Surnommé l'"Einstein de la danse", Merce Cunningham avait
révolutionné son art en y introduisant le hasard, la vidéo et
l'informatique. La porte-parole de sa compagnie, Leah Sandals, a
précisé que Merce Cunningham était décédé de causes naturelles.
Bien qu'immobilisé dans un fauteuil roulant ces dernières années,
Cunningham continuait de travailler. En avril dernier, pour ses 90
ans, il avait présenté un nouveau spectacle, "Nearly Ninety".
"Merce voyait la beauté dans l'ordinaire, ce qui le rendait
extraordinaire", a souligné Trevor Carlson, directeur exécutif de
la Cunningham Dance Foundation. "Il ne se laissait pas guider par
les conventions mais était un véritable artiste, honnête et
engageant dans tout ce qu'il faisait".
Trublion des conventions
Au cours de ses plus de 60 ans de carrière, il a bousculé de
nombreuses règles implicites, comme celle qui veut que les danseurs
fassent face au public. Comme d'autres chorégraphes, il s'est
libéré de la narration, montant des spectacles qui ne racontaient
aucune histoire. Mais lui est allé encore plus loin, déconnectant
ce mouvement pur de l'accompagnement sonore. Les pas n'étaient pas
réglés sur le rythme de la musique. Parfois même, la troupe
découvrait sur scène, lors de la première représentation, la
bande-son du spectacle.
"Je préfère trouver quelque chose plutôt
que répéter ce que je sais", se justifiait Merce Cunningham. "Je
préfère l'aventure à quelque chose de fixé." Il laissait donc au
hasard le soin de déterminer l'ordre dans lequel certains pas ou
mouvements se succéderaient. Il tirait à pile ou face ou jouait aux
dés l'enchaînement des chorégraphies.
"En abordant une nouvelle pièce, j'essaie toujours de trouver une
nouvelle façon d'utiliser le hasard", expliquait-il. "C'est pour
essayer d'ouvrir les yeux sur quelque chose que j'ignore plutôt que
de simplement répéter quelque chose que j'ai déjà traité". Pour
lui, le hasard était "un mode actuel pour libérer (son) imagination
de ses propres clichés".
Merce Cunningham avait commencé sa carrière dans la troupe de
Martha Graham (1893-1991), également l'une des plus grandes figures
de la danse moderne, puis avait monté sa propre compagnie en 1953,
chorégraphiant plus de 150 oeuvres. Il a collaboré avec les
artistes plasticiens Robert Rauschenberg et Jasper Johns ainsi
qu'avec le compositeur John Cage (1912-1992), célèbre pour sa
partition silencieuse 4'33", avec qui il partagea sa vie.
Maintes fois distingué
Merce Cunningham avait reçu de très nombreux prix et récompenses
dans de multiples pays. En France, il avait été fait commandeur de
l'ordre des Arts et des lettres, puis officier de la Légion
d'honneur en 2004. Avant sa mort, il avait fondé le Merce
Cunningham Trust pour gérer son héritage artistique. Selon les
dispositions qu'il a prises, sa compagnie doit faire une tournée
finale de deux ans avant de se dissoudre. La fondation devra
ensuite préserver les chorégraphies sous forme digitale pour les
futurs artistes, universitaires, étudiants et spectateurs.
agences/mej
"La danse de l'intelligence"
Le ministre français de la Culture, Frédéric Mitterrand, a rendu hommage lundi au chorégraphe américain Merce Cunningham, décédé dimanche à l'âge de 90 ans, en saluant "la danse de l'intelligence" que ce dernier avait apportée.
"La mort de ce grand artiste plonge le monde de la danse dans une affliction profonde, à la mesure de l'empreinte que laissera ce chorégraphe hors du commun", souligne le ministre dans un communiqué. "Géant de la Modern dance, résolument novateur", Merce Cunningham "s'est produit sur scène jusqu'à plus de soixante-dix ans, dans toute la vérité d'un corps sculpté et meurtri par l'exigence du danseur", écrit-il.
"Il avait su se confronter aux innovations technologiques : la vidéo dès les années 1970, l'informatique dès 1994, avec la création du logiciel de composition chorégraphique Life forms", apportant une "révolution dans l'écriture", poursuit le ministre.
Frédéric Mitterrand ajoute que la France "sut être l'un des premiers pays à l'accueillir". "La force grandiose des oeuvres de Merce Cunningham est éternelle. Ses formes de vie resteront toujours pour nous tous des leçons de vie", conclut-il.
Hommage rendu au "plus grand"
"C'est un chorégraphe majeur pour la danse contemporaine occidentale. Pour moi c'est le plus grand de tous", a dit à l'ATS le chorégraphe romand Gilles Jobin, co-directeur du Théâtre de l'Usine à Genève, à l'annonce du décès du danseur et chorégraphe américain Merce Cunningham.
"Il était en perpétuel état de recherche et son travail reste très actuel. Merce Cunningham a influencé des générations de chorégraphes et accompli un travail phénoménal", souligne Gilles Jobin.