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Le médecin de B. Rappaz menacé par la justice

Bernard Rappaz dans sa ferme de Saxon (VS) en juillet 2010. [reuters / denis balibouse]
Bernard Rappaz dans sa ferme de Saxon (VS) en juillet 2010. - [reuters / denis balibouse]
A son tour, la justice valaisanne ordonne aux Hôpitaux universitaires genevois (HUG) de nourrir de force Bernard Rappaz, sous peine de sanctionner le médecin responsable de la médecine pénitentiaire pour "insoumission à un ordre de l'autorité". Le chanvrier valaisan ne s'est plus nourri depuis 72 jours.

Le juge Jean-Bernard Fournier, vice-président de la Cour plénière du Tribunal cantonal valaisan, a envoyé vendredi cette notification au médecin responsable de l'unité pénitentiaire des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Il demande au corps médical de nourrir de force le gréviste de la faim sans se laisser influencer par des considérations éthiques extérieures.

Le document invoque l'article 292 du Code pénal, a indiqué samedi l'avocat de Bernard Rappaz, Aba Neeman, qui a reçu copie de la décision vendredi en fin de journée. Il confirmait une information du Temps de samedi.

Amende

Bernard Rappaz est hospitalisé à Genève depuis plusieurs semaines. [Salvatore Di Nolfi]
Bernard Rappaz est hospitalisé à Genève depuis plusieurs semaines. [Salvatore Di Nolfi]

Jeudi, la cheffe du Département valaisan de la sécurité avait demandé aux HUG de tout faire pour sauvegarder la santé du détenu. Esther Waeber-Kalbermatten se refusait dans le même temps à interrompre la peine de Bernard Rappaz. La ministre se basait sur une décision du Tribunal fédéral (TF) qui donnait raison à la justice valaisanne.

L'avocat de Rappaz dénonce vivement la démarche de la justice valaisanne. "Il est scandaleux de s'attaquer à des médecins qui n'ont rien à voir dans cette affaire", s'insurge-t-il.

Au plus mal physiquement

Interrogé sur l'état de santé du détenu, son avocat a indiqué qu'il se portait toujours aussi mal physiquement, mais que psychologiquement, il allait un peu mieux.

"Les choses bougent et Bernard Rappaz se sent soulagé de ne pas être complètement oublié", a déclaré le défenseur. A 57 ans, le Valaisan purge depuis le mois de mars une peine de cinq ans et huit mois de prison pour violation grave de la loi sur les stupéfiants et autres délits. Il conteste sa peine et réclame une révision de son procès. Il a déposé une demande de grâce auprès du Grand Conseil valaisan, qui statuera à huis clos le 18 novembre.

ats/mej

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Trente jours pour faire recours

Le médecin à qui a été intimé l'ordre de nourrir Bernard Rappaz a 30 jours pour faire recours au Tribunal fédéral. Il risque une amende.

Contactés samedi, les HUG n'ont fait aucun commentaire. Ils renvoient à leur dernière prise de position publiée jeudi concernant Bernard Rappaz, à savoir qu'ils n'alimenteront pas de force le chanvrier valaisan.

Faut-il respecter l'éthique médicale ou la justice?

Le dilemme entre la volonté du Valais de faire appliquer la justice et celle des médecins de respecter les droits du patient reste entier.

Dans une interview accordée à 24heures et à la Tribune de Genève, le professeur Alex Mauron, directeur de l'Institut d'éthique biomédicale de l'Université de Genève, relève que le médecin traitant a des devoirs déontologiques envers son patient.

"Il n'est pas censé faire le jeu du pouvoir judiciaire lorsque ce dernier estime que son prestige est ébranlé", dit-il. Le professeur rappelle que l'éthique médicale trouve sa légitimité dans le droit international, à savoir les conventions européennes des droits de l'homme et des droits de l'homme en biomédecine.

"L'éthique médicale n'est pas au-dessus des lois, puisque ses fondements sont ancrés dans la loi", explique Alex Mauron.

Cet expert relève en outre que la justice, y compris celle énoncée par le TF, a péché dans l'affaire Rappaz par un excès de zèle "étrange. Il y a une protection un peu panique de l'Etat comme si la crédibilité de la justice pénale était attachée au destin d'un seul homme. (...) Bernard Rappaz n'est ni Ben Laden ni Andreas Baader", ironise-t-il.