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Chagaev: des contrats occultes à Neuchâtel Xamax

Les jours de Bulat Chagaev à la tête de Neuchâtel Xamax semblent comptés. [Peter Klaunzer]
Nouveau rebondissement dans les affaires qui secouent Neuchâtel Xamax. - [Peter Klaunzer]
Des joueurs et entraîneurs de Xamax ont été sous contrat non seulement avec le club, mais aussi avec une société offshore appartenant à Bulat Chagaev. Or, ces contrats, qui se chiffrent en centaines de milliers d’euros, sont proscrits par la Swiss Football League et peuvent tomber sous le coup de la loi.

Habituellement, les footballeurs sont sous contrat avec un club. A Neuchâtel, c’est plus compliqué… Depuis son arrivée, Bulat Chagaev a engagé des nouvelles recrues au nom du club, mais aussi via une société offshore. La TSR a pu lire des documents qui attestent de l’existence de ces contrats occultes. S’il s’avère que ceux-ci ont débouché sur des versements d’argent, cette pratique serait contraire aux règles de la Swiss Football League (SFL), qui envisage d’ouvrir une enquête.

Joueurs et entraîneurs concernés

Concrètement, dès juillet, Bulat Chagaev aurait engagé plusieurs recrues du club à travers "Jerole Alliance Limited", une société offshore d’abord basée à Limassol sur l'île de Chypre et désormais installée à Road Town, capitale des Iles Vierges Britanniques. Un paradis fiscal qui ne publie pas la moindre information sur les détenteurs de comptes ou de sociétés "boîte-aux-lettres". "Délocaliser" les contrats permet de réaliser de substantielles économies en termes de cotisations sociales en Suisse.

Le 29 juillet 2011, l’entraîneur espagnol Joaquim Caparros, de même que six membres de son staff, ont signé des contrats pour développer leur activité professionnelle durant la saison 2011-2012 au sein du Xamax. Des contrats résiliés le 2 septembre 2011 à Genève, après leur licenciement collectif décidé par Bulat Chagaev. Ces contrats ont-ils été conclus en plus des contrats de travail usuels liant les techniciens espagnols à Xamax? Contacté, Joaquim Caparros s'est contenté de déclarer: "Il n’y a pas eu d’honoraires versés. L’accord de départ concernait les frais engendrés par notre séjour d'un mois en Suisse, par exemple des notes d’hôtel. Pour nous, l’histoire liée à Chagaev et à Neuchâtel est close".

Les règles de la Swiss Football League sont claires

Selon des sources judiciaires, c'est en perquisitionnant le 7 novembre dernier les locaux genevois des sociétés de Bulat Chagaev que les enquêteurs sont tombés sur des pièces qui attestent d’arrangements entre cette société offshore et des joueurs et entraîneurs recrutés depuis l’été. Ces contrats se chiffrent en centaines de milliers d’euros payables par tranches jusqu'en 2012 et comportent des primes à la signature à hauteur de dizaines de milliers d’euros. Contacté par la TSR, le procureur Yves Bertossa, en charge de la procédure pénale contre Bulat Chagaev, refuse de s’exprimer avant d'avoir entendu l’homme d’affaires le 24 novembre prochain.

Dans le cas des joueurs, honorer de tels contrats est contraire au règlement de la Swiss Football League. Pour qualifier un footballeur, la SFL exige la signature d’un contrat où joueur et employeur "reconnaissent expressément ne pas avoir d’autres accords que ceux résultant des documents déposés auprès de la SFL" (article 37, 4). Contacté par la TSR, Edmond Isoz, le directeur de la SFL, indique que "si ces éléments de preuve existent, nous ouvrirons une enquête contre Neuchâtel Xamax et les joueurs concernés". Pour mémoire, la SFL a déjà dénoncé à trois reprises le club de la Maladière, en particulier pour ne pas avoir fourni des attestations du paiement des charges sociales.

Ces sommes ont-elles été payées?

Pour l’avocat vaudois Jean-Philippe Rochat, expert du droit du sport et ex-secrétaire général du Tribunal Arbitral du Sport, "si ces arrangements existent, cela me choque. Mais cela ne me surprend malheureusement pas, tant il est vrai que, malgré tous les gardes-fous mis en place par la SFL, il y a toujours moyen d’essayer de les contourner". Dans ce cas, "il est évident que le propriétaire et les organes du club s'exposent à des sanctions pénales. Car ils auraient négligé de payer des charges sociales".

Ces contrats ont-ils occasionné des versements financiers de la part du Tchétchène, un homme dont l’étendue de la fortune a été régulièrement remise en cause ces dernières semaines? Des primes à la signature de ces contrats ont-elles été accordées à des joueurs? Si il y a effectivement eu transactions, alors la justice élargira son instruction pénale et d’autres pays, notamment l'Espagne, pourraient s'intéresser à cette nouvelle affaire. Contacté par la TSR, Jacques Barillon, l’avocat de Bulat Chagaev, n’a pas souhaité s’exprimer.

Yves Steiner (avec David Marín)

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L'attestation bancaire est bien un faux

L'attestation bancaire que Bulat Chagaev a fournie pour prouver sa fortune est un faux. Le Ministère public neuchâtelois l'a confirmé, selon de nombreux médias romands qui ont obtenu le communiqué du procureur général Pierre Aubert.

Ce document, soi-disant envoyé par la Bank of America en date du 14 septembre, stipule que l'homme d'affaires tchétchène possède 35 millions de dollars sur l'un de ses comptes.

La banque en question "ne reconnaît pas ce document comme émanant de son sein et conteste qu'il ait été établi par elle-même ou par une personne autorisée à la signer en son nom", souligne le communiqué.

La Bank of America a par ailleurs confirmé que "la date et l'adresse ne respectent pas les formes usuelles aux Etats-Unis et que la langue dans laquelle (le document) est rédigé est très approximative", comme l'avaient révélé la TSR.

Il n'existe par ailleurs pas d'employé du nom du signataire supposé, conclut le communiqué.

Le procureur général Pierre Aubert a pu compter sur l'aide de la Bank of America, qui a fait savoir par l'intermédiaire de son avocat qu'elle "était prête à collaborer sans qu'il soit nécessaire de passer par la voie d'une commission rogatoire internationale."

Seule une copie du titre lui ainsi a été transmise. L'attestation avait été envoyée à la SFL et à la justice neuchâteloise pour prouver la solvabilité de Bulat Chagaev. Ledit document n'était cependant pas entré en ligne de compte pour le juge Bastien Sandoz, qui avait refusé de mettre le club en faillite.

Pour mémoire, une deuxième attestation utilisée par Bulat Chagaev et émanant soi-disant de la même banque pose problème: elle est également écrite dans un anglais des plus approximatifs et a été signée par un certain Thomas Milller (trois "l" au lieu de deux). (si)