En Suisse, on dénombre près de 1800 centenaires: un chiffre qui a décuplé en quarante ans. Vivre son centenaire n’est pas forcément synonyme de tristesse ou de maladie. Notre série vous propose de partir à la rencontre de centenaires passionnés, en Suisse comme à l’étranger, qui nous livrent les secrets de cette remarquable longévité.
Plongée dans notre série "Au temps des centenaires"
Garder la santé
Germaine de Crousaz, la sportive centenaire
À 101 ans, rien n'arrête Germaine de Crousaz… Bâtons en main, cette vive centenaire part en balade tous les jours, sans oublier sa séance de gym, qu'elle aime pratiquer au cœur de son village, les Diablerets. "Je chante en marchant, et puis je vais me reposer en contemplant le paysage", détaille-t-elle.
Germaine n'a pas froid aux yeux: il y a deux ans, elle fêtait son anniversaire ski aux pieds. Cette année, c'est en chevauchant une Harley qu'elle a décidé de passer ce nouveau cap. "Je préfère quand même l'ardoise", rassure-t-elle.
L'ardoise? C'est ainsi que cette ancienne enseignante nomme sa tablette numérique. Malgré quelques problèmes de vue, Germaine vit encore seule chez elle, avec un minimum d'aides: sa fille qui passe la voir deux jours par semaine et une infirmière qui vient à la quinzaine.
"Tant que le moral tient, le physique va suivre. Germaine en est un exemple. Ses maux physiques ne prennent pas le dessus sur son état émotionnel", explique son infirmière.
Comment expliquer ce moral d'acier? "La recette, c'est la prière. Je suis très croyante et je prie plusieurs fois dans la journée, pour moi, mes enfants", confie Germaine.
Bien vivre à 100 ans tiendrait donc autant du corps, que du cœur et de l'esprit. Musique, famille et jeux sont les ingrédients du bonheur pour cette heureuse retraitée.
"C'est que du bonheur… Je n'ai jamais autant joui de la vie que maintenant, où ma seule responsabilité reste moi-même… Et je me trouve encore assez supportable!", conclut-elle.
Fêter son Jubilé
En Valais, on célèbre les centenaires
En Valais, les citoyens entrant dans leur 100ème année sont célébrés par un Jubilé. Au programme, cadeaux et visite de l'un des conseillers d'Etat. En ce dimanche de décembre, Cécile Vuignier s'apprête à recevoir le magistrat PLR Frédéric Favre, entourée de ses enfants, petits et arrière-petits-enfants.
Le politicien n'arrive pas les mains vides: des fleurs, du vin et aussi un chèque cadeau d'une valeur de 1000 francs. Cécile Vuignier est la deuxième centenaire qui fête son anniversaire en quelques mois rien que dans cet EMS.
"On en fête entre 40 à 50 par année. Cela nous prend un certain temps, mais il est très important pour nous de montrer notre respect à ces citoyens", explique Frédéric Favre.
"C'est important pour les personnes qui atteignent cet âge honorable. Quand un magistrat prend de son temps pour vous célébrer, ça montre une certaine forme de reconnaissance", ajoute Jacques, le fils de Cécile.
Le conseiller d'Etat Christophe Darbellay aime jouer au jeu de ces rencontres. Il en a célébré deux rien que le 1 décembre dernier. "J'ai rencontré une dame qui a eu 10 enfants. À la mort de son mari, elle s'est occupée de tout le ménage. L'autre n'avait pas peur du Covid-19 et tenait absolument à me serrer la main", détaille le magistrat.
Cette centenaire, c'est Rosa Rosset. Alerte, elle se souvient parfaitement de ce moment. "J'ai été très heureuse de faire la rencontre de ces personnes haut placées. On a été gâtées avec ces sourires et tous ces gentils mots… Ils peuvent revenir quand ils veulent", confie-t-elle.
Tombées en désuétude dans d'autres cantons, ces rencontres restent bien ancrées en Valais, pour le plaisir des plus alertes centenaires.
