C’est un projet immobilier de grande ampleur qui s’apprête à voir le jour à Marseille. Dans le cadre du plan local d’urbanisme intercommunal (PLUI), les habitants de la Cité Radieuse, construite en 1952 par Le Corbusier, ont découvert que la Municipalité envisage la construction d’un millier de logements et de trois tours de plus de 50 mètres de haut à proximité directe de la "maison du Fada".
Pour Bernard Soumireu, président du Conseil syndical de la Cité Radieuse, ces trois tours sont particulièrement problématiques et ne respectent pas la zone tampon imposée par l’Unesco autour de l’immeuble. Et la menace de déclassement est bien réelle, selon cet habitant, interrogé dimanche dans le 19h30: "Quand on approche sur les grands axes de circulation autour du bâtiment, on doit pouvoir contempler l'immeuble en entier. Or, s'il y a une tour qui bouche la vue, le cône de vue n'existe plus et c'est une raison majeure d'inquiétude pour l'Unesco et pour le classement."
Inquiets pour l’avenir de leur immeuble, des habitants ont pris un avocat et déposé plusieurs recours contre le projet. Sur le site, Change.org, une pétition en ligne a déjà recueilli plus de 3200 signatures. Bernard Soumireu se dit déterminé: "Ça prendra le temps que ça prend, on espère qu'on y arrivera mais on ira jusqu'au recours devant le tribunal administratif s'il le faut."
"Absurdité bureaucratique sans nom"
Si la Cité Radieuse était déclassée par l’Unesco, c’est l’ensemble des 17 sites de Le Corbusier à travers le monde qui pourraient perdre leur prestigieux label.
En effet, ces sites de l'architecte né à La Chaux-de-Fonds avaient fait candidature commune en 2016 pour entrer dans la liste du patrimoine mondial de l’Unesco. La Suisse surveille donc avec vigilance l’avancée du projet marseillais. Pour Patrick Moser, conservateur de la Villa "Le Lac" à Corseaux (VD), le déclassement n’est encore qu’une hypothèse mais si elle se concrétisait ce serait une "absurdité bureaucratique sans nom".
En poste depuis 20 ans, il regrette la tournure prise par les événements: "Ce serait absurde, au bout de 14 ans d'efforts pour essayer de classer l'oeuvre de Le Corbusier au Patrimoine mondial de l'Unesco, si on perdait ce classement."
Incompréhension à Genève
Même incompréhension à Genève où l’immeuble "La Clarté" pourrait aussi perdre son classement à l’Unesco. Rémy Pagani, conseiller administratif de la ville de Genève, s’est battu pendant des années pour que la ville rachète deux appartements dans l’immeuble afin de les ouvrir une matinée par semaine au public.
L’annonce du projet marseillais est donc une douche froide pour le magistrat: "J'étais assez scandalisé parce que ça fait cinq ans qu'on travaille avec l'association Le Corbusier France et le maire de Marseille décide tout d'un coup que la "maison du Fada" n’a plus d’importance. Moi je suis allé devant le Conseil municipal et je lui ai fait sortir beaucoup d'argent pour acheter un quatre pièces et un neuf pièces dans cet immeuble. Les conseillers municipaux vont avoir le sentiment d’être trahis comme moi, je trouve cela déplorable.".
Rémy Pagani déplore surtout l’attitude des autorités marseillaises: "Je crois que ce maire ferait mieux de s'occuper de réhabiliter les immeubles de sa ville plutôt que de courir après le miroir aux alouettes que sont les promoteurs."
Les autorités marseillaises se veulent rassurantes
Face à l’ampleur de la polémique, le maire des 6e et 9e arrondissements de Marseille se veut rassurant. "Si ce type de réalisations devaient poser une difficulté pour le classement de l'oeuvre de Le Corbusier à l'Unesco, nous les modifierions. L'architecte des Bâtiments de France a participé à la construction de notre PLUI, il a d'ailleurs émis un certain nombre de réserves qui ont été respectées et si les inspecteurs de l’Unesco en font d’autres, nous les appliquerons immédiatement. Rien n’est caché, tout est sur la table et le Patrimoine sera respecté", affirme-t-il à la RTS.
Cette position rassure Olivier Martin, chef de la section patrimoine culturel et monuments historiques de l’Office fédéral de la culture: "Je suis sûr que les autorités françaises vont prendre les mesures adéquates."
L’enquête publique autour du projet d’urbanisation s’est achevée le 4 mars à Marseille et les conclusions des enquêteurs seront rendues début mai.
Cécile Tran-Tien/boi
Deux sites de l’Unesco déjà déclassés
A ce jour, l'Unesco n'a déclassé que deux sites de son Patrimoine mondial protégé.
En 2009, la vallée de l’Elbe à Dresde, en Allemagne, a été retirée de la liste suite à la construction d’un pont à quatre voies au coeur du paysage protégé. Un premier cas s’était déjà produit en 2007 avec le sanctuaire de l’oryx arabe à Oman.