Publié

Il y a dix ans, Swissair vivait son "grounding"

Le 2 octobre 2001, les avions de Swissair sont immobilisés sur le tarmac de l'aéroport de Zurich. [Andreas Meier]
Le 2 octobre 2001, les avions de Swissair sont immobilisés sur le tarmac de l'aéroport de Zurich. - [Andreas Meier]
Le 2 octobre 2001, la flotte de Swissair est immobilisée, marquant le dernier acte de la débâcle de la compagnie aérienne nationale, à court de liquidités. Si ce "grounding" représente alors un véritable traumatisme, le temps semble désormais avoir fait son oeuvre.

Depuis la paralysie du trafic aérien aux et vers les Etats-Unis consécutive aux attentats du 11-Septembre, les rumeurs de faillite de Swissair ne cessent d'enfler.

Un employé de Swissair déprime lors de l'assemblée générale du personnel en décembre 2001 à Genève. [KEYSTONE - LAURENT GILLIERON]
Un employé de Swissair déprime lors de l'assemblée générale du personnel en décembre 2001 à Genève. [KEYSTONE - LAURENT GILLIERON]

Le soir du 29 septembre, son patron depuis mars, Mario Corti, tire la sonnette d'alarme: au bord du gouffre, avec une dette dépassant les 15 milliards de francs, Swissair n'est pas en mesure de garantir les salaires d'octobre. A lire aussi: "Grounding" de Swissair

Alors que le week-end voit les réunions de crise se succéder, l'ex-conseiller national Ulrich Bremi (PRD/ZH), président du groupe de travail chargé de chercher des solutions en vue d'une recapitalisation, émet des doutes sur les chances d'un sauvetage.

Les besoins en liquidités se chiffrent entre 2 et 3 milliards de francs, selon Mario Corti. Le même jour, Credit Suisse et UBS entrent en scène et proposent l'octroi d'un crédit relais de près de 1 milliard de francs destiné aux seules activités aériennes.

Interview de Mario Corti sur l'avenir de Swissair Group et sa restructuration
Interview de Mario Corti sur l'avenir de Swissair Group et sa restructuration / 19h30 / 2 min. / le 24 septembre 2001

Une réunion entre les conseillers fédéraux Kaspar Villiger et Moritz Leuenberger, les milieux économiques ainsi que les directions de Swissair, Crossair et des deux grandes banques, s'achève le dimanche soir sans résultat apparent.

Nouvelle Crossair

Le lendemain, le lundi, le titre Swissair est suspendu de cotation à la Bourse suisse et le spectre de la faillite refait surface. Après la séance extraordinaire du Conseil fédéral, le couperet tombe finalement en soirée: Crossair, reprise à près de 70% par UBS et Credit Suisse, va poursuivre les activités de Swissair. Quelque 2500 emplois vont passer à la trappe.

Le conseil d'administration de Swissair, qui ne compte depuis le 16 mars plus que l'administrateur-délégué Mario Corti, accepte l'offre des banques. Le sursis concordataire est demandé pour SAirGroup, la holding chapeautant toutes les activités du groupe, SAirLines, l'unité regroupant les participations dans les compagnies aériennes, et Flightlease, l'entreprise de crédit-bail d'aéronefs.

Triste panneau des départs, le 2 octobre 2001 à Zurich-Kloten [KEYSTONE - FRANCO GRECO]
Triste panneau des départs, le 2 octobre 2001 à Zurich-Kloten [KEYSTONE - FRANCO GRECO]

Le mardi 2 octobre débute dans l'incertitude la plus complète quant à la situation de Swissair. La compagnie navigue à vue et doit négocier au jour le jour avec ses fournisseurs. La confiance semble rompue.

Deux appareils ne peuvent quitter Londres, Swissair n'ayant pas payé les droits d'atterrissage. Pour éviter une éventuelle saisie de ses appareils en Belgique, le groupe n'ayant pas honoré le versement de 200 millions à Sabena, dont il détient 49%, la compagnie supprime trois vols vers la Belgique.

Controverse

Si les long-courriers ont pu quitter le tarmac zurichois, les retards s'accumulent et le chaos s'installe à l'aéroport de Kloten. Vers midi, les passagers sont informés que Swissair n'obtient plus de kérosène et à 16h15, tous les vols sont suspendus pour une durée indéterminée. Swissair attend toujours un versement de sa banque principale.

Les avions stationnés à l'étranger sont rapatriés et plus aucune compagnie n'échange les billets Swissair. Mercredi, 400 vols sont annulés dans le monde et les 76 appareils de la compagnie restent au sol, laissant en rade plus de 38'000 passagers.

