Le 5 juillet 2014, Célia Sapart, glaciologue et climatologue, embarque sur le brise-glace Oden pour une traversée de l'Arctique. Elle participe à l'expédition SWERUS-C3, mise sur pieds par des scientifiques suédois et russes. Objectif: mesurer les émissions de gaz à effet de serre en Arctique, notamment le méthane, un gaz 20 fois plus puissant que le CO2. Une équipe de Temps Présent l'a suivie.
CELIA SAPART, CLIMATOLOGUE ET GLACIOLOGUE
Jorien Vonk
Célia Sapart, originaire du Val-de-Travers, est une jeune chercheur spécialiste de la glace et des gaz à effet de serre.
Elle poursuit ses études à Bordeaux en océanographie, puis elle s'en va pour l’Alaska, la Belgique et le Royaume-Uni pour se spécialiser en climatologie pour finalement effectuer un doctorat sur l’évolution des gaz à effet de serre aux Pays-Bas.
Très jeune, elle publie les résultats de ses recherches dans le magazine Nature. Elle travaille actuellement dans la recherche entre l'Université libre de Bruxelles et l'Université d'Utrecht.
En juillet 2014, Célia participe à une aventure formidable: la traversée de l'Arctique en brise-glace pour étudier le méthane.
L'expédition SWERUS, pilotée par une équipe russe et suédoise, est l'aboutissement d'un rêve, mais également une opportunité extraordinaire pour Célia de poursuivre ses recherches sur le méthane, un puissant gaz à effet de serre.
Le brise-glace ODEN a été sa maison pendant 45 jours, une expérience qu'elle n'oubliera jamais!
L'expédition SWERUS-C3, mise sur pieds par des équipes scientifiques russes et suédoises, s'est déroulée de juillet à octobre 2014.
43 scientifiques, dont Célia Sapart, et 24 membres d'équipage ont participé à la première partie de cette expédition entre Tromso en Norvège et Barrow en Alaska.
Le but de l'expédition: mesurer et étudier les gaz à effet de serre, notamment le méthane, dans les mers et la glace de l'Arctique.
Le trajet de l'Oden
L'Oden, un colosse de 107 mètres, est un des brise-glace les plus performant au monde. Il a une autonomie de 100 jours en mer. Il peut briser la glace avec une épaisseur allant jusqu'à 1,9 mètres. Il propose, à bord, un équipement scientifique très complet et très flexible. Le coût d'une telle mission: environ 10 millions d'Euros.
Inodore et incolore, le méthane est le constituant principal du gaz naturel. Sa concentration dans notre atmosphère est en augmentation. En Suisse il représente 7% des émissions de gaz à effet de serre. Chez nous, 80% de ce gaz trouve son origine dans l'agriculture, à travers la digestion des bovins. Le reste est produit entre autre par l'industrie, les transports et la décomposition de matières organiques.
En Arctique, le problème, c'est le méthane naturel enfoui depuis des milliers d'années dans le permafrost sous-marin et une partie de celui-ci piégé dans la banquise. L'augmentation des émissions humaines provoque un réchauffement qui est en train de faire fondre ce permafrost et cette glace.
Cette fonte provoque la fuite de méthane vers l'atmosphère. Ces émissions vont, à leur tour, provoquer une plus forte fonte et encore plus d'émissions de méthane, créant ainsi un double renforcement du réchauffement. Potentiellement un danger immense pour notre planète.
TROMSO: POINT DE DEPART DE L'EXPEDITION
Andrea Sautereau
Tromso, est une ville tout au nord de la Norvège, située au dessus du cercle polaire. Appelée aussi la porte de l'Arctique, c'est un lieu de départ mythique pour les explorateurs. Ici, le soleil ne se couche pas entre mi-mai et mi-juillet.
Tromso c'est le point de départ de l'expédition SWERUS-C3. Célia Sapart est là quelques jours avant le départ. Elle fait ses dernières emplettes et ne doit rien oublier car elle sera sur le brise-glace pendant plus de 45 jours.
L'ODEN ARRIVE DANS LA GLACE
Jorien Vonk
Célia Sapart : "Depuis ce matin, grande surprise, on s'est réveillés dans la mer de glace. A chaque moment qu'on croise un iceberg, c'est comme un tremblement de terre dans le bâteau. Il y a tout qui vibre de tous les côtés, c'est assez perturbant. Je suis allée plusieurs fois à l'avant du bâteau, pour voir cette mer de glace qui s'ouvre devant nous. C'est un peu le sentiment d'être le roi du monde, sur notre grand vaisseau et on arrive à ouvrir cette mer de glace devant nous, ces grands icebergs qui s'en vont de tous les côtés, c'est vraiment magnifique."
LE TRAVAIL A BORD
Jorien Vonk
Chaque scientifique a sa mission, mais chacun doit aussi aider les autres, c'est un vrai travail d'équipe, une vraie aventure humaine.Il ne fait jamais nuit, alors les scientifiques font les trois huit. Il faut collectionner des échantillons d'air, d'eau et de sédiments.
Célia doit également carotter la glace de banquise, mais les conditions météo ne semblent pas aller dans son sens. Les premiers jours, la fatigue est tangible, les scientifiques sont à bout. Mais petit à petit ils trouvent leur rythme de croisière et accomplissent leurs tâches quotidiennes.
La grande trouvaille en mer de Laptev
LES OURS POLAIRES DE L'ARCTIQUE
B.Thornton
Les scientifiques observent les ours polaires
Les ours polaires (ursus maritimus) vivent dans l'Arctique à travers cinq nations: les Etats-Unis (Alaska), le Canada, la Russie, le Groenland (Royaume du Danemark), et la Norvège (Svalbard).
