Villes vertes, vers une révolution durable

Grand Format

Franck GUIZIOU / AFP

Introduction

Notre façon de consommer, notre dépendance aux énergies fossiles et notre empreinte carbone sont les causes premières de la crise climatique que nous traversons. Le dernier rapport du GIEC a souligné l’urgence d’inventer un modèle de société plus durable pour préserver notre environnement. Des solutions existent, notamment en Europe. Notre série propose d’explorer ces villes qui ont pris des mesures radicales en faveur du climat.

Chapitre 1
Copenhague, objectif zéro carbone

JONATHAN NACKSTRAND / AFP

Pays riche, le Danemark est un gros producteur de CO2. Mais il a tout de même réussi à baisser ses émissions de 40 % en 20 ans, grâce à une politique environnementale ambitieuse. Copenhague avance vers l'objectif qu'elle s'est fixé pour 2025: devenir la première capitale neutre en carbone.

Le projet, lancé il y a 17 ans, a nécessité un investissement de plus de 26 milliards d'euros et repose sur deux piliers majeurs : la mobilité douce et les énergies renouvelables.

Un exemple avec la centrale d’incinération de Copenhill, située dans la zone industrielle de la capitale. Construite en 2017, cette usine à l’architecture futuriste convertit déchets en électricité et chauffage pour les 600'000 habitants de la ville. Il y a quelques décennies, Copenhague se chauffait au fioul. Aujourd’hui, 90% des foyers sont connectés à ce réseau de chauffage produit par la biomasse. L’usine se targue aussi d’être la centrale la plus propre au monde grâce à un projet novateur capable de capter le dioxyde de carbone et les gaz de combustion.

"Au Danemark les questions environnementales font partie de notre éducation dès le plus jeune âge: les déchets doivent être recyclés, réutilisés ou transformés en énergie", détaille Martin Sune Scheibye, directeur presse de Copenhill. "Avec la crise du Covid et la guerre en Ukraine, on voit à quel point l’auto-suffisance énergétique est primordiale", poursuit-il.

Ultra moderne, le bâtiment fait aussi office d’espace de loisir en accueillant une piste de ski végétalisée sur son toit et le mur d’escalade le plus haut du monde.

L'usine d'incinération futuriste de Copenhill, dans la zone industrielle de Copenhague. [OLIVIER MORIN / AFP - OLIVIER MORIN]
L'usine d'incinération futuriste de Copenhill, dans la zone industrielle de Copenhague. [OLIVIER MORIN / AFP - OLIVIER MORIN]

Ecoquartier

À quelques kilomètres de la centrale, l’écoquartier de Nordhavn s’élève sur l’ancien port industriel. Sa rénovation, démarrée en 2009, doit mener à la création de quelque 40'000 logements à l'horizon 2050.

Le projet est considéré comme le plus grand laboratoire de développement durable d'Europe. Chaque bâtiment contribue à la réduction de l’empreinte carbone du quartier. Relié à la centrale de Copenhill, Nordhavn fonctionne aussi grâce à d’autres énergies vertes comme le solaire ou l’éolienne. D'autres technologies sont privilégiées, comme l’utilisation des eaux de pluie pour le système de climatisation.

Pour Bo Christiansen, architecte spécialisé en développement durable, la réussite du quartier s’explique par une culture du consensus propre aux Danois. "La véritable innovation c’est que les autorités, les promoteurs immobiliers et les habitants du quartier travaillent ensemble pour atteindre la neutralité carbone", explique-t-il. "Je pense que le Danemark a réussi à être un leader grâce à cette hiérarchie horizontale. Nous sommes une petite nation… Si on ne travaille pas ensemble, on ne survit pas", ajoute l’architecte.

Un consensus que l’on retrouve aussi dans la sphère politique. "Nous avons eu de grandes discussions sur la neutralité carbone aux dernières élections parlementaires. Tous les partis se sont alignés pour réduire les émissions de 70% d’ici 2030. Tous les partis, même les partis de droite, travaillent ensemble pour atteindre ce but", témoigne Klaus Mygind, député socialiste à la municipalité de Copenhague.

L’idée séduit aussi économiquement, le Danemark étant pauvre en ressources. L’énergie verte, spécialement l’éolienne, est une manne financière pour le pays qui exporte son électricité en Suède, en Norvège et en Allemagne. Copenhague est en bonne voie pour atteindre la neutralité carbone. En 2022, le Danemark a été reconnu pays "le plus vert au monde" au classement de l’Indice de Performance Environnementale.

