Zeina est Ethiopienne. Elle a rejoint des compatriotes à Mar Elias, un camp palestinien aux portes de Beyrouth, où elle séjourne depuis qu'elle a perdu son emploi il y a huit mois. Elle était venue au Liban sous contrat et vivait au domicile de ses employeurs. Jusqu'à l'arrivée de la crise sanitaire.
"Mes employeurs m'ont dit qu'ils n'avaient plus d'argent et que je devais m'arranger avec mon ambassade. Donc je suis partie, que pouvais-je faire d'autre?", témoigne la jeune fille de 26 ans. "Avant la crise sanitaire, je gagnais 150 dollars par mois, mais il n'y a désormais plus aucune offre de travail ailleurs. On veut toutes rentrer chez nous..."
Résignées et déterminées à rentrer
Rentrer, c'est en effet le rêve de nombreuses migrantes. Longtemps, les devises attiraient la main d'œuvre étrangère, malgré des conditions de travail régulièrement dénoncées par les associations de protection.
Aujourd'hui, l'inflation est galopante, la livre libanaise dégringole, le dollar américain se raréfie, ce qui entraîne une chute drastique du pouvoir d'achat des travailleuses domestiques. "On a peur car on n'a plus d'argent. Il faut payer le loyer, et la nourriture est devenue très chère", déplore Marta, qui a également trouvé refuge dans le camp de Mar Elias.
Or, impossible pour elle d'envisager un retour en Ethiopie, son passeport lui ayant été confisqué par son ancienne employeuse. "J'avais fui sa maison car elle me payait 100 dollars par mois, au lieu de 150. Sans papiers de résidence, comment vais-je pouvoir continuer à vivre ici?"
"J'ai dormi trois jours dans la rue"
Pour réclamer de l'aide, des Ethiopiennes se rassemblent régulièrement devant leur consulat, en banlieue de Beyrouth. "J'ai dit à mes employeurs que je ne voulais pas travailler gratuitement, alors ils m'ont amené ici, devant le consulat", témoigne Massarat.
"J'ai dormi trois jours dans la rue, avant d'être emmenée dans un hôtel, avec des compatriotes. On veut partir mais personne n'est en mesure de me dire quand on pourra quitter le pays", soupire la jeune femme de 23 ans.
Pour Tsigeweyni, qui a réussi à garder son travail d'employée de maison, "le consulat éthiopien a également sa part de responsabilité, mais fait face à beaucoup de problèmes".
"Jeter un domestique à la rue salit l'image du Liban!"
En attendant un éventuel retour au pays, des ONG ont fourni quelques logements qui font office d'hôtels. Un réseau de solidarité entre Ethiopiennes, très actif, s'est également développé depuis le début de la crise, même si ses moyens restent limités.
Tsigeweyni en fait partie et donne un coup de main dès qu'elle le peut. "Pour moi, voir des familles jeter leur domestique à la rue salit l'image du Liban! Une famille qui, quand elle en avait les moyens, a recruté une fille, a le devoir, selon la loi, de la rapatrier chez elle."
Et de dénoncer le laxisme des autorités libanaises: "ce qui se passe est de la responsabilité de l'Etat libanais, des employeurs et des bureaux de recrutement", rappelle-t-elle. Au Liban, l'employeur fait office de tuteur pour son employée, le travail domestique n'étant pas réglementé par le code du travail. Ce faible niveau de protection ouvre la voie à de nombreux abus, tels que le non-versement des salaires, l'exploitation, et des traitements violents subis par certaines travailleuses.
De leur côté, les autorités libanaises ont ouvert une enquête, pour poursuivre les employeurs qui se débarrassent de leur domestique. Mais le retour des Ethiopiennes, qui sont plus de 100'000 au Liban, reste un casse-tête. Beaucoup affirment ne pas oser raconter leur situation à leur famille restée en Ethiopie.
Reportage radio: Laure Stephan
Adaptation web: Yoan Rithner
La crise économique et financière s'accentue au Liban
La pandémie a encore aggravé la crise économique que traverse le Liban depuis l’été 2019. Cette crise a d'ailleurs été un moteur de la contestation l’automne dernier, qui dénonçait la faillite de la classe politique, incapable de trouver des solutions.
Les chiffres traduisent à eux seuls la gravité de la situation: plus de 45% de la population vit aujourd'hui sous le seuil de pauvreté, 30% de la population active est au chômage. A Beyrouth, un quart des commerces a mis la clef sous la porte.
Si le Liban se retrouve dans un tel marasmes économique, c'est que depuis la fin de la guerre civile il y a trente ans, le pays a développé une économie rentière, et s’est fortement endetté. A cela s'ajoute la corruption d’une grande partie de la classe politique.
Depuis 2011, l’économie libanaise subit par ailleurs les contrecoups de la guerre en Syrie voisine. Au point que le gouvernement actuel, formé en janvier, a fait appel au FMI pour obtenir de l’aide. Les négociations sont pour l'heure au point mort.
Le contexte régional complique encore la situation: le bras de fer entre l’Iran et les Etats-Unis, qui se joue aussi au Liban, et la politique de pression maximale de Washington contre Téhéran et ses alliés, notamment au travers de sanctions économiques, s’applique au très influent parti libanais Hezbollah.