excuses et ses regrets lors d’une cérémonie officielle à Hindelbank. Mais les victimes d'hier demandent aujourd'hui que la Suisse se donne les moyens pour réaliser des études historiques conséquentes. Seule manière de comprendre les mécanismes administratifs et juridiques à l’œuvre dans la privation de liberté à but d’assistance, dont des personnes de tous âges ont été victimes.
Rediffusion le vendredi 11 mars 2011 à 0h10 et le lundi 14 mars 2011 à 15h50 sur TSR2.
Générique
Un reportage de Raphaël Engel et Antoine Plantevin
Image : Pascal Gauss Son : Nicolas Ducret Montage : Corinne Dubuis