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Comment le tsunami #MeToo a changé notre vision du monde

Une image prise lors de la manifestation initiée par le Collectif Effronte-e-s, Place de la République à Paris, en octobre 2017. [AFP - Bertrand GUAY]
Une image prise lors de la manifestation initiée par le Collectif Effronte-e-s, Place de la République à Paris, en octobre 2017. - [AFP - Bertrand GUAY]
En 2017, un hashtag va briser la loi du silence et déclencher une série de prises de conscience. Retour sur les bouleversements générés par ce mouvement mondial qui dénonce les violences faites aux femmes.

Le 15 octobre 2017, l'actrice américaine Alyssa Milano twitte #MeToo – un hashtag partagé quelques heures plus tard par des millions d'utilisateurs sur les réseaux sociaux. #MeToo appelle toutes les femmes à rompre le tabou du harcèlement sexuel: "Ce n'est pas un exemple isolé. C'est une culture malsaine. On trouve des hommes comme Harvey Weinstein à tous les coins de rue". Une accusation d'une violence extrême pour certains, appropriée pour d'autres.

Parler, oui, mais comment?

La boîte de Pandore est ouverte, impossible de revenir en arrière. Dès le début pourtant, il est apparu que ce changement de paradigme, si attendu et espéré soit-il, ne serait pas simple. "Chaque chose en son temps, un temps pour chaque chose". Il y a eu celui de se taire, le temps était venu de parler. Mais comment? Oui, comment sachant qu'au fil des plaintes et accusations, et de la mauvaise foi des tenants de la guerre des sexes, le hashtag risquerait de se retourner contre les militants d'un changement culturel pacifique et respectueux des spécificités de chacun.

La semaine des médias 2018 - Hashtag metoo
La semaine des médias 2018 - Hashtag metoo / RTS Découverte / 3 min. / le 2 novembre 2018

Mobilisation mondiale

Mais rien n'arrête la vague. Un peu partout en Europe, des manifestations s'organisent, notamment le 8 mars 2018, Journée internationale des droits des femmes. En Espagne, 5,3 millions d'hommes et de femmes descendent dans la rue. #MeToo s'est transformé en #WeToogether, invitant homme ou femme à s'unir pour dire "non" à toute forme de violence, abus de pouvoir, soumission, sexisme et misogynie, que ce soit au travail, dans la sphère familiale ou religieuse, en politique ou tout simplement dans la rue.

La force du hashtag, abondamment relayé par les réseaux sociaux, a rendu possible ce qui semblait impossible: ouvrir la voie à une dissidence jusque-là réduite au silence par des menaces plus ou moins voilées. #Metoo a également étouffé les velléités de représailles de ceux qui, jusqu'ici, avaient profité d'une sorte d'omerta pour jouir de leurs privilèges.

>> A écouter: Une manifestation #metoo rassemble plusieurs centaines de personnes dans les rues de Paris :

Des rassemblements ont eu lieu dans plusieurs villes, comme ici à Paris. [CITIZENSIDE - SADAK SOUICI]CITIZENSIDE - SADAK SOUICI
Une manifestation #metoo rassemble plusieurs centaines de personnes dans les rues de Paris / Forum / 3 min. / le 29 octobre 2017

Avant #MeToo (devenu #BalanceTonPorc en France), il faut se souvenir de la peur presque indicible à parler des émotions négatives, des angoisses et des souffrances résultant d'agressions et d'abus sexuels. Le sujet était tabou. Et c'est à mi-mots qu'en 1998 l'actrice Gwyneth Paltrow, alors invitée du show de David Letterman, eut le courage, mi-sérieuse mi-facétieuse, d'affirmer que le célèbre producteur d'Hollywood "pouvait [vous] obliger à faire des choses".

Mais #MeToo ne date pas du scandale Weinstein. Il a été utilisé pour la première fois en 2006 par l'activiste afro-américaine Tarana Burke, décidée à venir en aide aux jeunes femmes noires victimes d'abus, d'agressions et d'exploitation, et à dénoncer ce tabou en déclarant: "Je ne suis pas seule et je n'ai pas honte. Nous ne devons pas avoir peur d'être différentes, d'être complémentaires des hommes, d'être des femmes. Nous devons crier haut et fort notre droit à être respectées, aimées, comprises pour nos différences". C'est ce que #MeToo scande aujourd'hui encore.

Nées soumises?

Quel meilleur terme que "subalternité" pour désigner la relation entre hommes et femmes derrière le scandale qui a frappé Hollywood? Une subalternité qui n'est bien sûr pas l'apanage de la seule Los Angeles. Les médias, électroniques ou pas, dénoncent régulièrement des cas d'abus, de soumission et de violence dont sont victimes les femmes, sous leur propre toit ou à leur travail.

Comme toujours, on tente d'y répondre par la psychologie alors que la subalternité ne relève pas de la psyché, mais de l'évolution sociale et anthropologique. Cela devrait donc s'inscrire à l'agenda politique. A Hollywood. En Occident. En Afrique et en Asie. Le problème est endémique et mondial: cela s'appelle le sexisme et c'est de là que vient la misogynie.

Misogynie rime avec ce que la presse en dit

Si les pratiques d'Hollywood ont fait de nombreuses victimes, la capitale du cinéma a eu au moins le mérite de lancer le débat. Encore fallait-il que la presse s'empare du sujet avec respect et qu'elle n'en profite pas pour jeter de l'huile sur le feu, à l'exemple d'Asia Argento, forcée de quitter l'Italie où l'ambiance était devenue "trop tendue et pesante pour [elle et sa] famille". La comédienne et réalisatrice réside désormais en Allemagne où elle peut "respirer". Si on ne laisse pas les victimes se reconstruire, comment guérir et éradiquer le mal qui les a frappées?

