Les informations sur l'identité et le nombre de ces recrues serbes sont inexistantes ou presque. Quant au processus de recrutement, il est difficile de trouver des détails.
Tout se joue sur les réseaux sociaux, à travers des responsables du recrutement comme Dejan Beric, un sniper serbe sur la liste noire des mercenaires de guerre les plus recherchés par l'agence nationale de renseignement de Serbie, qui le considère comme une menace pour la sécurité du pays.
Sur sa chaîne Youtube, il invite les jeunes Serbes à rejoindre les forces armées russes. "On vous accueille à Moscou. On vous emmène ensuite dans un champ de tirs militaire et on vous fait signer un contrat pour vous faire servir au sein des forces armées de la Fédération de Russie."
L’intérêt de l’armée russe est donc bien réel, mais c’est surtout le groupe paramilitaire Wagner, dont Dejan Beric est aussi membre, qui fait les yeux doux à la Serbie, explique Michael Eric Lambert, analyste renseignement pour l’agence de renseignement et de détectives Pinkerton à Dublin, lundi dans La Matinale.
"Un avantage publicitaire pour Wagner"
"L'intérêt de Wagner pour recruter en Serbie, c'est d'avoir une connexion entre la Russie et la Serbie", explique-t-il. "C'est avant tout un avantage publicitaire. La présence de Wagner en Serbie, qui est mentionnée de manière très ouverte sur des panneaux publicitaires - des panneaux qui ne sont pas voulus par Belgrade - montre cette connexion et cette identité commune entre la Russie et la Serbie."
Ces messages publics qui jouent sur l’idéologie ou encore sur des rémunérations militaires alléchantes poussent certains à quitter leur pays. En effet, comme le rappelle Michael Eric Lambert, "le groupe Wagner paie à peu près à hauteur de 2500 à 3000 dollars par mois, alors qu'en Serbie le salaire moyen est de 400 à 500 euros par mois". Sans parler de l'obtention de la citoyenneté russe et des nombreuses opportunités de carrière sur le très long terme offertes par Wagner.
"Enfin, il y a le facteur idéologique", développe encore Michael Eric Lambert. "Certaines personnes considèrent que la guerre en Ukraine est une guerre aux Slaves, donc une guerre qui amène la Russie à s'étendre. Il y a un côté très panslaviste chez ces volontaires, qui sont influencés par la propagande russe qui dit que l'Ukraine appartient à la Russie".
En outre, sur de nombreuses vidéos de ces jeunes Serbes qui partent combattre en Russie, un fort sentiment pro-russe et de la déception envers leur propre pays sont régulièrement exprimés.
"C'est ici que l'on apprend comment combattre pour le Kosovo"
"C'est mieux qu'à Belgrade, c'est mieux qu'à la maison. Il fait plus chaud et on mange bien", dit un jeune militaire serbe. "Et les hommes ici sont très compétents. Oui, car ce sont ceux qui veulent être là: des élus", répond un autre.
Plus cinglant, un jeune militaire d'origine serbe explique: "Ce qu'on doit comprendre en Serbie, c'est que c'est ici [en Ukraine] que l'on apprend comment combattre pour le Kosovo, pas là-bas [en Serbie], en écoutant le président Vucic et notre gouvernement incompétent".
"Que Dieu nous vienne en aide. Dieu et la bonne artillerie russe."
Ces soldats se montrent également très critiques vis-à-vis de la politique serbe. Une politique qui ne serait pas celle du peuple serbe, selon Michael Eric Lambert.
"La politique serbe contemporaine vise à se rapprocher de l'UE, ce qui ne correspond pas aux attentes de nombreux Serbes, qui souhaitent se rapprocher de la Russie, notamment en raison de la question du Kosovo, avec l'idée que le Kosovo devrait être rattaché à la Serbie."
Double jeu serbe
Le président Aleksandar Vucic a dénoncé à plusieurs reprises ces volontaires serbes, mais sans les condamner fermement. La Serbie joue en fait un double jeu. Publiquement, elle s’oppose à Moscou pour s’attirer les faveurs de l’UE, mais officieusement, la Serbie se veut proche de la Russie.
C’est un choix très stratégique, même sous l’angle militaire. "Pour la Serbie, il faut garder Wagner, dans l'optique où s'il y a une résurgence du conflit avec le Kosovo, les troupes de Wagner seront en ligne de front. Un autre élément qu'on a constaté récemment, c'est que le groupe Wagner est très actif dès qu'il s'agit de propagande anti-Kosovo, de propagande pro-Serbes."
La Russie y gagne aussi en cas de résurgence du conflit au Kosovo car cela permettrait de détourner le regard des Occidentaux sur un autre problème.
Sujet radio: Aleksandra Planinic
Adaptation web: Julien Furrer