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Le triste bilan de 30 ans de sida

Le "ruban rouge" est devenu depuis 20 ans le symbole associé à la lutte contre la maladie. [Elizabeth Dalziel]
Le "ruban rouge" est devenu depuis 20 ans le symbole associé à la lutte contre la maladie. - [Elizabeth Dalziel]
Le 5 juin 1981, une nouvelle et inquiétante maladie touchant surtout les jeunes homosexuels était identifiée aux Etats-Unis. Trente ans plus tard, plus de 30 millions de personnes sont mortes du sida dans le monde, surtout en Afrique, et aucun vaccin n'a jamais pu être mis en place.

"Le nombre de personnes qui s'infectent et meurent diminue, mais les ressources internationales nécessaires pour soutenir ce progrès ont décliné pour la première fois en dix ans, en dépit des besoins immenses non satisfaits", juge le secrétaire général des Nations Unies Ban Ki-moon en préface d'un rapport d'ONUSIDA rendu public à l'occasion des 30 ans de l'apparition de la maladie.

Selon cet état des lieux publié vendredi,  il reste un long chemin à faire pour prévenir les nouvelles infections par le VIH, mettre fin aux discriminations et augmenter l'accès au traitement et aux soins. Mais après une mobilisation importante, surtout dans les années 90, les moyens commencent à manquer pour aider les 34 millions de personnes vivant avec la maladie dans le monde. Le président américain Barack Obama a dans la foulée appelé à une remobilisation mondiale.

Le "cancer gay"

Earvin Magic Johnson, vedette du basket américain, avait annoncé sa séropositivité juste avant le triomphe de la Dream Team aux JO de Barcelone en 1992. [© Eric Gaillard / Reuters]
Earvin Magic Johnson, vedette du basket américain, avait annoncé sa séropositivité juste avant le triomphe de la Dream Team aux JO de Barcelone en 1992. [© Eric Gaillard / Reuters]

C'est donc le 5 juin 1981 que le Centre de contrôle des maladies d'Atlanta avait fait état, chez cinq jeunes homosexuels de Californie auparavant en bonne santé, d'une pneumonie rare qui ne frappait jusqu'alors que des sujets fortement immunodéprimés.

Un mois plus tard, ce que l'on appelé un temps le "cancer gay" était diagnostiqué chez 26 homosexuels américains et toute une communauté a été pointée du doigt durant de longues années. Et encore aujourd'hui, l'épidémie majeure du XXe siècle demeure une maladie honteuse, qui n'incite ni à en parler ni à se faire dépister.

C'est deux ans plus tard que l'on commence réellement à évoquer le sida en Europe, et notamment en Suisse, où les premiers cas sont annoncés en 1983. Une équipe française a ensuite pu isoler le virus, transmis par le sang, les sécrétions vaginales, le sperme et le lait maternel, qui attaque le système immunitaire et l'expose à toutes sortes d'infections.

"Jo" et les campagnes de prévention

La bande dessinée "Jo", imaginée par Derib, a marqué toute une génération d'écoliers. [Fondation Derib - Fondation Derib]
La bande dessinée "Jo", imaginée par Derib, a marqué toute une génération d'écoliers. [Fondation Derib - Fondation Derib]

Le Syndrome de l'immunodéficience acquise a rapidement concerné une sphère de population nettement plus large que les gays. Et des millions de personnes dans tous les pays ont été mis à l'écart par peur de la contamination. Durant un temps, on a craint les poignées de main, la salive et les contacts rapprochés. Sans parler du sexe, qui est presque devenu un tabou.

Il a fallu une mobilisation énorme à la fin des années 80 et au début des années 90 pour qu'on accepte réellement de parler du sida et qu'on cesse de voir les malades comme des pestiférés. Les campagnes de prévention, la généralisation du préservatif et les informations systématiques dans les écoles, avec des initiatives réussies comme la distribution en Suisse romande de la bande dessinée "Jo", de Derib, ont contribué à mieux cerner la maladie.

Malgré tout, les deux tiers des séropositifs ignorent qu'ils sont malades, selon Onusida, et ils continuent donc à propager la maladie. De nouvelles stratégies de lutte voient toutefois le jour depuis quelques années: la circoncision, les gels microbicides et la mise sous traitement des malades, qui réduit le risque de contamination sexuelle bien qu'il soit toujours présent. Et les patients supportent de mieux en mieux les thérapies, même s'ils doivent prendre des médicaments à vie. Mais aucun vaccin n'est à l'ordre du jour actuellement.

L'Afrique sub-saharienne durement touchée

L'Afrique sub-saharienne concentre 67% des personnes vivants avec le sida dans le monde. [KEYSTONE]
L'Afrique sub-saharienne concentre 67% des personnes vivants avec le sida dans le monde. [KEYSTONE]

Le rapport d'Onusida dresse également un tableau des hauts et des bas de la lutte anti-sida, en soulignant la spectaculaire augmentation de l'accès aux traitements dans les pays pauvres, grâce à la solidarité internationale. Fin 2010, 6,6 millions de personnes étaient ainsi traitées dans les pays à revenus plus faibles, soit 22 fois plus qu'en 2001. Mais l'objectif d'accès universel fixé pour 2010 est loin d'avoir été atteint. A cette date, neuf millions de séropositifs étaient encore en attente de traitement.

