Martin* vit depuis 44 ans dans un petit 4 pièces et demi genevois (cuisine comprise). Cet octogénaire, grand sportif, comptait bien y vivre encore de nombreuses années. Mais en automne 2009, un coup de téléphone va faire basculer l’avenir du Genevois et de son épouse. "Votre appartement a été vendu", leur dit-on. Une lettre reçue dix jours plus tard confirme la nouvelle. Néanmoins la régie se montre rassurante. "Ne vous inquiétez pas. Ce ne sont que des investisseurs", leur promet-on. Ils espèrent alors pouvoir rester dans l'immeuble.
C’est donc sans méfiance que le couple fait visiter son appartement aux investisseurs. "Je leur ai servi le café et les ai reçus cordialement", se souvient avec rancoeur le locataire. Tombe ensuite la mauvaise nouvelle: le couple est sommé de partir.
Mauvais choix
Accompagnés d’un avocat, les époux passent devant la chambre de conciliation. "Nous avons obtenu un délai de quatre ans supplémentaire. L’avocat nous a dit de signer car, selon lui, c’était le maximum à espérer", explique Martin, en précisant qu’il n’avait pas compris que cette signature aurait une valeur juridique et qu’il ne pourrait plus demander davantage...
"En acceptant la prolongation du bail, le couple en a accepté la résiliation. S’ils restent au-delà des quatre ans, les époux deviendront des squatteurs et seront évacués", commente Christian Dandrès, avocat de l’association des locataires Asloca. Selon lui, ils n’auraient rien dû accepter en conciliation. Le juge du tribunal des baux aurait alors pu se prononcer en leur faveur.
Une résiliation peut être annulée si elle contrevient aux règles de la bonne foi. Et, depuis une nouvelle norme juridique entrée en vigueur cet été, si l’intérêt du propriétaire est disproportionné par rapport à celui du locataire. Dans le cas de Martin et de sa femme, l’intérêt des retraités est considérable, mais celui du propriétaire n’est pas moindre, car il assure vouloir remettre l’appartement à l’un de ses enfants. "Officiellement, c’est toujours pour loger quelqu’un de la famille", déplore l’homme de loi. "Car s’il y a un changement de programme, le propriétaire n’est pas puni".
Aucune solution à l’horizon
Pour le spécialiste, il n’y a aucune solution de secours pour les époux, à moins que le propriétaire ne change d’avis. Les chances sont faibles, d’autant que le couple s’est vu refuser plusieurs des propositions faites au propriétaire, comme d'accepter un doublement du loyer.
Ce genre de situation est amené à se reproduire. "Avec la pénurie de logement et la spéculation, de plus en plus de personnes achètent des appartements où vivent des personnes âgées", indique Christian Dandrès. Car le prix d’un logement est basé sur son loyer et, généralement, le loyer des personnes âgées est bas.
Un traumatisme mal accompagné
Martin et son épouse ne sont pas seuls à vivre une situation difficile. Une femme a fait un arrêt cardiaque en pleine séance de conciliation il y a deux semaines à Genève. Quitter l'appartement familial signifie le plus souvent aller en EMS et, donc, considérer que l'on est arrivé en fin de vie, explique l’avocat.
"Il n’existe pas de politique pour aider les personnes âgées qui font face à ce genre de situation", estime Carlo Sommaruga, secrétaire général de l’Asloca. Les biens et les mesures auxquels peuvent recourir ces expulsés ne les concernent pas exclusivement. Des logements d’urgence sont mis en place, mais ils sont très peu nombreux. Financièrement, il est possible d’être soutenu par le Service des prestations complémentaires de l’AVS et de l’AI, par des allocations logement ou par des aides communales ponctuelles (pour un déménagement, par exemple), mais il faut avoir un petit revenu. Quant à un éventuel soutien psychologique ou à une mise en réseau pour une colocation, il faut regarder du côté d’institutions privées, comme Pro Senectute ou Avivo.
L’épée de Damoclès qui menace la vie du couple va faire toujours plus de victimes. Pourtant "tant au niveau de la politique du logement qu’au niveau de la politique des aînés, il n’y a pas grand chose qui se passe à Genève", soupire Christian Dandrès.
Caroline Briner
Dossier réalisé dans le cadre du Centre romand de formation des journalistes (CRFJ) avec Grégoire Oggier (Rhône FM), Nadja Hofmann (journaliste libre), Mathieu Schaffner (RFJ), Audrey Breguet (P.Décaillet Prod.) et Joris Repond (Radio Fribourg)
* nom connu de la rédaction
La crise immobilière en Suisse romande
Le taux de logements vacants au niveau national se situe aux environs de 1% depuis 2005. Portrait par canton romand.
GENEVE : La crise immobilière que traverse le canton s’explique par deux facteurs : une immigration massive et des constructions minimes. En 2010, 6300 personnes ont rejoint le canton. Des Suisses, mais aussi des étrangers, les grandes entreprises internationales important leurs employés. Selon l'Office fédéral de la statistique, le taux d’appartements vacants à Genève mi-2010 se montait à 0,23%. Seuls 1200 logements ont vu le jour en 2009 à Genève contre les 2500 requis. Cette pénurie favorise la spéculation. Un 4 pièces et demi (cuisine comprise) inférieur à 2500 francs est devenu une denrée rare.
VAUD: les loyers sont moins élevés que dans le canton de Genève, mais ils sont néanmoins très hauts. Le véritable problème est le bas taux de logements vacants, qui est de 0,46% pour le canton.
VALAIS: la taux de logements vacants est au-dessus de la moyenne nationale, à 1,15%. Face à une soudaine hausse de la demande, la ville de Martigny a construit plus de bâtiments qu'habituellement dès 2006. Elle possède en outre une surface de 30’000 mètres carrés de terrain en cas de surprise. A Sion, la situation étant plus inquiétante, les autorités ont élaboré programme pour stopper la pénurie de logements.
NEUCHATEL : le bas du canton commence à être touché par une pénurie d’appartements depuis une dizaine d’années en raison de la hausse du nombre d’habitants, mais surtout par le manque de zones à bâtir. A La Chaux-de-Fonds, les surfaces à bâtir sont encore nombreuses, mais les logements vacants aussi. Ainsi, les loyers du haut du canton sont nettement inférieurs à ceux du bas. Le taux du canton se monte à 1,30%.
FRIBOURG : avec un taux de logements vacants se montant à 1,45%, la cité universitaire ne connaît pas de problème immobilier particulier. Le seul moment où les régies sont contraintes de refuser du monde est en septembre, lors de la rentrée universitaire, quand bien même les étudiants optent en général pour la colocation. Si les communes de l’agglomération fribourgeoise sont aussi épargnées par une offre trop basse, il n’en est pas de même dans certains villages, qui frisent le taux à zéro. Le taux du canton se monte à 0,92%.
JURA : le taux de logements vacants atteignait mi-2010 à 2,1% pour l’ensemble du canton. Il est de 2,6% dans la microrégion de Delémont. La capitale jurassienne a vu sa population augmenter de 2,5% ces cinq dernières années, tout en bénéficiant de la construction de logements.