>> Voir le reportage du 19h30 :

Copenhague poursuit l'ambition d'être neutre en carbone d'ici 2025
19h30 - Publié le 10 août 2022

Chapitre 2
Utrecht, capitale du vélo

AFP - ABDULLAH ASIRAN

Il suffit de faire quelques pas à Utrecht pour constater que le cycliste est roi. Quatrième ville des Pays-Bas, la cité médiévale compte 360'000 habitants, dont près de 60% utilisent le vélo quotidiennement. Certaines artères, comme le Vredenburgknoop, voient circuler une moyenne de 33'000 bicyclettes par jour.

Depuis 30 ans, les autorités mènent une politique volontariste et encouragent l’usage combiné du vélo et du train dans la gare d’Utrecht, centre névralgique des chemins de fer du pays.

Accolé à la station, le plus grand parking à bicyclette du monde a été achevé en 2019 et compte près de 17'000 places. S'étalant sur plusieurs étages, doté d’une signalisation moderne et d'autoroutes à deux-roues, le lieu semble pour le moins futuriste.

Et la ville aimerait aller plus loin. "Nous voulons encore plus de cyclistes et de piétons. Le but principal n’est pas la suprématie du vélo, mais la réduction du trafic automobile", explique Herbert Tiemens, consultant en mobilité.

Jusqu’à 100 cyclistes par minute pénètrent dans le parking chaque jour, financé par la municipalité et la compagnie ferroviaire. Les promoteurs immobiliers sont aussi tenus de prévoir des aménagements à vélos pour chaque immeuble de bureaux construits.

La ville n’hésite pas à faire de sa politique de mobilité une véritable image de marque. "On a gagné une population en bonne santé et heureuse. On a plein de gens qui ont vraiment créé un lien avec la ville et qui ne veulent plus la quitter", assure Herbert Tiemens.

Combat de longue date

Kerngroep Ring est un groupe militant qui combat la voiture depuis les années 70, à l’époque où un projet d’autoroute menaçait de raser la forêt d’Amelisweerd, aux abords de la ville. La cour suprême tranchera en faveur de la nature et la route sera finalement construite plus loin. Aujourd’hui, ils continuent à se battre contre l’agrandissement de l’autoroute A27.

"Plus on construit de routes, plus il y a de voitures. Si on ne donne pas cette opportunité, les usagers trouveront d’autres alternatives. Et c’est ça le but: avoir un mode de vie urbain sain, démontrer que toutes ces voitures ne sont pas forcément nécessaires", témoigne l’activiste Jan Morren.

Une pensée disruptive il y a 40 ans, aujourd’hui dominante à Utrecht. Dans le centre historique au bord des canaux, piétons et cyclistes sont prioritaires sur le trafic. À deux kilomètres de là, une route pour voiture est passée de 4 à 2 voies, avec la création d’un espace vert pour les promeneurs.

À une demi-heure à pied du centre-ville s’étend le canal de Merwede, où un futur quartier émergera à l’horizon 2030. Les voitures à essence ou diesel seront totalement bannies pour les futurs 12'000 habitants de la ville.

"L’absence de voitures va nous amener plus d’espaces vivables dans les rues, où les enfants pourront jouer, et où on pourra créer plus d’espaces verts pour l’adaptation au changement climatique et pour la biodiversité. Les voitures seront quand même autorisées dans une certaine mesure, mais uniquement des petits véhicules électriques", détaille IMirjam Schmull, responsable en développement durable du projet Merwede.

Le futur quartier sans voiture sera libre d’énergie fossile et autonome grâce à une pompe à chaleur connectée au canal. Un urbanisme radical qui fait déjà des émules aux Pays-Bas, et au-delà.

>> Voir le reportage du 19h30 :

Révolution durable: à Utrecht aux Pays-Bas, les voitures ont été évincées du centre-ville
19h30 - Publié le 8 août 2022

Chapitre 3
Milan, la forêt urbaine

MIGUEL MEDINA / AFP - MIGUEL MEDINA

À Milan, le Bosco Verticale ("forêt verticale") est l'emblème de la nature en ville et l'attraction du quartier de Porta Nuova.