Pendant des années, parce que je n'avais pas réussi à m'échapper, parce que je n'avais pas eu le courage de dénoncer mon bourreau, je me suis sentie infiniment coupable. Il m'a fallu beaucoup de temps pour l'avouer ne serait-ce qu'à ma mère. Puis à mon père et à ma fille.

Asia Argento, actrice et réalisatrice.

Nous devons tout notre respect, notre considération et notre écoute aux victimes de violences, que ce soit Asia Argento, nos collègues de travail ou nos voisins. Et surtout, nous devons nous sentir investis d'une mission: celle de mettre un terme à l'omerta. Chacun à sa façon.

Misogynie rime avec technologie

Le monde de la technologie n'est pas plus épargné que celui du cinéma. En août 2017, Google se retrouve au coeur d'une polémique: la fuite du plaidoyer sexiste de dix pages d'un de ses employés. Dans un document de dix pages, l'auteur soutenait que les femmes affaiblissaient le secteur de la technologie pour des raisons évidentes de biologie et que les hommes étaient mieux placés pour les fonctions techniques et le leadership. L'affaire est rapidement devenue virale sur les réseaux sociaux et la célèbre firme de Mountain View s'est vue contrainte de licencier l'auteur de ce manifeste.

>> A voir: Claire Burgy "La fracture entre les pro et anti #MeToo est bien entre les conservateurs et les progressistes, hommes ou femmes." :

Claire Burgy "La fracture entre les pro et anti #MeToo est bien entre les conservateurs et les progressistes, hommes ou femmes."
Claire Burgy "La fracture entre les pro et anti #MeToo est bien entre les conservateurs et les progressistes, hommes ou femmes." / 19h30 / 38 sec. / le 5 octobre 2018

A Genève, le CERN a lui aussi dû suspendre un chercheur ayant fait l'objet d'une enquête interne pour avoir déclaré que la physique était l'affaire des hommes. Et que les femmes prenaient de plus en plus de place, non en raison de leurs capacités, mais pour des raisons politiques liées à l'égalité des sexes.

Misogynie rime avec philosophie

Plus que toute autre discipline, la philosophie a longtemps été le vecteur de contenus sexistes. Le fait de n'avoir jamais clairement remis en cause le modèle patriarcal universel a permis de couvrir les attitudes sexistes et misogynes. Aristote n'affirme-t-il pas que l'homme est un animal doté du logos, donc un animal politique, et qu'il est le maître de sa maison, de sa femme et de ses esclaves?

Rien de surprenant donc lorsque, dans son essai "Can the Subaltern Speak" (1988), la penseuse féministe contemporaine Gayatri Chakravorty Spivak, de la Columbia University, fondatrice de l'Institute for Corporative Literature and Society, reprend la théorie gramscienne des "subalternes". Elle y soutient que la discrimination des genres transforme les femmes en subalternes et que c'est bien de cette condition qu'il faut sortir. Difficile toutefois d'y parvenir sans un changement radical des mentalités et des modèles éducatifs.

Misogynie rime avec génie

Dans les années 70, un texte est devenu le livre de chevet de nombreuses femmes: "Notre corps, nous-mêmes", un texte mythique du Boston Women's Health Book Collective. Cet ouvrage, perçu comme un guide pour une nouvelle ère, mettait fin à l'obscurantisme régnant autour du corps féminin, invitant les femmes à se l'approprier et à le vivre pleinement. Quarante ans plus tard, la déferlante #MeToo consacre cette invitation. Est-ce à dire que les femmes sont parvenues à l'égalité de traitement à laquelle elles aspiraient? Pas si sûr...

Si les commentaires racistes d'aujourd'hui (comme la référence à la couleur de peau en termes vulgaires) font enfin réagir, il n'en va pas de même des épithètes sexistes. "Quelle jolie poupée" n'est pas une insulte. "Nègre", si. C'est la même chose avec les différences de classe. On ne dit plus "bonne" pour désigner une employée de maison, ni "balayeur" pour un technicien de surface, mais "quel beau cul" continue de ne choquer personne.

Extrait de "La libertà del corpo delle donne", (Settenove, 2016) de Graziella Priulla

C'est un peu comme si un sort avait été jeté sur les femmes. Nous savons tous où nous devons aller ensemble, pour le bien commun, mais nous n'y arrivons pas. Le sexisme et la misogynie sont partout, dans la sphère privée comme au travail.

Maria Chiara Fornari (RSI)/Adaptation web: Miruna Coca-Cozma

Cet article a été publié sur le site de RSI.

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Contrairement à ce que l’on pourrait croire, #MeToo n’est pas né à l’initiative d’Alyssa Milano. L’actrice a certes ouvert le 15 octobre la tournée planétaire du hashtag pour dénoncer les nombreux abus sexuels visant les femmes.

Mais le mouvement est en fait né il y a onze ans, à New York, grâce à l'activiste Tarana Burke. Originaire de Harlem, elle travaille avec les populations new-yorkaises marginalisées. Elle fonde Just Be Inc. en 2006, qui propose des programme d'éducation aux jeunes femmes sur les problématiques de santé et de bien être.

Un an plus tard, elle lance le "Me Too Movement", en tant qu’initiative populaire de soutien aux victimes d’agressions sexuelles dans les quartiers défavorisés.