Dans le quartier pauvre de Saint-Barthélémy, dans le nord de Marseille, le McDonald's était un repère, un lieu de retrouvailles. Mais, fin 2019, il est placé en liquidation judiciaire, provoquant le licenciement de 77 employées et employés.
Puis, avec l'arrivée de la pandémie de coronavirus et de la crise économique, une partie des anciens salariés reprend du service dans les mêmes murs, mais sous une autre forme. Renommé "L'Après M.", le restaurant commence à distribuer de la nourriture aux plus démunis, chacun pouvant payer ce qu'il peut.
Tous les lundis matin, entre 700 et 1000 personnes y font la queue. Les organisateurs cherchent maintenant à récupérer la propriété du lieu, qui appartient toujours à McDonald's.
"Cette structure permet de donner à manger à des femmes, des hommes, des personnes âgées qui sont dans le besoin", explique Salim Grasbi, ancien salarié du fast food. "Mais surtout ici l'accueil est inconditionnel."
À l'intérieur de l'établissement, même si le lieu est squatté, les banquettes ont été conservées, tout comme les affichages de menus BigMac, ou les bornes pour payer. Seule une banderole détonne, sur laquelle est inscrit: " McDo en lutte".
Il est 8h30 du matin. À l'extérieur, une habitante du quartier qui vient de récupérer un colis alimentaire fait la queue depuis 6 h. "J'ai une très petite retraite, je n'arrive pas à manger ce que je voudrais. Je suis veuve et ces mois sont vraiment difficiles. Donc cette aide est super, on les encourage à continuer."
Voile sur les cheveux, masque sur le nez, Farida Mameri est bénévole à l'Après M. Elle est arrivée au McDonald's en 1992, suite à quoi ses sœurs, ses filles, et ses cousines l'ont rejointe. Les jeudi et dimanche, Farida s'occupe de la cuisine pour les maraudes. À en croire ses dires, le McDo était déjà un lieu d'entraide avant d'être occupé.
"Ce McDo a permis à des jeunes d'avancer dans la vie. C'était le lieu où on se sentait bien. C'est cette chaleur humaine qu'on a gardée. Il n'y a pas de religion, pas d'ethnie. Tout le monde pareil, on se tient la main et on avance ensemble."
L'ancien temps du fast food a vu naître une toute nouvelle vie sociale. La Maison des Infirmières s'y est installée pour faire de la prévention Covid. Des enseignantes et enseignants viennent donner des cours de rattrapage aux enfants du quartier. Sur le toit, Sara installe des ruches, tandis que Nour fabrique des cabanes pour les sans-abris.
Le jour où la police a tenté de les déloger, l'ancien sous-directeur Kamel Guemari, extrêmement attaché à ce projet, a tenté de s'immoler par le feu. Sans revenir sur cet événement, Kamel continue de se sacrifier pour faire vivre ce lieu hors du commun, et bousculer les préjugés. "Nous sommes dans une zone à développer. C'est un lieu de vie, c'est la place du village."
Aujourd'hui, le collectif veut se réinventer en SCIC, Société Coopérative d'Intérêt Collectif, notamment pour que les jeunes du quartier puissent apprendre un métier, mais autrement que de la manière McDonald's.
"Ils n'ont pas à avoir un diplôme, on leur apprend à faire des burgers. On leur dit 'venez comme vous êtes, on n'a pas besoin de regarder votre origine ou votre couleur. Mais nous allons vous apprendre un savoir, que vous puissiez en bénéficier et le transmettre à votre prochain'."
Des centaines de personnalités sont pour l'instant venues apporter leur soutien, de José Bové à Jean-Luc Mélenchon, en passant par le chanteur révolté HK qui a donné un concert et des cours de rap pour les enfants du quartier.
Mi-janvier, c'est le nouveau maire de Marseille, Benoît Payan, qui est venu les soutenir. Le collectif attend maintenant que la justice tranche.
Romane Frachon / Charles Bury / Mouna Hussain