Au réveil, nous buvons un ristretto avec quelques zwiebacks avant d’enfiler une jaquette s'il fait un peu cru dehors. Outre-Sarine, on marche sur un Trottoir et on achète des Zucchetti, tandis qu'au Tessin, on mange des wienerli et on utilise une bouillotte pour se réchauffer.
On connaît bien ces régionalismes. Pourtant, d'autres sont plus difficiles à repérer. C'est le cas du gymnase ou de la benzine, qui sont des mots importés de l'allemand par exemple. Ces variantes typiquement suisses du français, de l'allemand ou de l'italien sont des helvétismes qui reflètent et révèlent les influences de nos trois langues nationales et la richesse de cette diversité. Une diversité explorée dans une exposition itinérante qui fait halte au Centre Dürrenmatt de Neuchâtel, du 14 avril au 21 juillet.
Trésors ou bizarreries?
Andres Kristol, professeur émérite à l'Université de Neuchâtel, ancien directeur du Centre de dialectologie et d'étude du français régional, a supervisé cette exposition. Pour lui, ces spécificités linguistiques ne sont ni des curiosités ni des trésors à collectionner: "A mon avis, c'est la chose la plus naturelle du monde. Toutes les régions francophones ont leurs régionalismes. C'est nécessaire. C'est naturel et il n'y a que des français régionaux", explique-t-il.
Chaque région du monde francophone a ses régionalismes qui sont comme des épices dans la langue française commune.
En Suisse, la langue est riche des emprunts faits aux autres langues nationales. Les langues ont toujours eu des échanges, car les gens ont toujours été en contact. L'idée d'une "langue pure" qui n'emprunterait à aucune autre n'existe pas, selon Andres Kristol. "L'emprunt de mots n'a jamais abîmé une langue, mais l'a toujours enrichi. Il nous permet de dire des choses que l'on n'aurait pas pu dire autrement".
Le mythe de la pureté de la langue
Friedrich Dürrenmatt a lui-même utilisé de nombreux helvétismes dans ses écrits et dans certaines de ses caricatures. Fier de ces spécificités linguistiques, l'auteur est allé jusqu'à faire un procès à un magazine qui avait publié l'un de ses textes en le purgeant de ses helvétismes. Pourtant, les emprunts faits à une autre langue sont parfois utilisés avec une forme de gêne par les locuteurs.
La pureté de la langue est un mythe, une abstraction, selon Andres Kristol. "On a une vieille tradition qui veut nous culpabiliser d'utiliser des régionalismes, mais ça n'a aucune raison d'être". Le mythe d'un français littéraire a assez tôt fait abandonner à la Suisse romande ses langues traditionnelles en les taxant de "patois". "C'était pourtant une langue latine aussi digne que le français. Elle s'est développée au nord des Alpes, comme le français. Mais il y a eu cette absurdité très française qui voulait imposer une seule langue à tout le monde". Dans l'espace germanophone, la situation a été très différente et a permis de maintenir vivants les dialectes en Suisse alémanique.
En Suisse romande, les patois sont en train de disparaitre. Pour Andres Kristol, il est beaucoup trop tard pour inverser la tendance. La langue ne se transmet plus aux jeunes générations, à quelques exceptions près.
>> A lire, le grand format sur les patois:
Grand Format "Panorama des patois de Suisse romande"
Elaborée en collaboration avec le Forum Helveticum, l'exposition "Helvétismes – Spécialités linguistiques" proposée par le Centre Dürrenmatt se veut ludique et participative. Mettre en avant les régionalismes permet de "vivre joyeusement notre français", explique Andres Kristol.
Lara Donnet
Propos recueillis par Esther Coquoz pour "Forum"
Vernissage de l'exposition "Helvétismes – Spécialités linguistiques", dimanche 14 avril à 17h au Centre Dürrenmatt de Neuchâtel, avec un mini concert de Phanee de Pool, une performance de sérigraphie par U-Zehn et des visites guidées.