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Où en est l'enquête sur l'assassinat du président haïtien?

Un portrait du président haïtien assassiné le 7 juillet dernier, Jovenel Moise. [Keystone - Jean Marc Herve Abelard]
Haïti: le point sur l’enquête de l'assassinat du président / Tout un monde / 6 min. / le 14 juillet 2021
Moins d'une semaine après l'assassinat du président haïtien Jovenel Moïse, la confusion règne toujours sur les circonstances et raisons de sa mort, malgré une série d'arrestations de suspects.

L'attention de la police haïtienne se porte sur un ressortissant haïtien ayant des "objectifs politiques". L’homme arrêté dimanche est accusé d'avoir recruté le commando, composé de vingt-six Colombiens et deux Américains d’origine haïtienne, qui a assassiné le président Jovenel Moïse dans la nuit de mardi à mercredi. La plupart des membres de ce commando ont depuis lors aussi été arrêtés.

Christian Emmanuel Sanon est un homme de 63 ans de nationalité haïtienne basé en Floride. Il serait arrivé dans le pays en juin "à bord d'un avion privé" accompagné de ressortissants colombiens. Son but initial était de "procéder à l'arrestation du président de la République", selon le directeur de la police nationale haïtienne, ajoutant que "la mission a ensuite changé".

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Peu d'informations ont filtré sur le profil du suspect, qui se présente comme un "docteur" qui "joue un rôle de leader pour Haïti à travers une vie d'action positive et d'intégrité absolue" dans un compte Twitter portant son nom mais inactif depuis 2011. Dans plusieurs vidéos postées à l’époque sur une chaîne Youtube à son nom, il semble se présenter comme un potentiel dirigeant, critique le pouvoir haïtien et sa corruption.

Plusieurs zones d'ombre

Cette version officielle apparaît toutefois lacunaire et ne répond pas à la question pressante pour ce petit pays accablé par la corruption et la pauvreté: qui a pu financer une telle opération?

Haïti, en grande partie dominée par les gangs, est le théâtre de nombreux soulèvements de la population mécontente. [Keystone - Matias Delacroix]
Haïti, en grande partie dominée par les gangs, est le théâtre de nombreux soulèvements de la population mécontente. [Keystone - Matias Delacroix]

Christian Emmanuel Sanon, aux multiples sociétés inopérantes, s'était placé en situation de faillite, selon le Miami Herald. Par ailleurs, il n'avait pas le droit d'exercer la médecine en Floride. La police haïtienne a aussi évoqué deux autres mystérieux "auteurs intellectuels" du crime, sans donner de précisions.

En outre, d'autres questions se posent: comment est-ce possible que personne d’autre n’ait été blessé ou tué dans l’attaque, hormis l’épouse du chef de l’Etat? Et pourquoi les mercenaires n’ont-ils pas fui après l’assassinat? Etaient-ils vraiment logés chez une proche du gouvernement, comme le mentionne Ayibopost, un média indépendant haïtien?

Selon Widlore Mérancourt, rédacteur en chef de ce média, la population est sceptique quant aux informations reçues et à la célérité de l’enquête. A Haïti, des meurtres spectaculaires restent non élucidés des années après et "l’administration est réputée pour ses petits arrangements avec la vérité."

De son côté, Eric Sauray, avocat, politologue et enseignant à l'Université Paris 13, ne veut pas non plus donner trop de crédit à cette enquête. Invité dans l'émission Tout un monde, il insiste sur le fait que la police haïtienne et la justice n'ont jamais donné satisfaction. "Il faut être prudent, d'où le scepticisme de la population et le doute des analystes."