Inaugurées en 2014, ces deux tours de logements ont été imaginées par l’architecte Stefano Boeri. Pommiers, oliviers, hêtres… Ces bâtiments de 110 et de 76 mètres de haut accueillent sur leurs balcons 20’000 plantes et arbres, l’équivalent de deux hectares de forêts.

Une prédominance de la verdure qui permet de lutter contre les îlots de chaleur en ville. Marilena Sobacchi vit au onzième étage. Sur son balcon, il fait 6 degrés de moins que dans les immeubles voisins. "Il fait assurément plus frais, comparé aux autres quartiers de la ville. On a la sensation d’être presque à la campagne, dans un environnement vert, ce qui est très précieux lorsque l’on habite dans une ville comme Milan", confie la locataire.

La paysagiste Laura Gatti a travaillé pendant trois ans pour choisir les arbres et les plantes qui ornent la façade, sélectionnés selon leur résistance à l’altitude et au soleil. Aujourd’hui, elle continue à monitorer cet écosystème. "Nous avons été très heureux quand nous avons vu qu’un oiseau avait fait son nid quelques semaines seulement après avoir planté le premier arbre… Les insectes pollinisateurs se sont aussi installés le long des façades", se réjouit-elle.

Capturer le CO2

En plus d'offrir des îlots de fraîcheur, les plantes absorbent le monoxyde de carbone et relâchent de l'oxygène dans l'air passablement pollué. Le projet ForestaMi, lancé en 2018, prévoit la plantation de 3 millions d’arbres d’ici 2030, soit un arbre pour chaque habitant de la capitale lombarde, grâce à une récolte de fonds déployée à grande échelle auprès des privés et du monde public. Ces arbres permettraient d’absorber chaque année 5 millions de tonnes de CO2 supplémentaires.

>> Lire aussi notre enquête : Les arbres en ville sont-ils un privilège de riches?

Le projet a déjà permis le reboisement de certaines zones, notamment le Parco Nord Milano. "Ici, nous sommes dans un parc qui a été aménagé sur une ancienne zone industrielle. Il y a quarante ans, il n'y avait pas un seul arbre. Aujourd'hui, nous sommes en train de planter la 39e zone de bois", détaille Riccardo Gini, directeur technique du projet Forestami.

Cet été encore, la plaine du Pô a été écrasée par la vague de chaleur et de sécheresse qui a touché l’Europe. La lutte contre le changement climatique est devenue un enjeu politique majeur pour la municipalité. "Nous devons agir sur deux niveaux: un niveau pour combattre le changement climatique et un autre pour y faire face. Et les arbres nous aident dans ce combat", assure Elena Grandi, conseillère municipale en charge de l'environnement.

Cet automne, 80’000 végétaux supplémentaires seront plantés à Milan.

>> Voir le reportage du 19h30 :

Révolutions durables: À Milan, le complexe architectural "Bosco verticale" est devenu un véritable étendard de l'intégration de la biodiversité dans le bâti
19h30 - Publié le 9 août 2022

Chapitre 4
Dunkerque, des transports gratuits

PHILIPPE HUGUEN / AFP

En 2018, Dunkerque a été la première ville de France à rendre ses transports publics gratuits. Un changement radical, pour une cité qui s’est entièrement construite autour de la voiture après la Seconde Guerre mondiale.

L’automobile représentait 66% des modes de déplacements en 2015. La fréquentation des transports en commun a quasiment doublé un an après le passage à la gratuité du réseau de bus, selon une enquête réalisée par l'Observatoire des villes du transport gratuit.

"Avant je prenais la voiture, mais quand le diesel est monté jusqu’à 2 euros, j’ai décidé de changer la manière de me déplacer en prenant le bus. Économiquement, c'était mieux pour moi", témoigne Loïc Gatti, usager des transports publics.

Ce passage au gratuit s'est accompagné d'une refonte totale du réseau. Et pour mettre en place une telle mesure, Dunkerque n’a pas eu besoin d’augmenter les impôts locaux. La ville a récupéré le budget prévu pour une salle de concert Arena, estimé à plus de 180 millions d’euros sur 27 ans. Le reste se finance par la taxe mobilité que payent les entreprises françaises et quelques économies.

