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Démocratie et institutions en question après la réélection d'Emmanuel Macron

Emission spéciale: Emmanuel Macron réélu à la présidence française à plus de 58% des voix (vidéo)
Emission spéciale: Emmanuel Macron réélu à la présidence française avec 58% des voix (vidéo) / La Matinale / 11 min. / le 25 avril 2022
La présidentielle française a rendu son verdict. Emmanuel Macron a été réélu avec 58,55%des voix, contre 41,45% pour Marine Le Pen. Pour les observateurs interrogés lundi dans La Matinale, ce score historique de l'extrême droite et le taux d'abstention record témoignent de l'atomisation du paysage politique et questionnent les institutions de la 5e République.

Au lendemain d'une élection qui n'a guère enthousiasmé, le constat est sans équivoque: "Jamais le Rassemblement national, et avant lui le Front national, n'avait autant pénétré le territoire français", résume l'éditorialiste française Laetitia Krupa. Un constat qui en amène un autre: "Il y a désormais, en France, une habitude et un espace politique" qui a complètement accueilli le principal parti d'extrême droite.

>> Le second tour résumé par Alexandre Habay :

Les partisans d'Emmanuel Macron célébrent sa victoire sur le Champ de Mars, le 24 avril 2022. [AP/Keystone - Rafael Yaghobzadeh]AP/Keystone - Rafael Yaghobzadeh
Présidentielle française: analyse générale / La Matinale / 2 min. / le 25 avril 2022

Interrogée lundi dans La Matinale, l'éditorialiste explique la forte progression du Rassemblement national (RN) par l'espace ouvert lors de la désintégration des deux grands partis traditionnels, le Parti socialiste (PS) et la droite républicaine (LR). Un constat partagé par un autre éditorialiste, l'ancien directeur du magazine Le Point Franz-Olivier Giesbert. "On paie ici la disparition, organisée par les macronistes, du PS et de LR", souligne-t-il.

Pour les deux éditorialistes, Emmanuel Macron a joué un rôle clé dans la montée de Marine Le Pen, qui a comptabilisé dimanche 2,6 millions de voix de plus qu'en 2017. Mais Laetitia Krupa va même plus loin: "C'était une stratégie politique délibérée", analyse-t-elle. "Depuis 2017, il veut rejouer le match contre Marine Le Pen. Elle était à l'agonie après le ratage du débat d'entre-deux tours de 2017 et elle a opéré une véritable renaissance. Et Macron est un des artisans de cette affiche. Il a voulu ce match parce qu'il était convaincu qu'il le gagnerait."

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Reconfiguration en trois blocs

À l'issue du premier tour, nombre d'analystes ont évoqué la reconfiguration de l'espace politique français autour de trois blocs, dont les qualificatifs varient en fonction des sensibilités politiques, mais qui succèdent à la traditionnelle alternance gauche/droite incarnée durant de longues années par les socialistes et la droite. "La question, désormais, c'est de savoir si ce changement est définitif", estime Laetitia Krupa.

Également interrogé dans La Matinale, le conseiller national UDC Yves Nidegger prolonge lui aussi cette analyse. Selon lui, Emmanuel Macron a commencé par atomiser les structures de la sociale-démocratie et celles du PS, qui ne s'en est pas remis. "Puis, en cinq ans de quinquennat, il a fait la même chose avec la droite républicaine. Si bien qu'aujourd'hui, ce n'est plus un gouvernement, mais un conseil d'administration de la filiale française de l'Union européenne", assène le Genevois.

Pour Franz-Olivier Giesbert, cette reconfiguration n'est pas une bonne nouvelle pour le pays. Selon lui, l'électorat RN n'est pas fait que de colère et de défiance et il aurait pu se retrouver dans les formations historiques, en particulier au PS. "Le vote pour Marine Le Pen est relativement cohérent. C'est la France périphérique des petites villes. C'est un électorat qui rejoint d'une certaine manière le caractère sociologique des abstentionnistes: environ 40% sont jeunes et ont des salaires inférieurs à 1250 euros."

Ainsi, "si Emmanuel Macron était un homme d'Etat, il ferait en sorte que ces forces revivent un peu pour l'avenir", estime l'écrivain. "C'est important pour le pays. Car l'alternance finira toujours par revenir. Et c'est mieux que ce soit entre la gauche et la droite qu'entre l'extrême gauche et l'extrême droite."

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"Ubérisation" de la politique française

Yves Nidegger parle quant à lui d'une "ubérisation" de la vie politique française, qui a mené à la disparition des grands partis. "Aujourd'hui, il n'y a de survivant que les mouvements incarnés par des personnes. Par Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen, Eric Zemmour et même Emmanuel Macron, qui s'est bien gardé de constituer un vrai parti."

