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"Une intervention militaire en Syrie pourrait entraîner des représailles contre Israël"

Didier Billion
Didier Billion
Didier Billion est directeur des publications de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) à Paris et rédacteur en chef de La revue internationale et stratégique. Pour ce spécialiste du Moyen-Orient, la frilosité de la communauté internationale sur le dossier syrien s'explique par la crainte d'embraser toute la région.

Pourquoi le Conseil de sécurité de l'ONU refuse-t-il d'envisager une intervention militaire en Syrie?

Si le Conseil de sécurité devait voter une résolution de sanction à l'encontre de la Syrie, il est certain que la Russie et la Chine y opposeraient leur veto. Ces deux pays s'opposent presque toujours aux résolutions portant sur les affaires intérieures d'un Etat. D'autre part, la Russie entretient des liens étroits avec la Syrie. Enfin, les Chinois et les Russes n'avaient pas opposé leur veto à la résolution 1973 contre la Libye, et se sont par la suite estimés floués : ils considèrent que les forces occidentales ont outrepassé le cadre de leur mandat en Libye et refusent que la situation ne se reproduise.

D'autant que l'enlisement en Libye a rendu les puissances occidentales frileuses.

Les puissances occidentales se heurtent en effet en Libye à des limites opérationnelles. Non seulement l'intervention ne donne pas les résultats escomptés, mais les armées commencent à marquer le pas, du point de vue budgétaire et militaire. Ajoutons que l'enlisement en Libye est essentiellement dû au fait que l'on a sous-estimé la base sociale de Khadafi ; or Bachar El-Assad dispose lui aussi d'une base sociale solide. Cela dit, on a entre la Syrie et la Libye deux poids, deux mesures : la répression à l'oeuvre en Syrie est encore plus dure qu'elle ne l'était en Libye.

Risquerait-on d'embraser la région en réprimant le régime El-Assad?

Effectivement, la Syrie est un pays "pivot" dans la région. Alliée à l'Iran, elle est à la fois contigue à Israël et en conflit avec l'Etat hébreu sur la question du plateau du Golan). Une intervention militaire risquerait d'entraîner des réactions à l'encontre d'Israël. La Syrie n'attaquerait pas directement Israël, mais pourrait commander à ses réseaux, notamment le Hamas palestinien ou le Hezbollah libanais, des opérations à son encontre. C'est pourquoi, malgré la violence de la répression, la communauté internationale a fait preuve de beaucoup de retenue, se contentant de condamnations et de sanctions essentiellement symboliques.

Pourquoi parle-t-on du rôle "stabilisateur" de la Syrie?

Jusqu'à présent, le régime était solide : il était le produit du génie politique de Hafez El-Assad, le père de Bachar. Ce dictateur, responsable de 25'000 morts à Hama en 1982, était doté d'une évaluation des rapports de force exceptionnelle et d'une grande intelligence politique. Par ailleurs, la Syrie est considérée dans le monde arabe comme le pays de référence, celui qui a toujours résisté à Israël. Sans elle, aucune paix réelle ne peut être instaurée. Disons que la Syrie est à la fois stabilisatrice et déstabilisatrice.

Quels sont les rapports de force au sein de l'opposition syrienne?

L'opposition est très hétérogène. Dans l'hypothèse -très improbable- où Bachar El-Assad quitte le pouvoir, difficile de dire qui pourrait le remplacer. Les différentes réunions de l'opposition organisées en Turquie ont montré un éclatement total : la seule chose qui met d'accord les rebelles est la volonté de changer les choses. Cette incapacité à s'imposer influence beaucoup la situation sur le terrain. Certains observateurs pensent que les Frères musulmans sont à la manoeuvre mais ce n'est pas certain. Ils sont, certes, les moins mal organisés ; ce qui ne signifie pas pour autant qu'ils soient assez organisés pour devenir des relais politiques.

Qui sont les soutiens de Bachar El-Assad à l'intérieur du pays?

La minorité alaouite (10% de la population), à laquelle appartient le chef de l'Etat, lui sera toujours fidèle. D'autre part, de nombreux chrétiens (10% de la population) sont redevables à El-Assad de leur garantir la liberté de culte. Ils craignent que les sunnites ne prennent le pouvoir et ne les obligent à partir, comme cela a été le cas en Irak. Au-delà de cette dimension confessionnelle, il existe en Syrie une bourgeoisie sunnite gâtée par le régime, qui vit bien grâce à la relative ouverture économique du pays instaurée par El-Assad. Enfin, toute une frange de la population, redoutant de voir se reproduire en Syrie la "catastrophe irakienne", préfère soutenir le régime en place.

Quel scénario entrevoyez-vous pour les prochaines semaines?

On est actuellement dans une situation de blocage. L'opposition ne peut pas faire plier le régime, mais celui-ci ne parvient pas non plus à broyer la rébellion. El-Assad n'est pas disposé à démissionner. Il a invité l'opposition à négocier mais a reçu une fin de non-recevoir. Toutes les tentatives de la Turquie pour organiser des pourparlers se sont soldées par des échecs. Je crains que la situation ne dure encore des jours, voire des semaines.

Propos recueillis par Pauline Turuban

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L'opposition syrienne victime de ses divisions

Sur le territoire syrien, l'opposition est extrêmement fragmentée. "Il existe une première fracture entre laïcs et islamistes, une deuxième fracture ethnique (notamment entre Kurdes et Arabes), une troisième fracture confessionnelle", explique Jordi Tejel, spécialiste de la Syrie à l'Institut des hautes études internationales de Genève (IHEI). L'opposition peine par ailleurs à se mettre d'accord sur les objectifs à atteindre : pour certains, le régime doit impérativement tomber ; d'autres se satisferaient de réformes bien négociées.

Au-delà de ces différences de vue, les opposants au régime El-Assad souffrent d'un éparpillement géographique. "Les foyers de contestation sont situés un peu partout dans le pays, à Hama, Homs, Deraa, souligne Jordi Tejel. Cela complique les contacts, et fait le jeu de la répression." D'autant que les plus grandes villes Alep et Damas, qui pourraient faire bouger les choses, ne sont pas entrées dans le mouvement. Sans élan national, sans unité politique ni leaders, on peut s'attendre à une stagnation de la situation.