"Faire de la gratuité pour faire de la gratuité, ça ne sert à rien. Il faut améliorer la qualité du réseau et penser aux autres mobilités douces. L’abandon du projet Arena nous a permis d’économiser près de 60 millions de francs, que nous avons utilisés pour la refonte du réseau de transports publics", explique Laurent Mazouni, adjoint au maire en charge de la transition écologique.

Changement de mentalité

Une autre enquête réalisée en 2019 par l’Observatoire a montré une baisse de 3% du nombre de déplacements en voiture. L’opération a aussi permis de changer l'image des transports publics.

"Avant, le bus était un peu considéré comme un mode de transport ringard, sa place n'était pas très visible en ville. Avec la refonte du réseau à Dunkerque, on a choisi de visibiliser ce moyen de locomotion, avec des bus très colorés", détaille Julie Calnibalosky, chargée d'études à l’Observatoire.

"La gratuité pour tous permet de faire des économies et permet au développement durable de se déployer plus facilement. Ce serait bien que de grandes métropoles comme Paris ou Lille s’y mettent. Je ne vois pas pourquoi cela ne fonctionnerait pas dans d’autres villes", ajoute Loïc Gatti.

L’exemple de Dunkerque fait des émules. D'autres villes comme Strasbourg, Montpellier ou Calais se lancent à leur tour dans la gratuité partielle ou totale des bus.

En Suisse, une initiative pour des transports publics a été déposée à Genève en juillet. La population devrait se prononcer sur le texte d’ici deux ans.

>> Voir le reportage du 19h30 :

Série "Villes, révolutions durables": Dunkerque et ses transports publics gratuits
19h30 - Publié le 11 août 2022

Chapitre 5
Mouans-Sartoux, l'autonomie alimentaire

AFP - MAGALI COHEN

À quelques kilomètres de Cannes, la ville de Mouans-Sartoux et ses 10'000 habitants ont décidé d’être autonomes en légumes. Lancé en 2010, le dispositif est inédit en France: un laboratoire d'alimentation durable, géré par une régie agricole municipale répartie sur six hectares.

Au cœur du programme, le concept de souveraineté alimentaire: le droit à une alimentation saine, durable et locale.

L’année dernière, les trois agriculteurs salariés ont produit près de 26 tonnes de légumes bio. "Nous avons besoin de personnel pour réaliser ces plantations. La spécificité de notre projet c’est que des agents en espaces verts donnent un coup de pouce aux agriculteurs", détaille Frédéric Rebuffel, directeur du service environnement à Mouans-Sartoux.

Ce renfort ponctuel des fonctionnaires municipaux est indispensable pour la viabilité de la récolte. "On nourrit nos enfants de façon saine grâce à ce projet, donc on ne rencontre pas de réticences. Les gens sont prêts à donner un coup de main… C’est un cercle vertueux, où on retourne aux choses essentielles", ajoute-t-il.

La commune produit 96% des fruits et légumes consommés par les six groupes scolaires et crèches de Mouans-Sartoux. Un accompagnement pédagogique a aussi été mis en place pour les enfants, via des ateliers potagers et de cuisine, pour les sensibiliser au gaspillage alimentaire.

"Bien manger, c’est politique. Si notre alimentation est durable, on respecte notre santé et notre environnement.  En mangeant bien, on impacte positivement la nature et sa biodiversité", explique l’adjoint au maire Gilles Pérole.

Investir son potager

Le projet permet aussi à ses habitants d’investir les espaces publics et créer des jardins potagers pour se nourrir. Nicolas Perotti a saisi cette opportunité. Depuis 3 ans, il cultive une plate-bande dans son lotissement.

"Ce qui est intéressant c’est de comprendre ce que l’on met dans notre assiette. L’alimentation ça reste la base de notre santé: ici les légumes sont sains, ne contiennent pas de produits chimiques. C’est aussi important de transmettre à nos enfants qu’on peut les trouver autre part que dans un supermarché", confie le papa.

Dans un contexte où la précarité alimentaire ne cesse d'augmenter, la restauration collective est vue comme un moyen de fournir une alimentation saine, tout en respectant l’environnement et la biodiversité et en assurant un revenu décent aux agriculteurs.

>> Voir le reportage du 19h30 :

Révolutions durables: En France, la ville de Mouans-Sartoux promeut la souveraineté alimentaire au travers de potagers urbains
19h30 - Publié le 12 août 2022