Les mouvements de contestation en Iran avaient servi de détonateur en 2009. En 2011, le pouvoir égyptien cherche à désamorcer la bombe que constituent les réseaux sociaux lors de grands élans d'opposition en coupant les accès à Internet.
En vain. Afin de contourner cette censure mise en place par le régime égyptien, Google et le site de microblogs Twitter se sont rapidement associés pour mettre en place un service via téléphone permettant aux Egyptiens de continuer à témoigner des événements sur place. Plus sobrement, Facebook a rapidement publié un communiqué affirmant que "personne ne devrait être privé d'accès à internet".
Un engagement rare
Ces initiatives sont spectaculaires. Google ou Facebook prennent rarement, de manière si frontale, le contre-pied d'une décision d'un pouvoir en place. Benjamin Hermalin, professeur de finances à l'école de commerce Haas à Berkeley, interrogé par Associated Press, pense qu'"il est très surprenant que des sociétés misent sur un camp plutôt que l'autre".
Selon des spécialistes, Google, Facebook et Twitter se sont trouvés presque contraintes d'agir, vu la pression des utilisateurs et les attentes qui reposaient sur elle. Sur Facebook, les opposants se comptent par dizaine de milliers: les groupes consacrés aux événements en témoignent, tout comme celui pour la libération de l'activiste Wael Ghonim et la page de ses supporters.
Sur Twitter, qui s'était déjà fait un nom en la matière lors du mouvement contre Ahmadinejad lors des élections iraniennes de 2009 (lire l'article du New York Times), les blogueurs, qu'ils s'appellent Wael Abbas, Wael Ghonim, ou qu'il se surnomme SultanAlQassemi, participent au mouvement contre Hosni Moubarak et relatent les faits en temps réel, un effort d'information auquel se sont joints des journalistes étrangers:
Un risque calculé
Pour Myret Zaki, rédactrice en chef adjointe de Bilan, d'origine égyptienne, le risque pris par ces sociétés devrait être payant: "A long terme, le marché qui s'ouvre est énorme. Les réseaux sociaux sont en avance sur les médias traditionnels et renforcent leur présence." Effectivement, même si les grosses machines comme Al-jazira, CNN ou Le Monde proposent tous leur suivi en direct des événements, outre les microblogs qui proposent les infos les plus inédites, les dernières images en provenance d'Egypte sont accessibles avec le canal Youtube sur l'Egypte ou encore le site de vidéo en direct bambuser.com. C'est par ses canaux que les Eyptiens ont découvert des images de manifestants abattus par la police.
images de manifestants abattus par la police
Les risques encourus sont, en revanche, moindres, vu le peu d'actifs que Google ou Twitter possèdent sur place. Les mesures de rétorsion que le pouvoir égyptien pourrait prendre contre l'entreprise sont restreintes, "le potentiel de dégâts est limités, contrairement à ce qu'il pourrait en être pour Nestlé, qui a du personnel et des biens sur place", selon Myret Zaki.
Google embarassé par son héros?
Paradoxalement, le cas de Wael Ghonim, cadre de Google, blogueur égyptien anti-Moubarak arrêté, emprisonné puis libéré démontre que les géants du Net avance timidement sur le terrain miné de l'engagement politique.
À sa sortie de prison, l'un des premiers messages de cet employé marketing devenu symbole de la révolution sur son fil Twitter a été de remercier son employeur et dire "J'ai de la chance" de travailler pour cette entreprise. De son côté, celle-ci a sobrement fait part de "son soulagement" suite à sa libération. L'opération a sans doute profité à l'image de Google: "En se positionnant du côté des manifestants, elle a marqué des points", dit Myret Zaki.
Toutefois, Google rechigne à revêtir le costume de sponsor de la révolution. Selon des experts contactés par l'agence Associated Press, la société pourrait même être embarrassée par le rôle qui lui est dévolu via Wael Ghonim. Face aux questions, elle s'empresse de dire que l'engagement de Ghonim est une initiative privée.
Quelles mesures la société Google a-t-elle prises pour le faire libérer? Que savait-elle des activités militantes de son employé (ces prises de position sur Facebook et Twitter étaient très suivies)? De manière générale, pourquoi Google a-t-il si rapidement et résolument mis en place un service pour contourner la censure? Sur toutes ces questions, le géant du Net garde le silence. Quant aux experts, ils sont unanimes: se mettre trop en avant dans la fronde contre un pouvoir en place comme celui de Moubarak, cela comporterait trop de risques, pour n'importe quelle société.
Tybalt Félix