Le site d'informations français Mediapart.fr maintient la pression. A l'origine de nombreuses révélations dans l'affaire liée à la fortune de l'héritière de L'Oréal Liliane Bettencourt, il met en ligne au compte-gouttes depuis lundi les sept volets thématiques de son "feuilleton journalistique exceptionnel" intitulé "Bettencourt, les pièces à conviction" comprenant chacun plusieurs extraits sonores de conversations téléphoniques (voir encadré ci-contre).
Après un premier volet sur les "relations incestueuses de la très grande richesse et de la très haute politique" françaises (voir lien ci-contre), il consacre mardi son deuxième épisode au thème de la fraude et de l'évasion fiscale... dans lequel la Suisse est abondamment citée.
Un menu alléchant
Le menu des huit extraits du jour proposés par Mediapart est alléchant dès l'amuse-gueule intitulé "On n'a plus le droit d'avoir des comptes en Suisse". Paroles du gestionnaire de la milliardaire, Patrice de Maistre, en conversation le 17 septembre 2009 avec Liliane Bettencourt sur ce qu'il va tenter de résoudre à Genève: "Lundi, je pars en Suisse, parce que vous avez un compte en Suisse et que vous savez qu'on n'a plus le droit d'avoir des comptes en Suisse. (...) On a le droit d'avoir des comptes, mais il faut le dire. Comme vous n'avez pas beaucoup d'argent sur ce compte, on va voir ce qu'on fait. (...) Et après, on verra si vous le déclarez ou pas," entend-on notamment dans l'extrait de Mediapart.
"Maître... euuh... Schtroumpf à Vevey vénère Madame Bettencourt. Il est prêt à se couper les mains pour vous. C'est un bon gros Suisse, mais très correct", dit encore Patrice de Maistre à sa patronne dans le sixième extrait en parlant de l'homme qui gère son compte de 65 millions d'euros sur la Riviera vaudoise.
Voyages répétés de son gestionnaire, comptes connus ou cachés, transferts multiples d'argent, avocats ou notaires plus ou moins appréciés, inquiétudes quant à l'avenir de la fortune de Liliane Bettencourt: la Suisse figure en base majeure des enregistrements effectués entre septembre 2009 et avril 2010.
Mais davantage que des révélations, les huit sons apportent des éclairages instructifs sur les tourments que vit le clan Bettencourt face aux changements de pratiques dans les banques suisses face à l'évasion fiscale. Et leurs voyages et tractations répétés avec leurs contacts en suisses pour défendre leurs intérêts. Patrice de Maistre à Liliane Bettencourt, le 27 octobre 2009: "Il faut qu'on arrange les choses avec vos comptes là-bas, en Suisse. Il ne faut pas qu'on se fasse prendre avant Noël", révèle un extrait. Suivent les échanges sur l'alternative possible à la Suisse, "Singapour. Parce qu'à Singapour, ils ne peuvent rien demander".
L'île d'Arros, paradis embarrassant
Tous les soucis du gestionnaire ne viennent pas de la seule pression accrue sur l'évasion fiscale. "A partir de janvier, c'est Monsieur Woerth qui a fait la loi", précise Patrice de Maistre dans un rire jaune.
A entendre les conversations téléphoniques, Patrice de Maistre a des soucis avec l'île d'Arros, dans les Seychelles, qui échappe à Liliane Bettencourt au profit de son protégé, le photographe François-Marie Banier - "qui a fait de grosses bêtises" - au gré de montages financiers que les extraits de Mediapart permettent de mieux cerner.
Le deuxième épisode du "feuilleton journalistique" de Mediapart constitue un puits d'informations qui mettent en lumière l'ampleur et une partie des réseaux suisses de "l'affaire Bettencourt", ainsi que les inimités, coups bas, manoeuvres et faveurs (voir l'extrait ci-contre qui mentionne le bateau demandé par Patrice de Maistre) qu'attisent les milliards de l'héritière de L'Oréal.
gax
Le feuilleton de Mediapart
A raison de 6 à 24 extraits par épisode, le site Mediapart.fr diffuse sept volets thématiques comprenant un total de 67 extraits sonores clandestins inédits enregistrés de mai 2009 à mai 2010 entre différents protagonistes de l'affaire politico-financière qui tient la France en haleine depuis le printemps.
Parmi les personnages centraux de ces extraits sonores enregistrés dans l'hôtel particulier de Liliane Bettencourt à Neuilly sur Seine par son maître d'hôtel, on retrouve la femme la plus riche de France et héritière de L'Oréal en conversation avec son désormais célèbre gestionnaire de fortune Patrice de Maistre. Le ministre du Travail Eric Woerth et sa femme Florence, le procureur de la République Philippe Courroye ou le président de la République Nicolas Sarkozy lui-même sont aussi concernés, annonce notamment Mediapart.
Le ministre Woerth se sent traqué
Ces révélations tombent alors qu'un nouveau front judiciaire menace le ministre du Travail français Eric Woerth. La Cour de justice de la République (CJR), seule apte à juger les membres du gouvernement dans l'exercice de leurs fonctions, pourrait être saisie pour des infractions présumées de prise illégale d'intérêt et de favoritisme d'Eric Woerth.
Ce dernier affirme dans un entretien paru lundi dans le quotidien "Le Parisien/Aujourd'hui en France" être victime d'une "lapidation médiatique", d'un "acharnement fait pour tuer".
"C'est un peu comme une chasse à l'homme, comme il existe ici des chasses à courre. Sauf que c'est moi qui joue le rôle du cerf", commente le ministre au centre de la tourmente politique depuis la révélation d'enregistrements clandestins de Liliane Bettencourt, héritière du groupe L'Oréal.
"Je suis un dommage collatéral des écoutes sauvages d'un majordome", explique-t-il. "Tout cet acharnement, c'est fait pour tuer", ajoute Eric Woerth.