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Avec "Les mots du bitume", la langue de la rue trouve son dictionnaire

Aurore Vincenti [lerobert.com]
Livre: Aurore Vincenti, "Les mots du Bitume", Le Robert / Vertigo / 7 min. / le 29 novembre 2018
La journaliste et linguiste Aurore Vincenti signe cet ouvrage réjouissant dans lequel les mots de Molière, de Chateaubriand ou de Rabelais côtoient ceux de Nekfeu, de Booba ou de La Gale, la rappeuse lausannoise.

"Le seum", "biatch", "condé", "daron"… ces mots vous parlent? En tous les cas ils ont trouvé en Aurore Vincenti une exégète à la fois érudite, passionnée et pleine d’humour. Pendant quatre ans sur les ondes de France Inter, elle a dans sa chronique "Qu’est ce que tu jactes?" décrypté joyeusement la langue de la rue et du rap. Elle publie "Les mots du bitume – de Rabelais aux rappeurs, petit dictionnaire de la langue de la rue" aux édition Le Robert.

Quitter les préjugés

Ce dictionnaire passionnant poursuit et affirme son exploration linguistique de cette langue encore considérée à tort comme pauvre. A l’écouter et à la lire on comprend l’étendue des préjugés et de l’ignorance qui entourent la question de la préservation de langue française.

Car il y a plusieurs manières de garder une langue vivante. La première évidemment est de la parler et de la pratiquer en respectant sa grammaire, son orthographe. Mais la vitalité d’une langue tient aussi à sa capacité d’évoluer, de se réinventer, de se métisser aussi, quitte à faire hurler les puristes.

>> A écouter: l'entretien d'Aurore Vincenti dans "Tribu" :

La langue de la rue. [Depositphotos - Vanzyst]Depositphotos - Vanzyst
La langue de la rue / Tribu / 26 min. / le 18 février 2019

Loin de l’orthodoxie de l’élite

Une idée de pureté dont Aurore Vincenti rappelle l’absurdité. Rabelais déjà malmenait la langue de façon roborative et salutaire. Mais aussi Flaubert, dont on oublie qu’il fut aussi un grand locuteur. Grâce aux écrivains, aux poètes la langue ne cesse de se nourrir et de se modifier. Mais la langue écrite n’est la plupart du temps que l’aboutissement d’un processus qui commence à l’oral. Et c’est bien la rue, l’espace public, pour autant qu’on s’y attarde encore, qui est le lieu de l’oralité par excellence.

Comme le foot

Le linguiste Alain Rey qui signe la préface évoque ces lieux de la langue que sont les quartiers et la banlieue. Des zones où la rue est encore animée, fréquentée. De la même manière qu’on y joue au foot loin des pelouses rectangulaires et formatées, on y parle à bonne distance de l’orthodoxie lexicale.

En matière de langage comme ailleurs, le respect des normes et l’inventivité ne font pas bon ménage. Dans les milieux bourgeois ou disons plus aisés, on va grandir avec des règles strictes de grammaire, d’orthographe de bien dire. Une orthodoxie qui sert de code à l’élite mais ne favorise pas la création.

En matière de langage, il n’y a pas d’espace de création plus vivace que la rue. Peut-être parce que c'est dans la rue qu'il y a le plus d’impertinence.

Aurore Vincenti, journaliste et linguiste, auteure de "Les mots du bitume"

Inutile donc de s’affoler sur un présumé appauvrissement. La linguiste nous prouve bel et bien que le rap est un laboratoire, un espace où les mots de la rue s’éprouvent et se partagent, et surtout un genre en pleine évolution, en passe d’être dans le futur un genre littéraire à part entière.

Propos recueillis par Lynn Levy

Réalisation web: Manon Pulver

Aurore Vincenti, "Les mots du bitume", éditions Le Robert

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