Srebrenica, vingt ans après

Grand Format

AFP - Samir Yordamovic / Anadolu Agency

Introduction

Le 11 juillet 1995, plus de 8000 hommes et adolescents sont tués par les forces serbes dans l'enclave musulmane de Srebrenica, en Bosnie. Vingt ans après, la plaie reste ouverte parmi les proches des victimes et les survivants du massacre.

Une mémoire à vif

Juillet 1995, c'est comme si c'était hier pour les habitants de Srebrenica hantés par le souvenir du massacre perpétré dans leur ville par les troupes serbes de Bosnie, dirigées par Ratko Mladic. En quelques jours, 8372 hommes et adolescents musulmans trouvent la mort sous les grenades et tirs adverses.

Storytelling - Le massacre de Srebrenica continue d'être une plaie ouverte 20 ans après

"Je pensais que le bataillon hollandais de l'ONU allait nous protéger, moi et les 25'000 autres personnes qui étaient là. Mais nous avons été trahis", se souvient Hajra Catic qui a perdu son mari et son fils, journaliste, le 11 juillet 1995. La région, une enclave musulmane, avait été placée sous la protection de l'ONU en 1993. Deux ans plus tard, les Casques bleus ne pourront rien pour empêcher ce que la justice internationale qualifie de génocide.

Tous les hommes, même les garçons, sont rassemblés dans un champ de blé, et tués. Certains parviennent à s'échapper. Commence pour eux une marche désespérée de près de 100 kilomètres sur un terrain miné et contrôlé par les Serbes. Dans la forêt, ils sont traqués comme des animaux. Blessés, beaucoup perdent la vie.

"On a retrouvé que deux os de mon frère"

"On a retrouvé que deux os de mon  plus jeune frère"
Info en vidéos - Publié le 10 juillet 2015

Habitante de Srebrenica, Vasvja Kadic a perdu plusieurs membres de sa famille lors du massacre de 1995. Son plus jeune frère a été le plus dur à identifier. "On a retrouvé que deux os de son squelette. C'est très difficile pour moi à accepter. Pouvez-vous imaginer quelle a été sa mort?", raconte-t-elle les larmes aux yeux.

Pour tenter de cacher leur crime, les responsables ont déterré, puis enterré à nouveau les restes disloqués de leurs victimes, les dispersant entre plusieurs charniers compliquant la tâche des enquêteurs.

Une fois qu'une personne a été identifiée, grâce à un test ADN, les ossements sont remis à ses proches pour que la victime puisse recevoir un enterrement digne au mémorial de Srebrenica à Potocari.

"Les blessés sont tous restés dans la forêt"

"Ils sont tous restés ici"
Info en vidéos - Publié le 10 juillet 2015

Muhizin "Djilé" Omerovic fait partie des hommes qui ont survécu au massacre de Srebrenica. Pendant deux mois, ce Bosniaque a fui à travers la forêt.

Au cours de sa fuite, il a échappé à une fusillade. "J'étais assis quand ils ont commencé à tirer et je me suis couché en attendant qu'ils arrêtent", raconte-t-il avant d'évoquer les blessés. Nombreux.

Aujourd'hui encore, Djilé pense souvent à tous ces gens qui ont attendu dans la forêt que quelqu'un vienne. "Celui qui était tué tout de suite, il était tué. Mais ceux qui étaient blessés, ils sont restés ici à attendre que quelqu'un vienne. Tu attends que quelqu'un vienne et puis, quand quelqu'un vient, tu sais qu'il va te torturer et qu'il va te tuer".

Le rôle occidental

Quelque 400 Casques bleus néerlandais étaient présents le 11 juillet 1995 dans l'enclave musulmane de Srebrenica proclamée zone protégée par l'ONU en mars 1993. Malgré cela, des milices serbes de Bosnie parviennent à entrer dans la ville et à perpétrer les massacres dont on sait désormais qu'ils étaient planifiés par le général Ratko Mladic. Impuissance ou stratégie?

"Les Occidentaux connaissaient le passif des troupes serbes"

Sur la base de documents déclassifiés, notamment par l'administration américaine, Florence Hartmann, ex-conseillère de Carla Del Ponte, accuse les Occidentaux d'avoir "négocié l'abandon de Srebrenica et par ce marché de dupes d'être devenus les facilitateurs du dernier génocide du 20e siècle". Elle défend sa thèse dans un livre intitulé "Le sang de la realpolitik".

Selon la journaliste spécialiste des Balkans, "il y avait une connaissance du passif des forces serbes sous le commandement du général Mladic. Le nettoyage ethnique a commencé en 1992 en Bosnie".

Florence Hartmann. [EPA/Keystone - Olaf Kraak]EPA/Keystone - Olaf Kraak
Forum - Publié le 9 juillet 2015

"J'ai présenté les excuses du monde occidental aux femmes de Srebrenica"

En mars 1993, Philippe Morillon était chef des Casques bleus. C'est lui qui avait déclaré l'enclave de Srebrenica zone protégée. Un échec patent pour la communauté internationale comme pour le général français qui raconte avoir "présenté les excuses du monde occidental aux femmes de Srebrenica".