Garder sa mémoire
Micha Grin, journaliste et écrivain romand
Il est né en 1921, la veille de Noël: le Vaudois Micha Grin vient de fêter ses 100 ans.
Un siècle qui retrace une tranche de l'Histoire de la Suisse romande. Travailleur acharné, il est tour à tour enseignant, poète, écrivain, journaliste à la RSR et réalisateur. Tout au long de son existence, Micha Grin a partagé sa vie entre trois passions: le journalisme, l'enseignement et l'écriture.
Écrivain prolifique avec plus de trente ouvrages à son actif, il commence son parcours professionnel comme instituteur, avant de devenir journaliste reporter pour différents magazines, tels que Paris Match ou L'Illustré. Rédacteur en chef de plusieurs revues suisses, il sera également attaché de presse lors de l'Exposition nationale de 1964.
Aujourd'hui, il vit au repos dans un EMS avec sa fidèle compagne: sa machine à écrire. Une existence tranquille pour ce Romand qui a aussi connu des heures plus sombres. "Je faisais partie du bataillon onze, pendant la guerre avec le général Guisan. On voit, sur cette photo, le caporal qui est grand et fort... Et puis moi dessous, tout petit, qui disparaît presque derrière son casque", se souvient-il.
Pour Micha Grin, l'une des plus grandes révolutions du 20ème siècle reste l'apparition de la télévision. "Quand on raconte une histoire à la radio, ce n'est jamais complet, car celui qui l'écoute l'interprète selon son imagination. Tandis qu'avec l'image, on montre les faits tels qu'ils sont", analyse celui qui a réalisé un bon nombre de reportages radio et télévisés.
Le secret de la longévité? "Travailler et ne jamais lâcher prise, même si j'avoue que ce qui m'a donné le plus de plaisir, c'est la moto", conclut le centenaire, avant de retourner à sa machine à écrire.
Vivre en communauté
Geraci-Siculo, le village sicilien aux habitants centenaires
Geraci-Siculo est un charmant village niché dans le parc naturel de Madonie, au nord de la Sicile. S’il figure parmi les plus beaux bourgs d’Italie, il est aussi connu pour un fait insolite: la longévité de ses habitants.
Le village compte actuellement sept centenaires pour 1800 habitants: trois fois plus que dans le reste de l’Italie. Montée du fascisme, guerre mondiale, chute de Mussolini… Ces témoins de l’Histoire du 20ème siècle partagent certaines de leurs anecdotes au 19h30.
Giuseppe Attinasi a bientôt 100 ans. Il a 18 ans quand la Seconde Guerre mondiale éclate. Après des années de combat, il fera partie des soldats italiens en déroute après la chute du fascisme, en 1943. "J'étais coincé dans le centre de l'Italie… Je n’ai eu d’autre choix que de rentrer au village à pied", se remémore-t-il.
Cordonnier d’un autre temps, Bartolomeo Luppa regrette cette époque. "Le meilleur chef de gouvernement fut Mussolini. Tous les autres dirigeants ont été vraiment moyens. Mussolini a fait certainement mieux que cette présidence qui fait mourir l’artisanat! ", tonne le centenaire.
Maria Rosaria montre fièrement à la caméra la plaque reçue le jour de ses cent ans. Cette fermière a fait partie des premières Italiennes à avoir obtenu le droit de vote en 1946. Comme Giuseppe et Bartolomeo, Maria Roasaria est en bonne forme physique pour son âge avancé.
Si Giuseppe Attinasi pense que sa longévité est liée à la qualité de l’air et de l’eau du village, le syndic du bourg, Geraci Sculo, a une autre opinion: "Les familles sont très présentes, il y a des relations parentales très fortes entre les enfants et les petits-enfants, contrairement à d'autres pays où les familles se désagrègent".
Ici, la plupart des centenaires vivent au sein de leur famille. Un lien communautaire fort, doublé d’une certaine douceur de vivre seraient les clés de cette remarquable longévité. "Nous avons un style de vie loin de la frénésie, nous vivons notre journée tranquillement… Voilà à mon avis ce qui est important ici", conclut Marisa Zafonte, conseillère communale au sein de ce petit village.
