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Fonds kazakhs: banques suisses bientôt sous enquête?

Timur Kulibayev, beau-fils du président du Kazakhstan Nursultan Nazarbaïev [DR]
Timur Kulibayev, beau-fils du président du Kazakhstan Nursultan Nazarbaïev - [DR]
A l’heure où Berne est sur la piste des fonds du clan Ben Ali, la TSR s’est procuré des documents qui pourraient s’avérer embarrassants pour les grandes banques helvétiques. Ces banques ont ouvert des comptes à une autre personnalité sensible, le gendre du président kazakh. Cet homme, Timur Kulibayev, est sous enquête en Suisse pour blanchiment.

Timur Kulibayev est richissime. Le gendre du président kazakh, dirigeant de sociétés pétrolières et gazières étatiques, contrôlerait l'essentiel de l'économie de son pays. En septembre dernier, le Ministère public de la Confédération (MPC) ouvre une enquête : le Kazakh est soupçonné d'avoir blanchi 600 millions de dollars, en partie en Suisse. Il aurait vendu à vil prix des sociétés kazakhes, empochant en retour, des commissions à son nom, via des sociétés off shore. L’enquête du MPC pourrait être compromettante pour les grandes banques helvétiques.

En avril 2006, un trust est ouvert à Credit Suisse. Il est alimenté de 600 millions de dollars, en provenance d'UBS (voir le document). Dans le contrat, cela figure noir sur blanc: le bénéficiaire n'est autre que Timur Kulibayev en personne. Par ailleurs, selon un rapport d'audit, le Crédit Suisse a même pris des parts au sein de KazstroïService, une société appartenant à Kulibayev.

Pays notoirement corrompu, risques maximaux

La simple relation d'affaires entre une banque suisse et le Kazakh paraît problématique au regard de la loi. Timur Kulibayev est actif dans les matières premières (un secteur sensible), dans un pays notoirement corrompu, et c’est un proche du président kazakh.

A ce titre, c'est une personne exposée politiquement (un PEP), à hauts risques, comme le souligne Daniel Thelesklaf, directeur du centre international pour le recouvrement d’avoirs, à Bâle : "Sur une échelle de risques de 1 à 10, on se situe à 8, voire à 9. Et lorsqu'on parle de 600 millions, il est peu vraisemblable que cela provienne uniquement de l'épargne ou du salaire de la personne...".

"Quand autant de facteurs sont réunis, je serais très curieux de voir comment une banque en est arrivée à la conclusion qu'elle ne prenait pas de risques", ajoute Daniel Theleskaf.

La direction de Credit Suisse forcément informée

Credit suisse ne pouvait ignorer que Timur Kulibayev est un PEP. En effet, les banques sont équipées de données informatiques, qui émettent un message d’alerte dès lors que le nom d’un PEP est entré dans le système (voir le document). "L'entrée en relation d' affaires doit être décidée par un membre de la direction générale de la banque, donc par l' organe suprême de direction", rappelle Claude-Alain Margelisch, directeur de l’Association suisse des banquiers.

De plus, les banques doivent surveiller de près les transactions de ces clients, et au moindre doute, avertir les autorités anti-blanchiment… "C'est le cas lorsqu'une banque doit supposer que les sommes engagées sont d' origine criminelle, signale Daniel Thelesklaf. Il sera intéressant de voir si dans ce cas la FINMA (l'autorité suisse de surveillance des banques, ndlr.) retrousse les manches et ouvre d'elle-même une enquête."

Autorité de surveillance et banques peu diserts

La FINMA, n'a pas souhaité répondre à nos questions, pas plus que le Ministère public de la Confédération ou UBS. Credit Suisse, de son côté, n’a pas voulu se prononcer sur ce cas précis. Il s’est contenté de nous adresser par écrit la prise de position suivante : "Credit Suisse  respecte scrupuleusement toutes les directives suisses et leurs applications concernant aussi bien la lutte contre le blanchiment d'argent que les relations avec les personnes politiquement exposées, des directives qui figurent au nombre des plus strictes au monde. Dans ce même cadre et selon les mêmes principes, la banque coopère par ailleurs avec les autorités pour répondre à toutes les éventuelles questions."

Aujourd’hui, tous les éléments semblent réunis pour l'ouverture d'une enquête au sujet du comportement des banques qui ont (eu) Timur Kulibayev parmi leurs clients. Histoire de vérifier si ces banques ont bien rempli leurs obligations en ouvrant des comptes au gendre du président kazakh…

Ron Hochuli/Agathe Duparc/tyf


La Suisse, un modèle?

Pour les uns, la Suisse est un exemple à suivre au niveau international, grâce notamment à un arsenal légal très complet dans le domaine du blanchiment.

Directeur de l’Association suisse des banquiers, Claude-Alain Margelisch, qui n’a pas voulu se prononcer sur l’affaire Kulibayev, est formel : « La Suisse a tiré les leçons du passé, c’est absolument incontestable. Je crois que il faut être très clair sur ce sujet: vu la législation que nous avons en Suisse, les PEP et les potentats n’ouvrent plus de relations avec des banques suisses pour commettre des actes de corruption ou des actes de blanchiment, car la Suisse a des normes très sévères en la matière. »

Pour d’autres, la Suisse a certes renforcé son dispositif légal, mais encore faut-il que les lois soient appliquées dans la pratique. Interrogé sur la question de savoir si la FINMA dispose des moyens nécessaires et affiche une volonté suffisante de faire appliquer ses directives, Daniel Thelesklaf, directeur du Centre international pour la gouvernance bancaire, à Bâle, se montre sceptique.

Il critique également la communication des autorités : « Il faut cesser de crier haut et fort qu’il n’y a plus de cas douteux chez nous. Nous sommes parmi les plus grandes places financières au monde, il est donc logique que parmi la masse de clients, il y ait des cas limite. Ce n’est pas tragique, à condition de le reconnaître. Il est grand temps que l’on prenne à nouveau la problématique du blanchiment et des fonds de potentats plus au sérieux . »

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Ce que dit la loi

Face à des fonds de provenance incertaine, les banques ont d’une part une responsabilité pénale, inscrite dans le code pénal (Art. 305 ter), intitulé : « Défaut de vigilance en matière d’opérations financières et droit de communication ».

Cet article stipule que toute personne acceptant des biens en dépôt ou participant à une transaction doit être vigilante sur l'origine de ces biens. Dans le cas contraire, elle est passible d'un an de prison.
D'autre part, il libère les institutions du secret auquel elles sont tenues en ce qui concerne les fonds de leur client.

En outre, les obligations des banques sont mentionnées dans la loi sur le blanchiment (http://www.admin.ch/ch/f/rs/9/955.0.fr.pdf) et dans les directives de la FINMA (http://www.finma.ch/f/regulierung/gesetze/Pages/default.aspx).