Plus de vingt ans après, il revient ici sur son état d'esprit au moment de s'engager à ne pas abandonner la population alors menacée par le froid et la faim. C'était deux ans avant le drame mais il le pressentait déjà.

Le général français Philippe Morillon (ici en 2009). [EPA/Keystone - Sabawoon]EPA/Keystone - Sabawoon
Forum - Publié le 9 juillet 2015

Où en est la justice?

Le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) a déjà condamné quatorze des principaux responsables du massacre de Srebrenica à de lourdes peines de prison. Mais les procédures contre l'ex-chef politique des Serbes de Bosnie, Radovan Karazic, et contre le chef militaire surnommé "le bourreau des Balkans", Ratko Mladic, inculpés pour génocide et crime contre l'humanité, ne sont elles pas encore terminées.

Tous deux avaient été mis sous mandat d'arrêt international en 1995. Leurs arrestations en 2008 pour Radovan Karazic et en 2011 pour Ratko Mladic expliquent en partie la lenteur des procédures, selon le procureur du TPIY, Serge Brammertz (écouter son interview ci-dessous).

Au total, 161 personnes ont été mises en accusation devant cette juridiction pour violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l'ex-Yougoslavie.

"Des millions de page, 400 témoins"

Serge Brammertz, procureur du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie. [AFP - Oliver Bunic]AFP - Oliver Bunic
Le Journal du matin - Publié le 9 juillet 2015

A ceux qui critiquent l'institution, jugée trop lente, le procureur du TPIY Serge Brammertz rappelle qu'il ne s'agit pas seulement d'obtenir le plus rapidement possible une condamnation.

"Nous parlons de nettoyage ethnique dans une vingtaine de municipalités, de trois ans de siège de Sarajevo, nous parlons d'un génocide. C'est long, mais ce sont des dossiers volumineux: des millions de page, 400 témoins...", justifie-t-il. Et le magistrat d'insister sur la nécessité de "montrer l'importance des différents crimes et de donner la possibilité aux victimes de raconter leur histoire".

La tentation révisionniste

Faut-il qualifier le massacre de Srebrenica de "génocide" ? Oui, répond le Tribunal pénal international international pour l'ex-Yougoslavie. Non, répondent les Serbes.

Vingt ans presque jour pour jour après les faits, la Russie a mis son veto à un projet de résolution du Conseil de sécurité des Nations unies qualifiant Srebrenica de génocide, un terme qui désigne l'extermination physique, intentionnelle, systématique et programmée d'une population en raison de ses origines ethniques, religieuses ou sociales. Pour Moscou, un tel projet serait "non constructif, conflictuel et politiquement orienté".

Pour le procureur Serge Brammertz, la tentation révisionniste existe bel et bien dans les Balkans. Cela rend, à ses yeux, d'autant plus indispensable le travail de documentation effectué dans le cadre des procès menés à La Haye.

>> L'analyse de Géopolitis: Génocides, reconnaître pour mieux dénoncer? :

Des ossements de victimes du génocide au Rwanda sont exposés dans une église. [Keystone - Ben Curtis]
Geopolitis - Publié le 11 avril 2015

Une possible réconciliation?

La ville de Srebrenica est aujourd'hui encore habitée par des Serbes et des Bosniaques. Et pour Camil Durakic, le maire bosniaque de la ville, le refus des Serbes de reconnaître leur responsabilité dans le massacres explique grandement cette tension persistante. "On est seulement vingt ans après la guerre, les plaies sont encore ouvertes", justifie-t-il. "Serbes et Bosniaques désirent le même futur mais sur le passé les divergences restent".

"L'ambiance reste glaciale", témoigne Nisveta Habibovic, une habitante revenue à Srebrenica en 2004. "C'était terrifiant de revoir nos voisins serbes après tout ce temps", se souvient-elle. "Certains nous saluaient, d'autres tournaient la tête". Si les cicatrices peinent à disparaître, l'arrivée d'une nouvelle génération pourrait contribuer à rétablir un meilleur climat dans la ville, frappée de plein fouet par les difficultés économiques.

DUP storytelling - Vingt ans après le massacre, la ville de Srebrenica reste divisée

Des commémorations bousculées

Des milliers de personnes sont venues rendre hommage aux 8000 victimes de Srebrenica le 11 juillet 2015, à l'occasion du 20e anniversaire du massacre. L'ancien président américain Bill Clinton et les représentants de nombreux pays étaient présents pour commémorer l'événement le plus meurtrier sur sol européen depuis la Seconde Guerre mondiale.

Reflet de la tension encore palpable entre Serbes et Bosniaques, le Premier ministre serbe Aleksandar Vucic a été pris à partie par la foule - qui lui a jeté des pierres - alors qu'il venait de déposer une fleur devant le monument érigé à la mémoire des 6200 victimes identifiées du massacre.

Le Premier ministre serbe agressé à Srebrenica
L'actu en vidéo - Publié le 11 juillet 2015

Reportages et interviews pour @RTSinfo:
Laurent Burkhalter, Alain Franco, Valérie Hauert et Betty Lachguer

Réalisation web: Juliette Galeazzi