"Victime de son propre système"

Un avis que partage l’écrivain haïtien Lyonel Trouillot au micro de l'émission matinale. "On a l'impression d'avoir affaire à des scénaristes qui d'heure en heure modifient le scénario. Le sentiment général est que Jovanel Moïse a été assassiné soit par des proches politiques qui veulent assumer sa succession, soit par des groupuscules mafieux avec lesquels son pouvoir était en contact." Pour lui, Jovenel Moïse est la victime d'un système qu'il a lui-même mis en place, s'articulant autour de la criminalisation de la vie politique.

Jovenel Moïse vivait le pouvoir comme quelque chose d'absolu, une sorte de royauté

Laennec Hurbon, chercheur à l’université de Port au Prince et au CNRS

Une chose est sûre, le président Jovenel Moïse "qui vivait le pouvoir comme quelque chose d'absolu, une sorte de royauté" n’était pas apprécié de la population, comme le soutient Laennec Hurbon, chercheur à l’université de Port au Prince et au CNRS. "Il avait éliminé l'ensemble des institutions qui voulaient limiter son pouvoir. Il y avait beaucoup de reproches à lui faire."

La suite?

Peut-on attendre de sa succession qu'elle apaise la situation? C'est peu, voire pas probable du tout, estiment les analystes. Du moins pas dans l'immédiat. Car là aussi, la situation est chaotique, plusieurs personnalités se réclamant de sa succession. Chacun avance ses pions, entre deux premiers ministres et un président du Sénat, adoubé par les quelques parlementaires encore en exercice. Une situation qui désespère tout particulièrement Lyonel Trouillot.

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"La population commence à s'énerver. On va vers de possibles affrontements entre les forces profondément réactionnaires qui veulent le maintien du statut quo et la population qui réclame un changement", explique-t-il, espérant maintenant un consensus pour la mise en place d'un gouvernement de transition dans lequel la population pourrait avoir confiance. "Au moins pour la tenue dans un délai raisonnable d'élections dignes de ce nom."

Mais pour Laennac Hurbon, le changement tant attendu ne passera pas immédiatement par la tenue de nouvelles élections. "Le vrai problème pour ce pays est la sécurité qu'il s'agit de rétablir. La communauté internationale, en particulier les Américains, demandent des élections comme étant la seule solution." Mais ces élections, selon lui, sont rendues impossibles avec la prolifération des gangs qui dominent une bonne partie du pays.

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Et le chaos risque de régner encore en Haïti. Pour Eric Sauray, cet assassinat n'est pas synonyme de nouveau départ, même si Jovanel n'était pas apprécié par une large partie de la population. "En Haïti, rien n'a de sens, rien n'est sacré. Ce n'est pas étonnant que depuis son indépendance, ce pays ne trouve pas la solution, la prospérité, le chemin du développement et de la croissance".

Les vrais auteurs intellectuels de cet assassinat, qui n'ont pas encore été désignés, appartiennent sans doute à des couches puissantes de la société haïtienne. Si on laisse faire, la vérité ne sortira jamais

Eric Sauray, avocat, politologue et enseignant à l'Université Paris 13

Et d'après lui, Haïti, qui a demandé l'envoi de troupes aux Etats-Unis et à l'ONU, n'a pas besoin d'une nouvelle occupation. Elle a besoin d'institutions fortes, insiste-t-il. Pour ce faire, "il peut y avoir une assistance, un soutien de l'ensemble de la communauté internationale pour aider les autorités haïtiennes à restructurer les institutions. Car les vrais auteurs intellectuels de cet assassinat, qui n'ont pas encore été désignés, appartiennent sans doute à des couches puissantes de la société haïtienne. Si on laisse faire, la vérité ne sortira jamais."

>> Ecouter l'interview complète d'Eric Sauray dans l'émission Tout un monde :

La police d'Haïti a tué quatre mercenaires impliqués dans l'assassinat du président Moïse. [Reuters]Reuters
La situation politique et internationale d’Haïti : interview d’Eric Sauray / Tout un monde / 7 min. / le 14 juillet 2021

Sujet radio: Caroline Stevan

Adaptation web: Fabien Grenon

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