Mario Corti et Kaspar Villiger le 3 octobre 2001 alors qu'ils informent les médias que la Confédération va injecter 510 millions de francs dans Swissair pour garantir le maintien des vols jusqu'à la fin du mois. [KEYSTONE - ALESSANDRO DELLA VALLE]
Mario Corti et Kaspar Villiger le 3 octobre 2001 alors qu'ils informent les médias que la Confédération va injecter 510 millions de francs dans Swissair pour garantir le maintien des vols jusqu'à la fin du mois. [KEYSTONE - ALESSANDRO DELLA VALLE]

Ce versement suscitera d'ailleurs de vifs débats entre Mario Corti et les banques, principalement l'UBS. Et le procès pénal des 19 anciens responsables du groupe, dont son patron, ne permettra pas de faire la lumière sur cet épisode.

Un peu moins de six ans après le "grounding", le 7 juin 2007 devant le Tribunal de district de Bülach (ZH), le premier et finalement unique procès pénal des ex-dirigeants de la compagnie s'achèvera sur la relaxe des 19 inculpés.

Ce procès fleuve, dont le verdict ne satisfera personne à l'exception des accusés, aura néanmoins permis de faire le deuil de la compagnie au niveau du grand public.

Liquidation à achever

Désormais, dix ans après la disparition du groupe, la liquidation menée par l'avocat zurichois Karl Wüthrich suit son cours. Cette procédure, avec son chapelet d'actions en justice, dont celle au civil contre d'ex-dirigeants de la compagnie, constitue l'un des derniers éléments faisant encore apparaître le nom de Swissair dans la presse.


Des journées très particulières à Kloten

Avec l'immobilisation de la flotte de Swissair entre les 2 et 3 octobre et la suppression de 400 vols dans le monde, l'aéroport de Kloten a dû prendre en charge les passagers restés en rade. Des particuliers et une entreprise de la région ont fait au total don de 30'000 francs.

Cette somme a été utilisée pour le logement, la nourriture, les transports et les billets d'avion des voyageurs qui terminaient leurs vacances et se sont retrouvés désargentés.

Les avions Swissair toujours cloués au sol à Kloten au matin du 3 octobre 2001. [KEYSTONE - STEFFEN SCHMIDT]
Les avions Swissair toujours cloués au sol à Kloten au matin du 3 octobre 2001. [KEYSTONE - STEFFEN SCHMIDT]

Egalement sans le sou, Swissair n'a pu payer ni repas, ni nuitées. Alors que la facture totale s'est élevée à 35'300 francs, l'aéroport a avancé la différence.

Au final, la somme non couverte par les dons a été financée par un fonds de 55 millions de francs créé par UBS pour les cas de rigueur, dont plusieurs dizaines de milliers de francs pour les frais des passagers n'ayant pas pu s'envoler de Kloten.

L'aéroport zurichois a aussi dispensé de taxes d'atterrissage les compagnies ayant organisé des vols vers Zurich pour pallier la défection de Swissair. Crossair a pour sa part assuré les vols Swissair vers une vingtaine de destinations en Europe.

Face à la crise, le Conseil fédéral décide le 3 octobre de débloquer 450 millions de francs. Ce montant doit permettre à Crossair d'assurer les opérations de Swissair jusqu'au 28 octobre, avant l'envol de la nouvelle compagnie qui donnera naissance à Swiss six mois plus tard. Les vols reprennent progressivement le jeudi 4 octobre, cédant la place aux polémiques.

ats/pym

Publié

Chronique d'un atterrissage forcé

6 décembre 1992 La Suisse refuse l'entrée dans l'Espace économique européen (EEE). Le non bloque l'accord aérien bilatéral qui lie la Suisse à l'Union européenne (UE). Swissair ne peut plus avoir librement accès au marché européen.

Novembre 1993 Alcazar, le projet de rapprochement entre Swissair, Austrian Airlines (AUA), Scandinavian Airlines System (SAS) et la néerlandaise KLM, échoue.

Décembre 1994 Le conseil d'administration donne son feu vert au rachat de 49% de la compagnie belge Sabena.

Janvier 1997 Pour contourner les difficultés auxquelles SAirGroup est confronté en Europe, son nouveau patron Philippe Bruggisser se lance dans la fameuse "stratégie du chasseur", élaborée par le cabinet McKinsey et qui consiste à assurer l'expansion du groupe via des prises de participation dans des compagnies nationales et régionales.

1998-1999 Le groupe s'engage dans l'italienne Volare, les françaises Air Littoral, Air Europe, AOM, l'allemand LTU, South African Airways et la compagnie polonaise LOT. La plupart de ces compagnies sont boîteuses. Gate Gourmet, la filiale de SAirGroup active dans le catering reprend la société américaine Dobbs.

2 septembre 1998 Un MD-11 de Swissair s'écrase à Halifax près des côtes canadiennes, faisant 229 morts.

2000 SAirGroup augmente sa participation dans Sabena à 85%. Swissair prévoit un bénéfice de 200 millions de francs sur l'année 2000.