L'Afrique sub-saharienne demeure la région la plus touchée avec 22,5 millions de personnes infectées, soit 67% de l'ensemble de malades du VIH dans le monde et 5% de la population africaine. A titre comparatif, l'Europe centrale et de l'Ouest compte 820'000 malades, l'Amérique du Nord 1,4 million et l'Asie du Sud-Est 4,1 millions.

Le rapport pointe également les progrès à faire, par exemple, pour traiter les enfants dont seulement 420'000 à 460'000 étaient soignés fin 2010. En 2009, moins d'un tiers des enfants atteints par le virus bénéficiaient d'un traitement. Et depuis 1981, 16,6 millions de jeunes de moins de 18 ans sont devenus orphelins.

Frédéric Boillat


ET EN SUISSE?

En Suisse, après une forte mobilisation dans les années 90, on assiste à un relâchement dans la protection depuis quelques temps.
En Suisse, après une forte mobilisation dans les années 90, on assiste à un relâchement dans la protection depuis quelques temps.

Après avoir connu un pic dans les années 1990, le nombre de cas de sida a fortement reculé en Suisse. Et "on ne meurt plus que très rarement du sida en Suisse", car on peut prévenir son apparition par le traitement, explique le professeur Bernard Hirschel, chef de l'Unité VIH/Sida aux Hôpitaux universitaire de Genève.

"Par contre, l'infection par le VIH est toujours fréquente et je ne vois pas de perspective d'éradication en Suisse", relativise-t-il. Le sida a tué 24 personnes en Suisse l'an passé, selon des chiffres encore provisoires de l'Office fédéral de la santé publique. En 1994, l'année la plus meurtrière, l'OFSP avait recensé 730 décès.

Mais ces chiffres sont à prendre avec des pincettes, explique Jean-Louis Zurcher, porte-parole de l'OFSP, car toutes les personnes qui ont le VIH (virus de l'immunodéficience humaine) ne meurent pas du sida. Et des décès déclarés "sans cause connue" peuvent en réalité être dus au sida.

Un actuel relâchement

En 30 ans, le plus grand succès, c'est le succès thérapeutique, renchérit Roger Staub, responsable de la section Prévention et Promotion à l'OFSP. "Mais c'est un succès médical qui a son prix". Le traitement coûte 25'000 francs par personne et par année. Aujourd'hui, sur les 20'000 séropositifs que compte la Suisse, 10'000 sont traités, ce qui correspond à un coût de 25 millions de francs au total.

Dans les années 90, le nombre de personnes nouvellement infectées s'était stabilisé grâce à la prévention, ajoute Roger Staub. Ce succès a conduit à un certain relâchement. Depuis 2001, 600 à 800 nouveaux cas sont détectés chaque année, ajoute-t-il. Si la tendance se poursuit, il y en aura 10'000 de plus dans dix ans, s'alarme-t-il. La croissance du nombre de personnes infectées "augmente le risque de rencontrer une personne séropositive".

Actuellement, moins de 0,1% de la population suisse est contaminée par le virus, selon l'OFSP. Mais certains groupes sont nettement plus touchés, comme les hommes homosexuels (10%) ou les migrants originaires de pays connaissant une épidémie généralisée (jusqu'à 30%).

ats/boi

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Petit lexique

Sida: Syndrome (ensemble de signes qui caractérisent une maladie) de l'Immunodéficience (les défenses de l'organisme sont affaiblies) Acquise (rencontrée au cours de la vie). C'est le stade auquel l'infection causée par le VIH s'accompagne d'un ensemble de manifestations pathologiques dues à un déficit immunitaire profond.

Aids: le nom anglais du sida (Acquired Immuno-Deficiency Syndrome)

VIH: le virus responsable du sida s'appelle le Virus de l'Immunodéficience Humaine (HIV en anglais).

Système immunitaire: ensemble des moyens dont dispose l'individu pour se défendre contre les agents extérieurs, principalement les virus, les bactéries, les champignons et les parasites.

Immunodéficience: diminution et parfois disparition des défenses immunitaires de l’organisme. L'infection au VIH aboutit à un état d’immunodéficience.

Séropositif: quelques semaines après la contamination par le VIH, on devient séropositif. L'infection par le VIH a la particularité de pouvoir rester invisible ou inapparente plusieurs années. Dès la contamination, les personnes séropositives peuvent transmettre le virus, mais ne présentent aucun signe apparent de la maladie.

Séronégatif: pas de virus VIH dans le corps.

Test de dépistage: recherche systématique chez une personne ou un groupe de personnes d’une affection latente. Le seul moyen de savoir si on est séropositif au VIH est de faire un test.

Trithérapie: traitement à l'aide de trois médicaments. Dans le cas du VIH, une trithérapie consistera à prescrire 3 antirétroviraux.

Antirétroviral: médicament antiviral agissant sur des virus d'un type particulier, dits à ARN ou rétrovirus, tels que le VIH.

MST: abréviation pour maladies sexuellement transmissibles, c'est-à-dire qui peuvent être contractées par les contacts sexuels. Le sida est une MST.