Les biologistes estiment que la population mondiale d'ours polaires s'élève à environ 20 à 25'000. Les chiffres sont vagues, car les ours blancs vivent dans des régions éloignées et difficiles à étudier.
Cela est particulièrement vrai dans la partie russe de l'Arctique. Il existe 19 sous-populations d'ours polaires, certaines stables, d'autres en augmentation ou en diminution.
Une étude, effectuée par l'Institut américain de géophysique, estime que la sous-population dans le nord-ouest de l'Arctique canadien et en Alaska, sur les bords de la mer de Beaufort, a diminué de 40% dans les années 2000.
La survie des ours polaires en Arctique est étroitement liée au réchauffement climatique.
En effet, les ours dépendent de la glace pour survivre, elle leur permet notamment de chasser les phoques. L'ours polaire est considéré comme globalement menacé, et a été placé sous la loi américaine des espèces en danger en 2008.
Néanmoins, environ 600 à 800 ours polaires sont chassés chaque année.
Les restrictions autorisent en effet que certains peuples indigènes chassent encore l'ours polaire dans certaines zones délimitées. A Barrow, où nous avons filmé, la chasse à l'ours polaire est autorisée pour les natifs.
Cette carte montre les 19 sous-populations d'ours polaires selon des données du groupe de spécialistes de l'ours polaire de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Les sous-populations représentées en jaune sont stable, celles en vert sont en augmentation, celles en rouge en déclin, et pour celles en gris, il manque des données.
L'Oden arrive le 18 août 2014 à Barrow. Ici il n'y a pas de port, le brise-glace est ancré au large.
Barrow, c'est la ville la plus au nord des Etats-Unis. Avec ses 4000 et quelques habitants, cette ville est construite sur le permafrost et est donc très marquée par le réchauffement climatique.
Les habitants eskimos, les Inupiat, chassent encore ce qu'ils mangent.
Les déchets s'accumulent ici car Barrow n'est accessible que par bateau ou avion.
L'arrivée à Barrow, un endroit particulier
Visite du supermarché local
REPORTAGE ET MAKING OF
Andrea Sautereau
LE REPORTAGE
Andrea Sautereau
LE MAKING OF
Nous avons démarré notre tournage avec Célia le 4 juillet 2014 à Tromso, et fini en septembre 2015 en Suisse. Un tournage qui nous a amené de Tromso en Norvège à Barrow en Alaska en passant par les Pays-bas, le Creux-du-Van et Neuchâtel.
Tromso, c'est la porte de l'Arctique. En juillet, il ne fait jamais nuit ! Le soleil de minuit est une expérience incroyable.
Côté tournage, dû à des problèmes techniques, le brise-glace n'a pas pu accoster et a dû rester ancré au large. Pour nous, tout est devenu plus compliqué. Il fallait prendre une navette pour se rendre sur le bateau, détail qui a réduit considérablement nos heures de tournage sur le navire.
Hanneke, une copine de Célia à Tromso, a fait le guide pour nous. Nous avons suivi le brise-glace lors de son départ à travers les Fjords. On a découvert des plages paradisiaques comme au Seychelles, mais l'eau est glacée même en juillet!
Deux mois plus tard, avec une équipe réduite, on se rend à Barrow en Alaska. C'est vraiment le bout du monde!
Laurent (notre caméraman) et moi prenons trois avions pour y arriver. Le dernier, au départ de Anchorage, n'était pas sûr de pouvoir attérir à Barrow pour cause de brouillard. A la fin, il atterit, la stewardness n'en revient pas, elle dit : "Youpi, on a atterrit à Barrow!" Tout le monde applaudit.
Barrow, c'est un monde à part, une ville comme on n'en connaît pas.
Nos bons natels Suisses ne fonctionnent pas ici, c'est le téléphone satellite ou rien! 6 jours sans sms. Ma vie est en pause. Barrow n'est accessible que par bateau ou avion.
Tout est cher, les magasins sont vides, et surtout, il est très compliqué d'évacuer les déchets. Ils s'accumulent partout: un canapé, des vieilles machines Pepsi, un lave linge. Des objets oubliés.
Ici, les Inupiats chassent pour manger: la baleine, le caribou et même l'ours polaire. Barrow fait partie de deux villes en Alaska où les indigènes ont le droit de chasser l'ours. Les chefs de la chasse à la baleine s'appelent les "whaling captain". Nous en avons rencontré un, Robert. Il nous a parlé de réchauffement climatique comme une réalité très présente pour eux. Cela change leur manière de vivre et chasser.
Il nous montre son "congélateur", un trou dans le permafrost où ils rangent la baleine coupée. Ces "réfrigérateurs" sont en train de fondre à cause du réchauffement.
Robert, le chasseur de baleine
Et là je ne peux pas résister, je dois mettre mes pieds dans l'Océan Arctique. Ça sera peut-être la seule fois… C'est très très froid, deux degrés, je crois. Après 2 minutes, je ne sens plus mes pieds!
Côté restauration, le choix est limité, la salade n'arrive pas tous les jours, et on mange beaucoup de congelés.
L'alcool est interdit à Barrow, pas de petite bière pour se requinquer! Il y a eu trop de problèmes d'excès, la loi a agit. Les locaux peuvent avoir une licence d'alcool. C'est le cas de notre guide Mike. Il nous invite à boire un verre. C'est sympa!
De retour en Suisse, le dépaysement est moindre, mais quand même, le Creux du Van est un lieu mythique.
On sort le drone. C'est décidé, ça sera les images de fin de notre film.
Quel beau témoignage des changements climatiques passés.