Reportages au sein de la communauté arménienne et de sa diaspora à l'heure des commémorations, marquées par des questions de reconnaissance et de réconciliation. (Photo de une: Antoine Agoudjian)
Plus de 1,2 million de victimes, un génocide?
Les massacres
En 1915, les Jeunes-Turcs, à la tête de l'Empire ottoman, entreprennent de "nettoyer" ethniquement leur population. En pleine guerre, les Arméniens sont considérés comme des agents étrangers. Les purges, qui durent jusqu'en 1916, font plus de 1,2 millions de victimes sans compter les déportations, d'après certaines estimations.
A la fin de la guerre, la population arménienne s'est réduite à 200'000 personnes. La République turque, née en 1923, ne reconnaît pas de génocide arménien. Même si la question empoisonne sa vie politique et gêne ses relations internationales.
Ce que dit le droit
«Dans la présente Convention, le génocide s'entend de l'un quelconque des actes ci-après commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :
-Meurtre de membres du groupe
- Atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe
- Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle
- Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe
- Transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe.»
Article 2 de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, inspiré notamment du travail de Raphael Lemkin, inventeur du concept.
La Turquie face aux faits
A Istanbul, on refuse catégoriquement de parler de génocide. Outre la révolution des mentalités que cela impliquerait, les coûts en dédommagements pourraient être énormes.
Pourtant, cette question empoisonne les relations diplomatiques de la Turquie. La position des autorités est d'autant plus difficile à tenir que de plus en plus de pays reconnaissent le génocide arménien. Plus d'une vingtaine ont franchi le pas.
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Aux racines arméniennes
En Turquie même, la problématique alimente les divisions.
Contrairement au gouvernement national turc, les autorités municipales de la grande ville kurde de Diyarbakir ont reconnu le génocide arménien. Un pas courageux pour un peuple qui avait souvent été l’exécutant des massacres il y a un siècle.
En tant que Kurde, je demande pardon aux Arméniens pour le passé.
Ici, on souhaiterait franchir le cap de la réconciliation, à l'image du maire-adjoint qui n'hésite pas à demander pardon au peuple arménien.
A Diyarbakir, la grande ville du sud-est anatolien, un tiers des habitants étaient arméniens avant le génocide de 1915. Aujourd'hui on les compte sur les doigts d'une seule main.
"Je ne sais absolument pas ce qu'est devenue ma famille à l'époque", explique avec émotion Melike Günal, une jeune femme d'origine arménienne qui travaille comme guide pour les quelques touristes venus visiter la ville.
Elle-même avait très tôt compris que sa famille musulmane avait des racines arméniennes: des survivants du génocide qui ont pu échapper aux terribles marches de la mort dans le désert et aux exécutions massives. Il y a quinze ans, elle décide de franchir le pas et se convertit à la foi chrétienne tout en revendiquant une double identité kurde et arménienne.
Elle nous emmène d'abord sur les remparts qui dominent l'ancienne forteresse château: "C'était une des prisons, là où de nombreux Arméniens ont été exécutés en 1915. Peut-être que certains de mes ancêtres étaient parmi eux".
Dans ce pèlerinage des lieux de mémoire du génocide arménien, nous allons ensuite sur le Pont aux Dix Arches, un peu à l'écart de la ville. Le Tigre est majestueux. A cet endroit, des centaines de notables arméniens qui avaient été embarqués sur des radeaux ont été noyés ou égorgés. Melike jette une fleur avec émotion dans les eaux tourbillonnantes .
Ensuite elle nous fait faire connaissance de celui qu'elle appelle "le dernier des Mohicans ou le dernier Arménien de Diyarbakir. Sarkis Eken est un vieux Monsieur digne de 85 ans hébergé dans la paroisse syriaque de la ville. Il est donc né 15 ans après le génocide. Sa famille a pu en réchapper en se réfugiant dans des villages de musulmans chiites alévis qui les ont cachés.
"Que Dieu ne laisse pas impunis ceux qui nous ont anéantis", nous dit-il amer. " S'ils ne nous avaient pas massacrés, la moitié de la Turquie serait arménienne… Ca fait 100 ans… un million et demi de morts!", ajoute-t-il.
Ouverture kurde
Le temps passant et les plaies du passé relativement cicatrisées, il a pu revenir en ville. Avec l'ouverture politique de ces dernières années et l'accès à la tête des municipalités par des Kurdes, un nouveau vent a soufflé sur le souvenir de la tragédie arménienne.
Les autorités locales reconnaissent le génocide ainsi que la responsabilité des Kurdes qui bien souvent ont été les exécutants des massacres. Les Kurdes ayant eux-même souffert de la politique nationaliste turque, ils ont ressenti dans leur chair la souffrance arménienne.
Shehmur Diken est un écrivain kurde passionné par l'histoire de sa ville au passé multiculturel. Il est confiant quant à l'avenir. "La société civile avance toujours plus vite que les autorités nationales, dit-il. La reconnaissante du passé viendra aussi".
Aujourd’hui, la municipalité de Diyarbakir veut impliquer au maximum la culture arménienne dans ses activités.
Antoine Agoudjian est un photographe français d'origine arménienne. Son travail, marqué notamment par la tragédie arménienne, est exposé en cette période de commémoration.
Une diaspora avide de reconnaissance
L'histoire mouvementée, et parfois tragique, du peuple arménien, a généré une importante diaspora.
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Cette diaspora reste largement attachée à ses racines. De partout, elle réclame une reconnaissance des faits survenu il y a un siècle. Au Liban réside l'une des plus grandes communautés d'immigrés arméniens. On y entretient le souvenir des massacres de 1915:
La Suisse est concernée à plus d'un titre par la question du génocide. Si elle condamne sa négation, les autorités marchent sur des oeufs quand il s'agit de l'évoquer officiellement.
Ses liens avec la Turquie pourraient en souffrir. Des liens qui remontent à très loin: comme le raconte un article de Hans-Lukas Kieser, de l'Université de Fribourg, la diaspora turque en Suisse a joué un rôle important dans la naissance et la forme de la jeune république en 1923. C'est aussi depuis la Suisse que se sont exprimés certains nationalistes, lors de la chute de l'empire ottoman, parmi lesquels des idéologues du nettoyage ethnique.
C'est encore de Suisse qu'est venu le code civil turc.
Aujourd'hui, c'est au tour de la communauté arménienne de se mobiliser et de se rassembler pour commémorer les événements d'il y a un siècle.