Garder la mémoire
Tom Rice, héros de la Seconde Guerre mondiale
C’est dans une petite maison dans un quartier de Coronado en Californie qu’habite Tom Rice, héros de la Seconde Guerre mondiale. Dans la main du centenaire, une photo: sur le portrait, le jeune homme a 23 ans et est sur le point d’être parachuté en Normandie, le jour du débarquement.
"Je me suis assis sur le sol de l’avion, pour me reposer. La plupart des autres gars étaient silencieux. Si on voulait, on pouvait fumer, on pouvait prier. Ce n’était pas la peine de parler, le bruit des moteurs était si fort… C’était incroyable", se remémore le vétéran.
Le sergent Rice est largué en pleine nuit avec ses camarades du 101e bataillon des parachutistes. S’ensuivent des jours d’avancée pénible dans la campagne normande et des combats avec l’armée allemande. Et enfin, la libération de la France occupée.
"On n’avait que notre survie en tête. Le plan, c’était la sécurité d’abord pour accomplir la mission: libérer la France".
Pas question pour Tom Rice de vivre dans le passé. En août dernier, pour fêter ses cent ans, l’ancien combattant a de nouveau sauté en parachute, au-dessus de sa ville natale de Coronado. Une expérience bien différente. " Là, on ne nous tirait pas dessus, c’était en plein jour, avec un beau soleil. Quel contraste! La moitié de Coronado y a assisté… Je me suis bien amusé!".
Le secret de sa longévité? Une santé de fer qu'il entretient avec une discipline militaire. Deux fois par semaine, l’ancien sergent fait du sport: de la levée de poids, en passant par le rameur ou bien les anneaux. "C’est important de rester souple. Si vous restez assis, vos articulations vont se bloquer, non? ", dit-il avec une pointe d’humour.
Tom Rice espère pouvoir sauter à nouveau pour fêter ses 101 ans. Un symbole qu'il compte dédier à la mémoire de son 101e bataillon.
Garder la passion
Mayako Muroi, de la musique pour devenir centenaire
Le Japon recense plus de 86’000 centenaires sur son territoire, un record international. C’est aussi l’un des pays où l’on vit le plus vieux, avec une moyenne de 81 ans et huit mois pour les hommes, et 87 ans et neuf mois pour les femmes.
Mayako Muroi a fêté ses 100 ans en avril dernier. Elle est la plus âgée des pianistes de concert au Japon. Et malgré son grand âge, la fringante centenaire donne encore des leçons: "Je suis chère, par contre", prévient-elle, amusée.
Une longévité qu’elle attribue à la musique, qui a constitué toute sa vie. "Vous n’allez pas guérir d’une maladie avec de la musique. Mais elle apporte de la sérénité… Elle est bonne pour le cœur, excellente pour la santé. Quand on écoute Beethoven, on ressent une sorte de magie, chez Haydn aussi. Alors oui je crois à ses bienfaits curatifs", témoigne-t-elle.
Véritable passionnée de son art, Mayako vit seule dans sa maison du quartier huppé de Seijo, dans la banlieue de Tokyo. Complètement autonome, cette Japonaise n’a jamais voulu fonder de famille.
Au milieu de ses souvenirs, un capharnaüm de photos et d’objets, comme ce film des années 50 où elle est soliste au sein de l’orchestre symphonique, et où des jeunes musiciens diffusent de la musique classique dans les campagnes japonaises.
Mayako s’installera plus tard à Berlin. Durant 26 ans, elle donnera des concerts à travers l’Europe, avant de retourner s’installer au Japon à l’âge de 61 ans.
La chaîne de télévision NHK lui a consacré une émission à l’occasion de son 100ème anniversaire. Une date qu’elle a décidé de célébrer en donnant son propre concert. Quoi de plus de normal pour cette dame qui a commencé le piano il y a 94 ans...