Emmanuel Macron après sa victoire dimanche soir. [Keystone - Rafael Yaghobzadeh]
Emmanuel Macron après sa victoire dimanche soir. [Keystone - Rafael Yaghobzadeh]

L'élu UDC partage néanmoins l'idée que cette configuration n'est pas éternelle: "Ce genre de mouvements n'ont pas vraiment de futur quand le leader passe la main, tandis que les partis institutionnalisés, eux, survivent à leurs leaders."

Le Genevois déplore également l'état du paysage politique français, avec cette restructuration autour d'un leader "centriste", une posture "parasitaire" car elle permet de tenir un discours du "en même temps", juge-t-il. D'autant que les institutions de la 5e République ont été "pensées comme un moyen de consolider le pouvoir". "Toutes ces institutions visent à amplifier l'avantage d'un leader en lui donnant de surcroît une majorité disproportionnée à l'Assemblée."

Le conseiller national parle donc d'un "désespoir démocratique" dans l'Hexagone. Un sentiment accentué par ce qu'il nomme également l'ubérisation de la contestation sociale. "Avant, lors des mouvements sociaux, on négociait avec quelques leaders syndicaux", note-t-il. Mais le mouvement des Gilets jaunes a amené une contestation bien plus décentralisée et moins organisée.

Vers une possible proportionnelle

Dans ce contexte, les élections législatives devraient être particulièrement intéressantes cette année. Dans un billet d'opinion paru dans la Tribune de Genève, le journaliste suisse Alain Rebetez se demandait si Emmanuel Macron aurait "le courage d'introduire la dose de proportionnelle qui rééquilibrerait les pouvoirs entre la présidence et l'Assemblée nationale".

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"C'est là aussi une promesse non tenue d'Emmanuel Macron", rappelle Franz-Olivier Giesbert. "En 2017, il avait promis qu'il introduirait une dose de proportionnelle. On l'attend toujours. Mais c'est absolument vital pour la démocratie, car actuellement, l'Assemblée nationale n'est pas si représentative", admet-il.

De son côté, Yves Nidegger n'y croit pas. "Vous allez voir: à l'Assemblée, la proportionnelle ne résoudra rien, ou alors sous forme de poudre aux yeux. Quand François Mitterrand a mis une goutte de proportionnelle dans le système (ndlr. en changeant le mode de scrutin lors des élections législatives de 1986), c'était pour faire émerger le Front national qui, une fois diabolisé, permettait de casser la droite en deux et l'empêcher de faire alliance face à une gauche unie", estime-t-il.

"Aujourd'hui, le principal parti d'opposition, c'est le RN. Et rendre à ses électeurs leur droit de vote qui est volé par le système actuel, c'est la pire chose que pourrait faire Emmanuel Macron", anticipe l'UDC genevois.

Risque d'embrasement social

Mais pour plusieurs observateurs, ne pas aller vers plus de représentativité, ce serait prendre le risque d'attiser la colère populaire. "Les braises des Gilets jaunes sont encore fumantes dans le pays. La crise sanitaire a peut-être retardé la crise sociale", craint Laetitia Krupa. C'est pour cette raison qu'au soir du second tour, Emmanuel Macron a cherché à parler tant à l'électorat de gauche qu'aux électeurs et électrices de Marine Le Pen.

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"Vu le contexte actuel en France, il était impossible de ne pas faire de la communication politique face à la menace d'un 'troisième tour social', où la France en colère descendrait dans la rue. Beaucoup d'observateurs et d'opposants alertent sur ce risque, il y a une certaine unanimité parmi les sociologues", avertit-elle. "Le pouvoir est obligé de prendre en compte cette menace. Il doit calmer cette colère qui, pour l'instant, ne s'exprime pas."

Cet objectif serait bénéfique à la Suisse, estime enfin le conseiller national PLR Damien Cottier, également invité de La Matinale. "Dans ce deuxième mandat, Macron devra mener les réformes pour rendre la France plus attractive et dynamique. Mais il devra rassembler toutes les franges de son électorat 'par défaut'. C'est un grand défi. Et c'est important pour la Suisse, parce qu'on a besoin d'un voisin qui est dynamique et on a besoin de stabilité."

>> Écouter les interventions complètes d'Yves Nidegger et Damien Cottier :

Emission spéciale: le regard suisse sur les élections présidentielles françaises (vidéo)
Emission spéciale: le regard suisse sur les élections présidentielles françaises (vidéo) / La Matinale / 15 min. / le 25 avril 2022

Propos recueillis par Valérie Hauert

Texte web: Pierrik Jordan

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