23 janvier 2001 Philippe Bruggisser est limogé avec effet immédiat. Le conseil d'administration abandonne la stratégie du chasseur.

15 mars 2001 Le chef des finances de Nestlé, Mario Corti, reprend la direction générale et la présidence du groupe.

2 avril 2001 Mario Corti annonce une perte historique de 2,9 milliards de francs pour SAirGroup sur l'année 2000. A elles seules, les participations à l'étranger ont coûté 3,7 milliards.

11 septembre 2001 Les attentats terroristes aux Etats-Unis interrompent temporairement les vols sur l'Atlantique Nord et causent des pertes énormes aux compagnies aériennes. Pour Swissair Group - le nom de SAirGroup ayant été entretemps abandonné - le manque à gagner atteint 65 millions de francs.

2 octobre 2001Les appareils de Swissair restent cloués au sol alors que la faillite se précise, la compagnie n'ayant plus les liquidités nécessaires pour payer son kérosène. Environ 400 vols sont annulés, plus de 38'000 passagers restent en rade, suite à ce "grounding".

3 octobre 2001 Le Conseil fédéral, les banques et les dirigeants de Swissair s'accordent sur un crédit de sauvetage de 450 millions de francs de la Confédération pour que Swissair puisse reprendre ses vols jusqu'au 28 octobre.

22 octobre 2001 Le Conseil fédéral donne son feu vert au lancement d'une nouvelle compagnie nationale, contrôlée à 20% par la Confédération, à 18% par les cantons et à 62% par l'économie privée.

7 novembre 2001 Sabena se déclare officiellement en faillite, entraînée dans la débâcle de Swissair.

16-17 novembre 2001 Les Chambres fédérales approuvent un soutien financier de 2,1 milliards de francs pour la poursuite des vols Swissair jusqu'à fin mars 2002 et la création d'une nouvelle compagnie, issue de Crossair, filiale de Swissair.

31 mars 2002 Swissair disparaît définitivement au terme de 71 années d'existence. La nouvelle compagnie Swiss s'envole le 1er avril.

2002-2005 Des surcapacités, la guerre en Irak et le prix élevé des carburants conduisent Swiss à réduire progressivement ses effectifs et sa flotte de près de moitié.

22 mars 2005 La compagnie allemande Lufthansa annonce qu'elle rachète Swiss pour un montant maximal de 310 millions d'euros.

7 juin 2007 Le tribunal de district de Bülach (ZH) blanchit les 19 dirigeants mis en cause dans la débâcle du défunt groupe aérien.

Mars 2008 Le prix final de rachat de Swiss par Lufthansa est dévoilé: il s'élève à 339 millions de francs, dont quelque 64 millions reviennent à la Confédération.

Philippe Bruggisser ou l'échec de la "stratégie du chasseur"

Philippe Bruggisser (voir ci-dessous son portrait en vidéo) est l'un des principaux artisans de la chute retentissante de Swissair. L'ex-patron de l'ancien fleuron national incarne surtout la fameuse "stratégie du chasseur" qui a conduit le groupe à sa perte.

L'Argovien accède à la présidence de la direction en 1997. Sous le nom de SAirGroup, il met en place un nouvelle structure pour chapeauter l'ensemble des activités du pôle aérien, dont Swissair n'est que l'une des filiales. Le groupe entame alors sous sa houlette une politique d'alliances stratégiques agressives, inspirée par les consultants du cabinet McKinsey et validée par le conseil d'administration en 1998.

La "stratégie du chasseur" vise à remédier à l'isolement du transporteur, après le refus des Suisses en 1992 de rejoindre l'Espace économique européen. Le groupe aérien en a toutefois posé les premiers jalons en prenant une participation en 1995 dans la belge Sabena. Il s'engagera ultérieurement dans diverses compagnies nationales et régionales (Volare, Air Littoral, AOM, Air Liberté, LOT, South African Airways, LTU). En mauvaise santé financière pour la plupart, ces compagnies doivent être assainies à coup de capitaux.

En 2000, Philippe Bruggisser reprend provisoirement la direction opérationnelle de Swissair après le départ de l'Américain Jeffrey Katz. Des voix discordantes commencent à s'élever contre la coûteuse politique de participations. Le 23 janvier 2001, le conseil d'administration annonce qu'il remodèle sa stratégie d'expansion et congédie avec effet immédiat son directeur général. Philippe Bruggisser recevra quand même une indemnité de départ de 2,2 millions de francs et 3,75 millions pour sa caisse de pension.

Mis en accusation par le parquet zurichois en mars 2006 avec 18 autres personnes, Philippe Bruggisser rejette les reproches qui lui sont faits (gestion déloyale et faux dans les titres). En juin 2007, le tribunal de district de Bülach (ZH) blanchit tous les inculpés et leur accorde 3 millions de francs de dédommagement. Philippe Bruggisser finira même par obtenir 162'000 francs, le double du montant prévu au départ.